Orgueil et Préjudice Jardinier partie 2

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La paix revenue dans la librairie, la jeune femme retourna à sa tasse de thé, maintenant froide, et s’adossa à son bureau. Quelque chose la tarabustait dans l’attitude de Madame Stuart, mais elle n’arrivait pas à mettre le doigt dessus. Ce n’était pas très étonnant : une des raisons pour lesquelles elle avait décidé d’ouvrir une librairie était parce qu’elle avait beaucoup plus de facilités à comprendre les livres que les gens. Et à ce jour, elle n’avait pas vraiment trouvé de solution à ce problème.

La jeune femme baissa la tête et soupira un bon coup. Il paraissait que c’était excellent pour les chakras. Lorsqu’elle releva les yeux, elle se demanda si elle n’aurait pas plutôt dû nettoyer son karma, car monsieur Muller s’apprêtait à pousser la porte de sa librairie. Lydia se redressa et se composa un sourire. Contrairement à Madame Stuart, le vieil homme n’était que rarement venu à la librairie. La pensée la traversa que lui aussi venait peut-être la blâmer pour cette histoire de poissons et de jacinthes. Avec la chance qu’elle avait, Chloris s’était coincé une arête dans la gorge et elle allait devoir payer les frais de vétérinaire.

- Bonjour Monsieur Muller, risqua-t-elle. Une tasse de thé ?

Pour toute réponse, le vieil homme lui adressa un hochement de tête. Il se dirigea ensuite vers le relatif fond de la pièce, s’immobilisa quelques minutes devant les livres pour enfants avant de glisser en direction des classiques, puis de revenir vers Lydia en passant par les livres de poésie et les écrits féministes. Il s’arrêta un instant devant elle, ouvrit la bouche, la referma, et repartit, cette fois-ci apparemment fasciné par les quelques ouvrages sur l’origami que Lydia gardait dans sa minuscule section Loisirs – le loisir était incroyablement populaire auprès des lycéens du voisinage. Voyant qu’il ne semblait plus enclin à bouger pour le moment, la libraire se rapprocha, prenant soin d’annoncer son arrivée en appuyant légèrement sur les lattes qui grinçaient de son plancher pour ne pas l’effrayer davantage. Cela n’eut hélas qu’en partie l’effet escompté. Monsieur Muller se retourna d’un bloc, comme s’il s’apprêtait à faire face à son bourreau.

- Peut-être puis-je vous aider à trouver ce que vous cherchez ? essaya Lydia, un sourire qu’elle espérait engageant aux lèvres.

Au regard que lui lança Monsieur Muller, elle se demanda si elle ne s’était pas trompée de corps ce matin et était venue à la librairie sous la forme d’un démon de trois mètres de haut aux ailes de chauve-souris au lieu de celle de petit bout de femme un peu trop rondelette à son goût. Un rapide coup d’œil à la vitrine la rassura : elle était bien toujours la même avec ses lunettes, ses yeux myopes et sa touffe de cheveux bruns rassemblée en une tresse un peu maladroite par pure flemme de la faire correctement. Elle haussa imperceptiblement les épaules à l’intention d’elle-même et reporta son attention sur le pauvre homme, qui se dandinait maintenant d’un pied sur l’autre.

- Vous voulez quelque chose pour vous, peut-être ? Ou pour faire un cadeau ?

Manifestement, même cette approche ô combien innocente ne suffit pas à rasséréner le pauvre monsieur Muller. Ce dernier planta ses yeux dans le sol si violemment que Lydia se demanda si elle n’allait pas y retrouver un trou, et rougit comme une de ses pommes de compétition. La situation était inédite. La jeune femme sentit son cœur s’emballer et ses mains devenir moite. Elle reconnaissait les symptômes. Elle Essaya de toutes ses forces de se contenir, mais il était trop tard. Les vannes avaient lâché.

- Si vous cherchez quelque chose pour vous changer les idées, j’ai tous les Conan Doyle. Le lycée m’en avait commandé un tas, mais certains élèves ne sont jamais venus les chercher, et comme ça fait plus d’un an, je les ai remis en vente. Ou sinon, j’ai des livres très intéressants sur la méditation zen. On ne sait jamais, si c’est ce que vous aimez. Ou Des Sudoku, aussi, c’est bien les sudokus.

Tout ça d’une traite, comme si ça vie en dépendait, avec seulement un semblant de ralentissement coupable sur sudoku, à mesure qu’elle réalisait que plus elle parlait, plus monsieur Muller avait l’air de se recroqueviller sur lui-même. Fichue langue qui s’agitait plus vite que ses neurones !

- Mas si vous préférez, j’ai des romances, c’est bien les romances…

Oups, elle l’avait encore fait, et certainement pas avec la classe de Britney Spears. Cette fois-ci, cependant, elle crut déceler une lueur d’intérêt dans le regard de monsieur Muller. Elle se mordit la langue pour ne pas en rajouter encore, d’autant plus que les lèvres du vieil homme étaient en train de s’activer. Silencieusement d’abord, puis avec un support minimal des cordes vocales

- Vous voulez dire… une histoire d’amour ? articula-t-il si bas que Lydia le lut davantage qu’elle ne l’entendit.

- Des histoires d’amour, même. Plein. Il y a beaucoup de gens qui adorent ça, ici, vous savez. On en lit régulièrement au club de lecture.

- Ah bon, même…

- … même ?

Elle n’aurait pas dû relancer. Monsieur Muller, qui commençait seulement à regagner une couleur plus saine venait de virer à nouveau au rouge pivoine, et le temps qu’elle enregistre cette information, il avait déjà passé sa porte et s’éloignait en courant dans la rue.

- Mais qu’est-ce qu’ils ont tous, aujourd’hui ? grommela Lydia en refermant correctement derrière lui. D’abord Madame Stuart, maintenant monsieur Muller, …

Elle s’arrêta au milieu de la phrase. D’abord parce que l’idée qu’elle venait d’avoir était tellement incroyable qu’elle n’était pas sûre de pouvoir la sortir de sa bouche sans pinces, et ensuite parce que sa vitrine venait de voler en éclats.

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