Chapitre 43 : Ce que j'avais à vous annoncer

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Le lendemain de la sortie, Alex put passer voir Luna. Il quitta le bureau de Sir Lawrence après une nouvelle réunion pour organiser la résistance des combattants. On comptait aussi déjà les premiers morts, les premiers blessés. Les rebelles étaient assez désorganisés : il n'y avait pas d'officiers parmi eux et cela se percevait aisément. Les premières attaques étaient mal menées et peu efficaces. Si les soldats britanniques et les cipayes loyaux comptaient déjà quelques victimes dans leurs rangs, en partie causés par la sortie, les mutins étaient en revanche beaucoup plus nombreux à être tombés sous les balles tirées depuis les murailles. Mais Sir Lawrence commit une erreur : alors qu'ils en avaient encore la possibilité, il refusa que les palais environnants et édifices religieux soient bombardés pour ne pas provoquer encore plus de colère parmi la population. Ils allaient offrir, par la suite, des postes de tir idéaux pour les rebelles.

Les soldats étaient relevés de leur poste toutes les six heures, pour leur permettre de se reposer, de nettoyer leurs armes, de se restaurer. Du moins, ce fut ce qui fut décidé tant que les attaques restèrent sporadiques ou faciles à repousser. En cas d'attaque plus soutenue, tous étaient mobilisés. Alex estimait que les décisions prises étaient les bonnes, hormis celles concernant les palais avoisinants : même s'il comprenait le point de vue de Sir Lawrence, basé sur l'espérance que le siège de la Résidence ne durerait pas et que la rébellion serait vite étouffée, il ne pouvait manquer de voir dans ces bâtiment élevés un risque.

Jusqu'à présent, les bâtiments situés à l'intérieur de l'enceinte avaient été épargnés par les tirs, seules les murailles avaient été touchées, et encore sans grande conséquence. Alex gagna l'étage où il retrouva Luna, Don Felipe, ainsi que Madame Faulkner et ses filles. Satya et Ameera étaient déjà parties apporter leur aide à Lady Honoria. Alex comprit vite que Madame Faulkner n'allait pas bien, qu'elle avait toujours le regard lointain. Il se doutait que la pauvre femme avait perdu la raison, mais il ne voyait que faire. Sophie lui sembla reposée, de même que Brenda. Et il fut accueilli par le sourire de Don Felipe.

- Ah, Alex ! Je suis bien heureux de vous revoir. Vous vous en sortez ?

- Nous nous organisons assez bien, oui. L'attaque engagée hier a pu être menée à bien. Je crains cependant qu'il ne devienne difficile de tenter des sorties. Du moins pour le moment. Nous allons plutôt essayer d'affaiblir nos assaillants, sans leur laisser de répit. Et vous, comment allez-vous ?

- Hormis l'inquiétude que nous ressentons pour vous et pour tous ceux qui assurent notre protection, nous allons bien, répondit le vieil homme. Nous nous sommes bien installés.

Alex jeta un regard tout autour de lui : il comprit que Luna dormait dans son lit, sans doute avec Brenda ou Sophie. Lady Honoria avait pu trouver un petit berceau pour Myriam et Ameera avait réalisé une moustiquaire pour la protéger. Dans la pièce voisine, trois autres lits étaient disposés côte à côte.

Lorsqu'il était entré dans la pièce, Luna allaitait Myriam. Don Felipe la regardait faire avec attendrissement, assis dans un des deux fauteuils que comptait la chambre à l'origine. L'autre avait été enlevé, peut-être pour être apporté à une autre famille. Alex s'assit sur le bord du lit où Luna était installée et la regarda. Elle lui sourit et dit :

- Myriam va bien.

En entendant ces simples mots, Alex sentit comme une tension disparaître en lui. Sa fille supportait le changement de lieu et même de confort. C'était réconfortant.

- Et vous ? demanda-t-il à Luna.

- Je vais bien aussi. Ameera et Grand-Père veillent sur moi. Nous sommes descendues un peu dans les jardins ce matin, Sophie et moi, c'était encore calme. Mais dès que nous avons entendu des tirs, nous nous sommes mises à l'abri. De même, Grand-Père ne reste pas sur la terrasse dans la journée. Nous sommes prudents.

Alex sourit. Il s'abîma un instant dans la contemplation de la scène qu'il avait devant les yeux, regardant le petit bébé téter tranquillement. Quand elle eut terminé, Luna referma le pan de son sari et la prit contre elle, lui faisant faire son petit rot. Puis elle dit à Alex :

- Voulez-vous la prendre un peu ?

Heureux, il tendit les bras vers elle. Luna y déposa Myriam presque endormie. Alex n'avait pas tenu sa fille dans ses bras depuis qu'ils avaient quitté la Casa de los Naranjos. La reprendre contre lui lui fit du bien. Il la garda un moment ainsi, la petite s'endormit tout à fait. Alex la regardait avec un sentiment d'amour très profond. Même ce qu'il ressentait pour Luna ne pouvait s'apparenter à ce qu'il éprouvait pour sa fille.

Il finit par redresser la tête et regarda Luna. Elle lui sourit avec tendresse. Elle devinait déjà que les moments qu'ils pourraient partager, tant qu'elle demeurerait à la Résidence et qu'ils subiraient le siège, seraient rares, mais intenses. Et elle était bien décidée à en profiter pleinement. Alex lui dit :

- Il faut que je vous parle. C'est important.

Luna fit un simple geste d'assentiment, se leva et reprit Myriam des bras d'Alex pour aller la coucher. Don Felipe dit alors :

- Je vais veiller sur elle.

