27. Sable Blanc

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Le visage de mon patron se liquéfia progressivement à mesure qu'il terminait son cocktail. Je vis le fluide coloré se suspendre lentement à ses lèvres alors que ses pupilles s'étaient rapidement décalées vers moi. C'est tout juste s'il ne recrachait pas le liquide directement sur la table !

Sa mine surprise m'arracha un sourire et parvint, l'espace d'un instant, à me faire oublier la situation.

Il passe une main derrière sa tête, semblable à un adolescent gêné, et me dit :

-Euh... Tu permets que l'on discute de ça une fois l'estomac rempli ? Parce que je sens que la discussion va être chargée...

Je riais de bon cœur.

-Accordé, je t'offre mon indulgence.

-Vous êtes bien bonne, Mademoiselle.

Je reportais mon attention sur le menu en secouant la tête. Au fond de moi, l'envie dévorante et addictive qui me réduisait en esclavage tendait à se calmer, entrant en conflit avec mon désir de passer une pause repas calme et enjoué eaux côtés de mon patron.

Nous nous décidions enfin à prêter un peu d'attention à ce pauvre menu qui avait déjà les pages cornées à force d'être compressé entre mes doigts anxieux. Je laissais mon regard fureter entre les différentes lignes de la carte.

La quantité de plat proposant du poisson était vertigineuse ! C'est donc tout naturellement que Stelio fit son choix sur une spécialité à base de crabe. Nos commandes envoyées, je recentrais mon attention sur mon accompagnateur. Il m'avait gentiment cédé ses lunettes car je me trouvais en face du soleil.

Ce prêt m'arrangeais bien, mais le vent et le sel marin paraissait déranger Stelio qui gardait les yeux plissés, ses longs cheveux attachés s'agitant de temps à autre.

-Alors, commença-t'il, comment s'est déroulée ta matinée ?

-Magnifique ! Lachais-je, Zéfinna est vraiment une femme incroyable. Je me demande bien quel âge

elle a...

-Elle a 47 ans.

Je manquais de cracher le contenu de mon verre. Dieu sait pourtant à quel point ce cocktail pouvait être délicieux ! Mais là... Quarante-sept ans ?! Comment était-ce possible ?!

Stelio sourit devant mon expression choquée. J'avais toujours la redoutable impression qu'il lisait en moi comme dans un livre.

Je vis son visage se tordre en un sourire carnassier :

-Si tu m'offres le repas, je ne lui répèterais pas que tu as réagit comme ça...

-Ha ! Éclatais-je en le faisant sursauter en plus de quelques autres voisins de table, tu oublies que c'est toi qui vient de me faire une telle révélation ! C'est toi qui devrais craindre ses furieux coups de pieds !

Stelio se mordit la lèvre. Je commençais à devenir une adversaire à sa taille.

Le répit s'imposa pour chacun lorsque, d'un air royal, le serveur nous servit chacun de nos plats derrière lesquels nous disparaissions presque.

Je me délectais de ce sentiment d'avoir tous mes sens parfaitement comblés. Je respirais l'odeur succulente des légumes que l'on m'avait servis, l'ode de la mer caressait mes tympans, couvrant les discussions enjouées de nos convives.

Et en face de moi, mon si taciturne et sévère professeur semblait voguer sur des houles de douceur, ne pestant même pas après le sable se collant dans ses cheveux.

Et pourtant...

En dépit de ce sentiment gratifiant de plénitude et de détente, un petit poison, une petite fleur obscure, croissait dans ma cage thoracique.

Cette obsession persistante pour cette mystérieuse porte. Mon cœur en avait les battements altérés.

Sans m'en rendre compte, je m'étais saisie de ma serviette que je passais nerveusement sur mes lèvres. C'était là le genre d'erreur que je devais absolument éviter face à un homme aussi intelligent que mon patron...

-Mais qu'est-ce que tu as Sadae ? Zéfinna t'as fait une remarque désagréable ? Ou bien c'est moi ?

Je relevais la tête, stupéfaite.

-N... Non ! M'exclamais-je, Zéfinna a été parfaite, admettais-je sincèrement. Quant à toi, non, tu ne m'as rien fait !

Son regard adopta l'expression lourde de ceux qui savent que, malgré eux, ils font un mal que l'on ose pas leur révéler.

Il me fallait trouver quelque chose ! Un prétexte, un motif, un moyen intelligent de retomber sur mes pattes ! Pour le bien être de Stelio et pour ma sécurité...

La réponse me vint toute seule.

-Cela n'a rien à voir mais... En regardant mes mails, j'ai découvert que des problèmes avaient étés observés à mon appartement suite à mon départ. Un problème de fuite d'eau...

Je tentais de dissimuler mon malaise en me remémorant la raison pour laquelle ces fuites d'eau étaient apparues.

-Mon propriétaire m'a envoyé un message exigeant une certaine somme d'argent pour les réparations...

Il leva presque les mains au ciel.

-Mais il fallait me le dire enfin, Sadae ! Je peux te faire une avance ! Déjà, il me faut te rembourser le billet d'avion et le voyage en bus !

Il avait l'air si franc...

-Et en plus de ça, s'exclama-t'il, j'ai une surprise pour toi.

Mon cœur se suspendit. Je m'en voulais comme si j'avais déjà franchi cette porte ou que je savais très bien que j'étais destinée à le faire.

Il m'invita d'un geste de main.

-Tu ne verra rien de là où tu es avec ce satané soleil. Viens à côté de moi.

J'obéissais sobrement, contournant la table pour me pencher au dessus de l'épaule de mon patron. De là où j'étais, je pouvais humer le parfum masculin et sensuel dont il s'était enduit pour son rendez-vous de ce matin. Même l'air marin ne savait l'ôter de mes narines.

Stelio s'était saisit de son téléphone, que je remarquais comme étant à peine moderne. Il m'y dévoila des images absolument féérique d'une ville qui avait un aspect complètement urbain, mais possédait un charme suffisant pour arborer des maisons et bâtisses extrêmement colorées. Elles avait autant un aspect pittoresque que grandement sophistiqué.

-Quel est donc cet endroit ? Demandais-je, fascinée.

-Ça t'intéresse, hein, lâcha le grand brun avec mesquinerie. Il s'agit de Baltimore, la ville la plus peuplée de l'état du Maryland ! Elle se trouve à deux heures d'ici, et si mon rendez-vous de ce soir se déroule bien, tu devras m'y conduire... Dès demain !

Je me relevais vivement, les yeux stupéfaits. Je ne me sentais pas encore capable de parcourir une telle distance !

-Ne t'inquiètes pas, je serais là pour te guider et puis, pense à ce qui t'attends une fois là-bas ! Il n'y a pas une chose qui ne soit pas à faire ! Il y a tout ! Boutiques, musées, représentations... Tu n'as pas moyen de t'ennuyer !

Je réfléchissais calmement à ses paroles en regagnant ma place. L'idée de visiter une ville aussi fabuleuse me motivait énormément, mais d'un autre côté...

C'est alors qu'une question totalement logique vint couler au travers de mes lèvres. Je ne le su qu'après l'avoir prononcée, mais elle avait un goût amer.

Un goût de venin.

-Dis-moi Stelio, quel est donc ce travail auquel tu dois tant te rendre ?

Son sourire disparu d'un coup pour laisser place à l'expression que j'avais connue de lui en l'apercevant la première fois. Une énorme froideur couplée d'une gravité écrasante. Était-ce là le véritable visage de mon patron ? Ou l'un de ses innombrables masques ?

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