25. Engloutir l'espace

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Zéfinna semblait s'être plus que largement préparée à ma venue. Je pénétrais timidement dans le gymnase, ouvrant la porte de quarante centimètres de largeur entre lesquels je m'engouffrais.

J'espèrais presque devenir invisible. Cette femme me mettait encore plus mal à l'aise que mon patron. Mais elle avait le mérite, elle, de ne pas osciller entre deux extrêmes comme Stelio. Depuis que nous étions dans ce pays, je ne savais absolument plus sur quel pieds danser avec lui ! Il arrivait en une seule journée à me faire peur, à attirer mon empathie, mon admiration et immédiatement après, mon agacement.

Coupant court à mes réflexions, mon entraîneuse se leva du rameur où elle s'affairait et se dirigea droit vers moi.

Je levais une petite main timide et lançait un :

-Bonjou...

Je suspendait ma phrase, mon souffle, et même mon existence si peu que cela soit possible. Terrible, la spendide blonde venait de se lever. Elle était vêtue d'une combinaison moulante noire qui sculptait son corps aux formes aussi abruptes que des pierres. Une ceinture de couleur perle, rayonnante sur cet ensemble sombre, venait aspirer mon regard. A tel point que je ne compris même pas que je me trouvais à terre, au moment où la dame se saisit de mon bras pour me mettre au sol d'une simple prise. Les salutations étaient faites.

-Debout. Relèves-toi !

Son immense ombre me surplombait, m'écrasant de son regard que je ne percevais même pas. Comme devant Stelio lors de son entraînement improvisé au Japon, je me sentais misérable.

Je me relevais de suite. A l'inverse de mon premier entraînement, l'enchaînement des gifles morales qui avait martyrisées ma tête me donnait un tonus infernal. J'étais déjà debout, surprise par ma propre prestation, et encadrant mon adversaire (que j'osais presque nommer future proie) entre mes poings serrés.

Zéfinna redressa la tête, visiblement ravie de ce changement d'attitude.

-Approche !

Son ombre fière découpée entre mes poignets, le soleil s'inclinant devant la prestance dévastatrice de cette femme, je ne pouvais qu'obéir.

Je fonçais vers elle. Vite. J'esquivais son premier coup de coude. Le menton ! En bas ! Le contact du sol contre lequel mon dos s'écrasait. Le son de son pied aplatissant le bois du parquet.

La sueur, la douleur. Tous ces mots prennent un sens que je ne leur soupçonnais pas, alors que je force mes bras à se coller à mes côtes. Toujours défendre les coups qui arrivent, quand la peur nous pousse à mettre les bras devant nous.

Je vois le soleil s'écarter face au coup qui s'abat. Instinctivement, je m'abaisse, passe dessous et tente de frapper mon adversaire au ventre. Mauvaise pioche ! Zéfinna en a vu d'autres et ma petite tentative se solde par une puissante main attrapant mon tee-shirt directement dans le dos, pour encourager ma chute droit devant moi.

Je m'esclaffe sur le parquet.

Et pour la première fois de ma vie, jamais une telle humiliation ne m'a parut aussi bénéfique. Tout ce que m'a dit Stelio, mon échec cuisant avec Kaoru, la douleur de la perte de ma grand-mère. Tout cela, ce n'était rien.

Là, à cet instant, sur ce parquet couleur sable, j'ai touché le fond. Je dirais même davantage que je l'ai quasiment rasé de mes dents.

Et il était temps.

Car s'il a fallu que je traverse un océan pour à ce point toucher le fond, c'est vraiment qu'il est temps de reprendre les choses en main.

Je détale en direction de mon adversaire. Direct, esquive. Je plie sous l'énorme cuisse qu'elle vient d'enfoncer dans mon abdomen. Je demande tous les efforts du monde à mes muscles pour se redresser, faisant subir à ma colonne vertébrale un véritable supplice. J'apprécie chaque instant de cette douleur dont je m'étais trop préservée.

Je tente un coup de pied en direction de la hanche de ma partenaire. Pas bête, elle se décale d'un pas et fauche ma cheville. La douleur qui m'irradie cette fois me couche complètement.

