28. Piège de Satin

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L'expression de Stelio s'était assombrie.

-Je m'entretiens avec différentes personnes pour leur proposer des démonstrations sportives, Sadae, confia-t'il. Tu es venue ici pour être mon chauffeur, pas pour poser des questions. Tu n'as pas besoin d'en savoir plus.

Je manquais de m'offusquer mais me retint. Je me doutais un peu qu'il ne voudrait pas me parler de son travail. Il était évident, de toutes façons, que mon patron avait plusieurs choses à cacher. Je décidais de légèrement insister, histoire d'analyser sa réaction.

-Mais pourquoi ? J'aimerais tout de même savoir dans quoi je te mène... C'est mon droit, non ?

Ses yeux se plissèrent. Il n'eut pas besoin d'ouvrir la bouche pour que je comprenne qu'il était mieux pour moi de ne rien dire de plus.

Le serveur revint vers nous, deux gâteaux sur les bras. Nous ne les avions même pas commandé, je devinais donc qu'il s'agissait d'une spécialité directement offerte avec le menu.

Je le dégustais dans le calme, savourant la délicate douceur que donnait le mélange de l'arôme sucré et piquant du gâteau avec la texture crémeuse et nuageuse de mon cocktail. J'en ressentais des caresses tout le long de ma colonne vertébrale. Sur mes lèvres demeurait encore quelques perles de mousse que je m'empressais d'aspirer. Après cette saveur, ma bouche affichait malgré elle un sourire béat. Tous mes sens étaient ravis de l'instant qu'ils venaient de savourer.

-C'est quelque chose, hein ?

Stelio me sourit, le poing enfoncé dans l'une de ses joues. Il a tout perdu de la mine sombre qu'il avait quelques instants plus tôt.

-Le goût du cake, l'odeur de la mer, le son des vagues, le fouet de la crème, la caresse du sable... Ce n'est pas quelque chose qui s'assemble souvent, n'est-ce pas ?

Je souris.

-Non, c'est vrai. Mais je dois admettre préférer la montagne.

-Ah ! Répond-il en croisant les bras. Je dois admettre que je suis un peu comme toi. Les paysages y sont plus variés, je trouve.

-Tu as visité davantage de pays comportant des montagnes ou plutôt des plages ?

-Haha... Eh bien, disons que j'ai été suffisamment malin et chanceux pour avoir presque à chaque fois les deux !

-Et tu as pu en visiter beaucoup pendant tes voyages ?

Il prit un air pensif et faussement rêveur, regardant le ciel à la recherche de ses souvenirs. Il nous prend souvent cette envie étrange d'imaginer qu'ils se trouvent parmi les nuages.

-Mmmmmh... Hélas, pas tellement. Les tournois prenaient du temps. Je n'étais pas vraiment là pour le tourisme... Contrairement à certaine !

Il me dit cela en me regardant avec insistance de ses grands yeux. Je joignis les mains sous mon menton et affichais mon plus beau sourire. J'avais bien saisit la référence à ma personne, mais je ne me laissais pas démonter.

Stelio se cala dans le fond de son siège. Il regardait le ciel.

-Je vais avoir besoin que tu me guides. Tu vas me déposer vers mon prochain rendez-vous. Après ça, je veux que tu rentres à la maison, et que tu n'en sortes plus jusqu'à mon retour, d'accord ?

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Le soleil commençait à décliner. Et l'ambiance sereine et lumineuse de la ville avec lui. Stelio m'avait faite partir très loin. Bon prince, il avait cette fois doté le véhicule d'un GPS qui m'indiquait docilement le chemin à suivre. Et il y avait de quoi ne pas être déçu. Je passerais sur tous les paysages habituellement joyeux que j'avais pu apercevoir, mais la face du pays que je découvrais à présent était sombre. Et pas uniquement de par la luminosité déclinante. Non, toute l'atmosphère qui se dégageait des murs, des jolis portiques et des jardins entretenus envahissait l'habitacle de la voiture d'une fumée angoissante.

Je finis par atterrir dans une rue n'ayant strictement rien à voir avec les autres. Lumineuse, colorée, elle me rappela un instant celles du pays que j'avais quitté. Plusieurs enseignes, d'ailleurs, étaient inscrites en dialectes japonais.

-C'est un quartier asiatique ? Demandais-je à Stelio qui venait de me demander de m'arrêter.