Quand elle eut terminé d'installer la petite fille, Luna se tourna vers Alex qui était demeuré assis sur le coin du lit. Elle lui demanda :

- Pouvons-nous aller dans les jardins ?

On entendait toujours des tirs au-dehors et Alex secoua la tête, puis proposa :

- Plutôt sur la terrasse.

Il se leva et la prit doucement par le bras pour l'y mener. Il savait que Don Felipe pourrait certainement entendre leur conversation, mais cela ne le gênait pas. S'il avait mené Luna un peu à l'écart, c'était plus pour lui offrir un peu d'intimité.

Ils firent quelques pas dans la véranda, grandement ouverte sur les jardins, s'éloignant de la fenêtre de la chambre. Quiconque aurait levé les yeux vers le bâtiment aurait pu distinguer leurs silhouettes, mais Alex n'en avait cure. Durant un instant, il prit tendrement Luna dans ses bras, puis l'écarta légèrement pour lui parler.

- Je n'ai pas pu vous le dire plus tôt, commença-t-il. Sir Henry a reçu des nouvelles de Delhi. Une mutinerie a été déclenchée là-bas comme vous le savez. Mais cette mutinerie ne touche pas que les militaires. Elle vise aussi tous les civils européens qui se trouvent à Delhi ou dans les environs. Un voyageur a pu s'en échapper et est venu jusqu'ici. Sir Henry l'a reçu et cet homme lui a appris... que votre mari était mort. Et son compagnon aussi.

Luna porta ses mains à son visage, retenant un cri avec peine.

- Comment... réussit-elle à articuler en un souffle, puis elle reprit : Que dites-vous ?

- Russell et son compagnon sont morts, Luna, assassinés. Victimes des cipayes qui se sont mutinés.

- Mon Dieu...

Et elle se laissa aller contre Alex. Il l'entoura plus tendrement encore de ses bras. Elle ne pleurait pas, mais il la sentait choquée, son corps était agité de tensions. Elle secoua doucement la tête :

- C'est horrible... Alex... Je n'ai jamais imaginé... Je n'aimais pas Russell, vous le savez, mais... Mais qu'il soit tué... Qu'il meure ainsi... C'est horrible... Horrible...

Elle leva son visage vers le jeune homme. Les larmes coulaient désormais sur ses joues. Le regard d'Alex était grave. Il hocha légèrement la tête.

- Est-ce que... Qui vous a rapporté cette information ? demanda-t-elle.

- Un noble portant le nom de Lord Corneley et...

Il n'eut pas le temps d'en dire plus, le visage de Luna s'était métamorphosé.

- Lord Corneley ! Est-il... ici ?

- Il a trouvé refuge à la Résidence, oui, répondit sobrement Alex. Vous le connaissez ?

- Il a fait le voyage jusqu'à Delhi avec nous, depuis Brighton. C'est un homme... insupportable. Mais s'il a vu... Russell et... Bryce... Je pense qu'il dit la vérité. L'avez-vous rencontré ?

- Non, pas directement. Je l'ai tout juste croisé. Sir Henry m'a rapporté ses propos. Il est parvenu à quitter Delhi dès le début du soulèvement, il s'est retrouvé près de la propriété de votre mari, a voulu s'y rendre. La maison était vide, abandonnée. Mais il a vu... les... corps. Il est parvenu à s'éloigner de Delhi, pas tout à fait comme Sophie, Brenda et leur mère. Mais peu importe. Il a fini par arriver à Lucknow trois jours avant le soulèvement.

Luna avait écouté Alex avec attention. Elle ne mettait pas en doute les propos de Lord Corneley. Elle sentit l'émotion lui monter aux yeux et se raccrocha au regard d'Alex qui, de sérieux, s'adoucissait.

- Alex... Russell... Ce n'était pas un méchant homme. Il... Il était... différent. C'est tout. Ce qui lui arrivait n'était pas juste.

Alex la reprit contre lui, l'étreignit avec tendresse.

- Je comprends ce que vous voulez dire. Notre époque n'est pas favorable aux différences. Peut-être qu'un jour, des gens comme lui pourront vivre plus librement. C'est à souhaiter. Comme on peut espérer plus d'égalité entre les hommes, plus de respect. Enfin voilà... Voilà ce que j'avais à vous annoncer.

- Merci. Merci de me l'avoir dit.

Elle s'écarta un peu, le fixa à nouveau :

- Personne ne viendra nous prendre Myriam.

Alex hocha la tête et répéta, d'une voix très assurée :

- Non, personne ne viendra nous la prendre.

Puis il se pencha vers le beau visage, plongea son regard dans les perles noires et l'embrassa.

Avant de rejoindre l'état-major, Alex s'entretint quelques minutes avec Don Felipe, lui expliquant la situation. Luna leur précisa aussi à tous deux ce qu'il en était de Lord Corneley et, mentalement, Alex se promit d'essayer de le rencontrer, pour mesurer s'il pouvait se montrer dangereux ou pas, voire parler un peu avec lui pour obtenir d'autres précisions sur la mort de Russell Colleens. Mais quand Sophie apprit que Lord Corneley se trouvait avec eux, quelque part dans le périmètre de la Résidence, elle pâlit et laissa échapper un simple : "Oh mon Dieu, pas lui..." qui fut suffisamment éloquent pour qu'Alex comprenne qu'il valait mieux éviter qu'il ne rencontre une des jeunes femmes. Don Felipe lui assura qu'il allait prévenir aussi Ameera et Satya, la première n'aurait aucun mal à le reconnaître et à l'éviter.

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