Cette fois, je ne peux pas me relever. Je serre les dents sous la douleur, obsédée par le désir de ne surtout pas montrer à Zéfinna mon état de faiblesse. Elle s'approche lentement et regarde ma blessure.

Je suis sidérée par la délicatesse avec laquelle elle prend ma jambe entre ses bras colossaux. Il y a un paradoxe énorme entre le professionnalisme médical de ses gestes et l'allure glacée de son expression et sa carrure. Là qu'elle est proche de moi, je peux la détailler à loisir, sans que le soleil ne me gêne.

Elle est véritablement immense. Un mètre quatre-vingt minimum. Peut être plus grande que Stelio ! Sa longue natte couleur paille dore sous les rayons du soleil, et je surprend, sur ses épaules nues, quelques tâches de naissance de couleur brune.

Son imposante poitrine et ses muscles saillants sont moulés dans sa combinaison noire. Le soleil épouse cette couleur contraire en formant autour du corps de la femme un halo triomphal, découpant les formes de sa silhouette et de son visage. Ce dernier est assez rond, mais à la fois fort avec une ossature marquée. Seul trait à la fois mignon et enfantin égayant ce visage : un petit nez en trompette, que l'on meurt d'envie de pincer. Mais ce petit round avec la demoiselle m'en aura définitivement dissuadée.

-Rien de cassé, affirma-t'elle avec son éternel accent russe et son air professionnel. Mais on va arrêter de combattre. Je sais à peu près ton niveau, c'est bien, tu te débrouilles.

Elle n'avait pas lâché un sourire depuis que je l'avais vu et de n'était toujours pas le cas. Mais au moins, elle avait eu la délicatesse de me faire un compliment.

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J'ouvrais vivement la porte de l'appartement. Après la séance de sport donné par Zéfinna, ma prochaine destination était l'auberge où m'avait invité Stelio le soir de ma venue. Mais pas moyen, malgré tous mes efforts, de m'en rappeler l'itinéraire ni même le nom !

C'est donc agacée et râlante que j'avais garé la voiture, m'étais saisi de mon sac et pénétrais dans la maison tout en réfléchissant à une excuse à sortir à Stelio. Hors de question que je lui donne le plaisir de se moquer de moi !

Je regardais l'heure. 11H45. Est-ce qu'il y a des bouchons à Salisburry à cette heure ?...

Je fouillais l'ordinateur de ma chambre. Comment retrouver l'adresse d'un restaurant dont on ne connaît pas le nom ?

J'entrais dans la cuisine en pestant, soulevant sous mon souffle quelques papiers accrochés au tableau de la cuisine.

Et alors, sans que je ne comprenne comment, mes muscles se détendirent. Comme si le souffle que je venais de lancer était en train de me soulever.

Stelio n'était pas là. Il n'y avait aucun témoin.

J'étais seule. Et la porte secrète était en portée de main...

Je sentais mon cœur battre plus fort. Plus fort. Au point que mes tympans ne puissent reconnaître aucun autre son.

Tout mon corps mobilisait ses forces dans l'espoir de me stopper, mais rien à faire, l'énorme tentation qui me tordait les tripes fit basculer un premier genoux, dépliant ma jambe jusque sur le parquet flottant. Ce dernier était baigné par le soleil, qui transperçait le feuillage des arbres comme pour mieux observer mes agissements coupables.

Ma langue souhaitait presque caresser ma bouche dans un empressement avide. Mes bras se resserraient autour de mon cœur, comme pour calmer ses battements.

Mes jambes gourmandes dévoraient chaque fois plus le terrain qui les séparait de ce que ma tête, dans ses méandres, imaginait de cette pièce interdite. Pourquoi l'était-elle ? Que cachait-elle ? Pourquoi Stelio était-il si catégorique dans cette interdiction ?

Ma respiration se saccadait, mon front suait, ma mâchoire alternait entre les tremblements de terreur et les sourires victorieux.

Vite, un dernier regard vers la porte avant de découvrir avidement les secrets et trésors de cette pièce si mystérieuse....

....

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