Chapitre 27 : Une noce joyeuse

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Les Faulkner avaient organisé une belle réception pour célébrer les noces de leur fille aînée. Depuis plusieurs jours, bien qu'elle veillât aussi à ses obligations mondaines, notamment à destination des Colleens, Madame Faulkner était très occupée. Elle était debout avant l'aube et couchée tard pour que tout soit prêt. Elle avait encore à l'esprit le courrier adressé par les parents de William, enchantés de la nouvelle, mais regrettant de ne pouvoir être présents. Ils comprenaient bien la nécessité en revanche de célébrer la noce à Meerut. Son mari ne bénéficierait pas d'une permission avant deux bonnes années au moins et elle comptait bien leur rendre visite lorsqu'ils retourneraient, à cette occasion, en Angleterre.

La journée s'annonçait belle et pas trop chaude. Elle avait fait installer des tables et des fauteuils confortables dans le jardin, à l'ombre. Brenda avait réalisé de jolies décorations avec des fleurs. Madame Faulkner était contente d'elle, mais s'inquiétait quand même que tout se déroulât bien...

Si William était catholique, la famille Faulkner en revanche était anglicane et le mariage se déroula selon ce rite. Au cours de la cérémonie, Luna ne manqua pas de regarder Alex qui se tenait aux côtés de William. Ils n'avaient pas encore eu le temps de se saluer et la jeune femme espérait que la journée ne lui paraîtrait pas trop longue, qu'elle pourrait donner le change. A l'issue de la cérémonie, tous les invités furent conviés à se retrouver chez les Faulkner. Si Alex et Nagib, ainsi que quelques autres jeunes officiers célibataires firent le petit trajet à cheval, les couples allèrent en voiture. Dans la première se trouvaient William et Sophie. Même si la cérémonie était plus simple que celle de son propre mariage, Luna se sentait très émue par le bonheur des deux jeunes gens : elle n'avait pas souvenir d'avoir souri et affiché une quelconque joie lors de ses noces.

Les jeunes mariés saluèrent leurs invités, leur proposant de passer au jardin où les attendaient un buffet bien garni. Alex se trouvait déjà près d'une table quand Luna et son mari arrivèrent à leur tour. Il discutait avec quelques officiers, mais ne manqua pas de leur jeter un rapide regard.

Luna, depuis qu'elle avait rejoint son mari à Delhi, s'habillait à la façon européenne. Elle n'avait pas dérogé à cette règle pour cette réception et portait une belle et ample robe jaune. Ameera l'avait joliment coiffée, en décorant ses cheveux de fleurs d'un jaune assorti. Quand il la vit arriver, Alex nota mentalement que sa grossesse ne se voyait pas, mais qu'en effet, la robe qu'elle portait lui permettait aussi de la dissimuler. Même lui, en étant un peu attentif et surtout averti, n'aurait pu le voir. Il en ressentit un léger soulagement intérieur : au moins, si elle avait tu la nouvelle à son mari, celui-ci ne pourrait avancer cet argument pour la garder avec lui.

L'attention d'Alex se porta bien vite vers Russell Colleens. Même s'il souffrait de voir Luna s'avancer en étant à son bras, il était aussi curieux de découvrir cet homme et de mesurer l'attachement - même amical - qu'il pouvait lui porter. Il fut vite rassuré : les deux époux affichaient un air de profond détachement l'un vis-à-vis de l'autre, même si Russell se montrait tout de même un peu attentionné. Mais rien de plus que ce qu'un autre époux pouvait faire vis-à-vis de sa femme, comme c'était le cas parmi d'autres invités.

Et ce fut finalement le colonel Faulkner qui présenta Russell à Alex.

- Capitaine Randall, je crois que vous ne connaissez pas Monsieur Colleens. En revanche, vous connaissez son épouse...

- En effet, Colonel, répondit Alex d'une voix neutre avant de tendre la main vers Russell qui la saisit.

