26. Fauchée

6 minutes de lecture

Je scrutais la planche de bois située au fond du couloir, les yeux immenses. J'avais l'impression qu'elle était incroyablement éloignée de moi, comme inaccessible. Et pourtant, je n'eus aucun mal à distinguer l'image qui y été accrochée, touchante et affectueuse, juste au-dessous du Judas.

Bien encadrée sur le papier glacé, la photo et l'adresse de l'auberge où Stelio m'avait invitée (et que j'étais à la base venue chercher) trônait fièrement. La petite maison de bois dégageait une chaleur charmeuse qui pénétrait mes yeux au point de, peut être, en changer la couleur.

Elle semblait sincèrement me dire « Coucou, je suis là ! Regarde comme je suis jolie... ».

Je me pinçais fermement les lèvres. Juste au moment où je m'apprêtais à me saisir de cette porte et découvrir son intérieur, ma moralité m'avait rattrapée. Je n'avais sincèrement aucune envie de décevoir Stelio. J'avais juste envie de le retrouver à une table de cette auberge, et d'enfin partager un bon repas à ces côtés.

Désespérée, je me dirigeais vers la porte et saisissait la photo se trouvant dessus. J'en lisais l'adresse avec autant d'attention qu'un fantôme, la déception ancrée sur le visage.

Je constatais aussi, avec amertume, que le temps dépensé ici me ferait une excuse de plus à présenter à Stelio, et cela, je n'en avais aucune envie.

Je jetais un dernier regard au-dessus de mon épaule. Mesquine, l'ombre occultant la porte interdite semblait tracer un méchant sourire. Je retournais jusque dans la cuisine sans la quitter du regard. Je ne la quittais des yeux que pour récupérer mes affaires et les clés de la voiture et de la maison.

J'attribuais un air bougon à ma tentative ratée et me dirigeais vers la porte de sortie. Je me promettais, sans trop me l'avouer, de résoudre ce mystère (et ce problème) très prochainement. Il semblait en aller de ma santé mentale.

---------------------------------------------------------------------------------------

Stelio était attablé en extérieur, la tête tournée vers la soleil. Il portait d'imposante lunettes noires couvrantes et semblait tendrement apprécier la chaleur naturelle. Pour ne pas changer, il portait des vêtements noirs, mais ces derniers étaient cette fois plus couts que ce que j'avais eu l'habitude de voir.

Je me dirigeais vers lui, tentant de chasser l'air contrarié habillant mon visage. Évidemment, il ne me loupa pas.

-Oulà ! Zéfinna t'a mise en retard au point de te faire attraper les bouchons ?

Je ne disais mot. Je n'avais même pas envie de relever sa remarque.

Stelio afficha une mine surprise face à mon silence.

-Bah... Quoi qu'il en soit, ne m'en veux pas, mais j'ai déjà commandé (et consommer) ma boisson. Je t'attendais plus tôt....

Un frisson me parcouru, que je réprimais du mieux que le pouvait. Etait-il possible qu'il ait compris ?...

-Mais ne t'inquiète pas, je vais en prendre un autre avec toi. Garçon !

Jovial, Stelio se retourna. Il était sacrément joyeux ! Il avait pivoté sur sa chaise pour alarmer d'un ton entraînant le serveur de mon arrivée. Il se retourna de nouveau en face de moi et m'affubla d'un sourire bienveillant.

J'aurais tant aimé que la courbe de ses lèvres, relevées vers le ciel, caresse gentiment mon cœur. Mais au lieu de cela, c'est un lancinant poignard qui le transperça.

J'étais si honteuse, si coupable...Mon patron et hôte m'offrait enfin un visage chaleureux et sympathique, alors même que, il y a quelques minutes, j'avais été sur le point de violer le serment que je lui avais fait.

Le serveur se rapprocha de moi. Il affichait un sourire accueillant, masquant la gêne qui le tiraillait à chacun de ses pas de par le sable que chacun d'eux soulevait.

-Alors ? Que prendra Mademoiselle ?

Stelio accentua son sourire. Je savais très bien ce qu'il pensait de cette appellation.

-Tu fera attention, lui lançais-je, tu as du sarcasme qui coule au coin des lèvres.

Il bascula sa nuque en arrière et égaya le chant des vagues d'un rire sonore.

Je le regardais avec dédain avant de me saisir de la carte tendue. Mes yeux continuèrent de le fusiller au-dessus du bord de la carte, jusqu'à ce que je me décide à lui laisser un peu de répit, le temps de choisir ma commande.

-Un Pinacolada, s'il vous plaît.

-Comment ça avec alcool ?! S'offusqua Stelio en s'énervant si fort que je percevais ses sourcils se tordre derrière ses lunettes. Tu sais que tu dois reconduire après ?

-Je suis largement en mesure de rester lucide avec un simple cocktail.