-Tu n'as pas à le savoir, petite curieuse, lâcha-t'il d'un air dédaigneux et franchement détestable en claquant la portière. Demandes à Monsieur GPS de te montrer l'itinéraire inverse pour que tu rentres à la maison et attends-moi là-bas sagement. Penses à Baltimore !

Je croisais les bras derrière le volant, véritable gamine capricieuse. On aurait pu me faire jouer dans une pub ! Voyant ma moue, Stelio se retourna, sans montrer la moindre pitié dans son air sérieux. Une fois ces lunettes enfilées, il était parfaitement impénétrable.

Il se rapprocha lentement de moi. Pendant un instant, l'aura menaçant qu'il avait dégagé la première fois que je l'avais vu me revint en tête.

Il se pencha à la portière.

-Sadae... Quoi que tu fasses sur le chemin du retour, ne te retournes pas, d'accord ? C'est un gage de confiance que je te demande. Tu peux utiliser toute l'essence que tu veux, visiter le quartier voisin... Mais ne revient pas ici, d'accord ?...

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Je pénétrais dans la maison en pestant. J'avais scrupuleusement suivi l'itinéraire indiqué par le GPS sur le chemin du retour, trop effrayée à l'idée de me perdre de nuit sur l'un des Etats dans lesquels tout est immense. Et j'avais surtout été trop gentille pour désobéir !

Je trainais du pied dans la maison tel l'un des fantômes que j'avais cru apercevoir dans les jardins austères des maisons qui nous avaient encerclés de leur climat pesant. Je revoyais encore la brume grise s'entourant autour de leur portails de fer noirci, les fourches et boucles pointées vers le ciel qui en composait l'architecture...

Y rester plus longtemps aurait bien pu  signifier me faire engloutir par la brume.

C'est donc avec un certain plaisir que je profitais d'avoir la maison pour moi seule. J'avais déjà goûté avec délectation mon retour dans ce petit sanctuaire rassurant. Je me dirigeais sans plus attendre vers la salle de bain. J'avais décidé de me faire une soirée royale.

Pendant que mon bain coulait, je me préparais un petit régal à la cuisine. Tourte d'automne et jardinière de légumes, avec poire belle-Hélène en dessert. Il ne me manquait plus qu'un petit disque de jazz et un délicieux roman fantastique.

Le doux arôme des légumes cuisant commençait à embaumer la pièce. Soudain, je me retournais.

Elle. Elle était toujours là. Encore plus princière que ma soirée, la porte me toisait de son air de défi.

Elle m'effrayait encore plus que les maisons que j'avais dépassé tantôt. Car ce qui était terrifiant avec cette porte, ce n'était pas tant ce qu'elle renfermait. Mais ce que moi, je pouvais être tentée de faire avec ce qui se trouvait derrière. Et ça, ça me faisait très TRES peur..

Pourtant, de nouveau, le poison sournois de l'envie et de la curiosité m'envahissait. J'avais de nouveau cette envie terrible de caresser de mes doigts les détails et secrets de cette porte, tout en sachant que, progressivement, le désir de la traverser serait de retour. J'avais envie de me laisser dominer et infestée par cette abominable adrénaline de l'interdit.

Le four sonna. Ma tourte était cuite. Je maugréé presque. Au fond de mes tripes, les chimères de l'excitation se raidirent et s'écrasèrent au fond de mon âme, promesse amère de leur résurrection prochaine.

Je me saisissait d'un plateau à l'allure étrangement coquette pour y disposer mes couverts. Le tout donnant un ensemble très apaisant et adorable, mais qui ne parvient pas à me remonter le moral.

Je relevais la tête avec arrogance à l'instant de mon passage devant la porte maudite, pour foncer vers la salle de bain se situant au bout du couloir.

Cette simple mouvement tétanisa ma colonne vertébrale au point qu'elle tressaillit. Derrière moi, j'avais le sentiment insoutenable que la porte, capable de voler, se déplaçait pour me rattraper...

Je m'engouffrais dans la salle de bain et en fermais la porte à clé.

Le dos collé à la paroi de bois, je soufflais. J'abrégeais vite mon expiration pour poser négligemment mon plateau sur un meuble et arrêter l'écoulement de l'eau dans la baignoire. C'était sur le point de déborder.

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