Alex s'était attendu à une poignée de main assez ferme, comme on s'en donne souvent entre hommes. Il ressentit au contraire une impression assez désagréable, comme si un animal un peu mou l'avait touché. Russell le dévisageait aussi bizarrement et Alex comprit alors une réalité que Luna lui avait pourtant révélée : son mari préférait les hommes et les regardait tous d'une façon différente. Le regard de Russell ajouta au sentiment bizarre et désagréable que le jeune capitaine éprouva alors : celui d'apparaître comme un amant potentiel. Il décida de s'en tenir à des platitudes, car, déjà, Russell Colleens lui disait :

- Bonjour, Capitaine. Vous êtes un ami du major MacLeod, n'est-ce pas ?

- Oui. Nous avons fait nos études militaires ensemble et avons également servi sous les ordres de Sir Lawrence, au Pendjab.

- Vous avez combattu ? interrogea Russell avec une étrange lueur dans le regard, comme s'il avait été à la fois admiratif et dégoûté.

- Oui, répondit sobrement Alex. Vous-mêmes êtes à Delhi ?

- En effet. Mon père y possède un vaste domaine, à la sortie de la ville... Il me fallait m'en occuper. C'était aussi une bonne occasion pour mon épouse de revoir sa famille, mais je crois que cela, vous le savez...

- Effectivement. Sa famille se trouve à Lucknow et je connais un peu Don Felipe de Malanga. J'aurais de ses nouvelles à lui transmettre, mais cela pourra attendre un autre moment que cette réception.

- Ah ? s'étonna Russell.

- Oui. Ces nouvelles... ne sont pas très bonnes, or cette journée doit être celle de réjouissances, vous comprenez...

- Oh, fort bien... Dans ce cas, vous pourriez passer la voir plutôt demain... Vous serez encore là, n'est-ce pas ?

- Oui, je ne compte pas repartir avant quelques jours.

D'autres invités s'approchèrent alors pour saluer le colonel et Alex en profita pour engager une conversation plus sérieuse avec l'un des officiers, le major Fersen. C'était un homme aguerri, qui avait de longues années de service aux Indes derrière lui. Il commandait l'un des régiments indigènes de Meerut. Ils évoquèrent ensemble la situation d'Oudh.

**

William avait levé son verre en direction des invités. Sophie, souriante, se tenait à ses côtés.

- Merci à vous pour votre présence, commença William. Nous sommes vraiment très heureux, Sophie et moi, d'avoir pu compter sur vous tous pour ce jour mémorable. Je remercie notamment nos amis qui sont venus de Delhi et de Lucknow, mais aussi de beaucoup plus loin... Sammy, à toi !

A ce moment, on vit arriver du fond du jardin un soldat en costume des Highlands, qui se mit à jouer un air de cornemuse. Luna n'en avait jamais entendu et elle ouvrit de grands yeux. La plupart des invités n'étaient pas dans ce cas, y compris son mari qui avait eu l'occasion d'assister à un défilé de Highlanders, à Londres, pour un des anniversaires de la Reine. Cette dernière, disait-on, les appréciait beaucoup. Quand le musicien eut terminé, Sophie reprit la parole pour le remercier à son tour et dit :

- William m'a demandé d'habituer mes oreilles à la cornemuse, car il estime que rien ne vaut d'être réveillé par un de ces airs et que, le jour où nous irons à Inverie, dans sa famille, j'en entendrai tous les jours ! Je vous avoue que je me demande comment le général Nicholson réagira quand Sammy viendra jouer un air sous ses fenêtres, à l'aube.