Un silence empoisonné et spectral suivit ma phrase. Je croisais mes bras sur la table et baissais ma tête. Le soleil tapait fort sur cette dernière, ce qui m'empêchait de fixer trop longtemps mon patron, assis en face de moi.

Et cela m'arrangeait bien. L'acte que j'avais manqué de commettre m'envahissait d'une telle culpabilité que j'aurais été incapable de le regarder en face.

Soudain, une ombre imposante me soulagea des assauts de l'astre solaire. Je tournais la tête pour découvrir mon professeur, qui avait quitté sa chaise pour se rapprocher de moi. Il me considéra un instant, qui me tétanisa tant j'étais persuadée qu'il avait découvert mon secret.

Il porta ses mains à ses yeux et en enleva les épaisses lunettes noires qui les recouvraient. Lentement, il plaça un genoux à terre, tentant au maximum d'épargner à son pantalon des grains de sable assassins.

C'est avec un soin professionnel qu'il plaça les lunettes sur mon nez, les enfonçant sur mes oreilles avec une délicatesse mesurée avant de les lâcher. Il se releva ensuite pour regagner sa place.

-Je vais appeler Zéfinna, fit il en s'écroulant sur sa chaise comme si cette marque d'attention avait consommée toute son énergie. Je t'ai certainement fait commencer ton entraînement trop tôt...

Je sentis mon cœur s'écraser...

-Quoi ? Pourquoi dis-tu cela ?!

-Parce que tu reviens de ton premier entraînement et tu me tires déjà une tête de six pieds de long. C'est de ma faute. J'ai été cruel de t'imposer cela dès le début, excuses-moi.

...et se répandre en petits morceaux équitales sur chacun de mes entrailles. Horrifiée, je m'exclamais :

-Non, Stelio, je t'en supplie ! J'ai adoré mon entraînement avec Zéfinna ! J'y ait ressentie certaines des sensations les plus agréables depuis mon arrivée ! Je me suis de nouveau sentie... A fond ! Et puis, elle est tellement cool...

Mon interlocuteur me fixait à présent de ses yeux dénudés. Il avait saisit son téléphone et affichait un air très sérieux. Je n'arrivais plus à énumérer combien de facettes cet homme m'avait montré de lui depuis que je l'avais rencontré. Mais ces changements constants ne me plaisait pas.

J'avais pourtant mis toute ma conviction et ma sincérité dans les dernières phrases prononcées. Mais je savais, au fond de moi, qu'elles n'étaient là que pour cacher mon malaise latent.

L'obsession de cette porte, l'envie dévorante de découvrir ce qui se trouvait derrière, ou de simplement en saisir la poignée était totalement en train de me consumer. La pensée vorace de ce mystère avait déjà totalement imprégné la totalité de mes cellules. Elles ne s'activaient plus désormais que pour me rappeler l'existence ultime de cette porte.

Stelio, convaincu par mon discours, s'était remis à sourire. Il rangea son téléphone d'un geste et il plaça une jambe sur l'autre, souriant.

-Bon, eh bien si tu veux remettre ça demain, il va te falloir prendre des forces !

Il se tourna vers le serveur et lui fit un petit signe de tête. Derrière l'écran opaque des lunettes, je détaillais une nouvelle fois cet endroit que j'avais trouvé magique, en soirée.

A cette période méridienne, le soleil caressait les vagues et le bois de l'auberge. Je voyais la plage de sable se disloquer sous les pas enjoués des touristes et des serveurs s'activant.

Je ne parvenais à ressentir aucune joie ni aucune saveur de ce qui m'entourait. J'étais désespérée.Je serrais la mâchoire.

-Tu es sûre que ça va, Sadae ?

Stelio m'interpella, l'air franchement inquiet. Je n'avais aucune envie de lui mentir, mais je ne voyais vraiment pas ce que je pouvais lui dire d'autre.

-Oui, tout va bien, ne t'inquiète pas.

Il arbora une expression décomposée alors que le serveur arrivait avec deux cartes de menus. Mais en dépit des alléchantes propositions, aucunes d'entre elles n'aurait contenté mes organes.

-Je me permets d'en douter, objecta mon patron. Depuis que tu es revenu du sport, tu es incroyablement agressive. C'est fou ça, on croirait que je déteins déjà sur toi !

Je soupirais. L'instant d'après , une douce brise caressa mon dos et me fit relever la tête.

Évidemment, Stelio présentait cette fois encore une expression nouvelle. Je dirais, sans aucune hésitation, qu'elle était probablement la plus humaine et agréable qu'il m'ait rarement montré. Si j'étais intraitable à cet instant, lui, était dans une humeur presque angélique.

Ce douloureux constat me rappela le point auquel, constamment, nos caractères faisaient que l'on ne pouvait qu'exprimer l'inverse de nos sentiments. Je décidais même de mettre cette évidence en lumière :

-Dis-moi Stelio, tu ne trouves pas que l'on parvient à se louper tout à fait royalement quand il s'agit de sentiments ?...

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Sharenbi ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0