Luna s'amusa à l'entendre. Elle ne savait pas, en effet, quelle tête ferait le général, mais elle, elle imaginait déjà Sophie et William parcourant les Highlands. Elle n'avait qu'une vague idée de ces paysages, bien que William se soit employé, au cours d'une des soirées précédentes passées en sa compagnie, après le dîner, à les leur décrire. Quand ils étaient rentrés à leur bungalow, Russell avait simplement dit : "Les Highlanders sont des sauvages, ma chère, je doute que votre amie Sophie les apprécie. Leur terre est pauvre et ces gens vivent comme des misérables. Ils ont été cependant à l'Angleterre ce que sont les Indes aujourd'hui : une terre de conquête à pacifier et à dominer. Il était grand temps de leur apporter la civilisation." Luna n'avait rien répondu, mais elle avait senti naître en elle une bouffée de sympathie pour le peuple de William qui possédait donc un point commun avec celui qu'elle considérait comme le sien.

Cette petite déclaration de Sophie suscita quelques rires et sourires appuyés. Luna aussi sourit doucement, mais, au fond de son cœur, elle ne pouvait s'empêcher de ressentir une blessure. Ses propres noces s'étaient déroulées dans le faste. Elle avait vécu ce moment avec beaucoup de distance. Comme s'il s'était agi d'une autre personne. Elle jeta brièvement un regard vers Alex, debout à quelques mètres de William, un peu sur la gauche par rapport à elle. Elle l'avait à peine regardé depuis qu'ils étaient arrivés et ne lui avait pas encore parlé. Il avait le visage fermé, sérieux. Elle l'avait vu échanger quelques mots avec son mari, puis avec plusieurs officiers. Retenue par Sophie et par les épouses de deux jeunes officiers, à peine plus âgées que Sophie et elle, elle n'avait pas eu l'occasion de le saluer. Elle ne pourrait l'ignorer plus longtemps, au risque que cela intrigue jusqu'à son mari. Russell savait en effet qu'Alex et elle se connaissaient. Elle s'était bornée à lui dire que l'ami du major MacLeod, que l'on attendait pour célébrer le mariage, était un ami de son grand-père et qu'elle avait eu l'occasion de le croiser à Lucknow. Elle avait d'ailleurs ajouté qu'elle espérait qu'il lui apporterait des nouvelles de Don Felipe.

Alors que William et Sophie souriaient à la ronde, Luna ne put s'empêcher de s'imaginer à la place de sa jeune amie, si heureuse et rayonnante. Et d'imaginer Alex à ses côtés. Elle ressentit cruellement la dure réalité : jamais ils ne pourraient vivre ensemble. Il leur faudrait toujours se cacher, ne jamais pouvoir paraître ensemble en public. Même si elle parvenait à vivre loin de son mari...

Après les quelques mots de William et Sophie, les conversations reprirent entre les invités. Luna écoutait distraitement les échanges entre les jeunes femmes avec lesquelles elle avait fait connaissance, et elle ne put s'empêcher de sursauter en entendant la voix chaude d'Alex lui parler :

- Madame, pardonnez-moi, j'étais en grande conversation avec plusieurs de ces messieurs et je n'avais pas encore eu l'occasion de vous saluer.

- Bonjour, Capitaine Randall, fit-elle en lui tendant la main qu'il prit pour un salut des plus conventionnels, du moins en apparence : car elle sentit bien la douce chaleur de ses doigts sur les siens et comme une infime caresse alors qu'il lui relâchait la main.

- Aviez-vous fait bon voyage jusqu'à Delhi ? demanda-t-il.

- Oui, merci. Tout s'est bien passé. Est-ce que... Permettez que je vous demande si vous avez des nouvelles de mon grand-père ?

- Il m'a confié un message pour vous, oui. Pourrais-je vous l'apporter demain ?

- Oui, bien sûr. Je vous remercie...

Alex eut un mince sourire.

- Ce n'était pas une charge pour moi. Je vous laisse à votre conversation. Je passerai vous voir dans la matinée.

Et il la salua d'un bref signe de tête. Pour Luna, cet échange était des plus frustrants, mais elle avait aussi fait de son mieux pour rester polie et courtoise, sans rien laisser paraître de ses sentiments.

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