24. Zéfinna

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Les tentures, pendant à ma fenêtre, n'étaient pas assez opaques. C'est embêtant lorsque l'on cherche à dormir, mais présentement, je ne ressentais pas la moindre gêne.

L'ombre d'un arbre se dessinait sur le mur de ma chambre, ajoutant sa forme aux courbes artistiques ornant la tapisserie. J'étais perdue dans mes pensées. Il y a quelques heures encore, cette chambre me paraissait hostile. A présent, je  m'y sentais parfaitement apaisée. Tout, finalement, alternait entre ces deux aspects depuis ces derniers mois. Non, ces dernières semaines, seulement.

Je fermais les yeux sur cette journée, emportant dans mon inconscient les doutes qui m'avaient submergés.

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Ce fut encore une douce odeur qui me réveilla le lendemain matin. Je découvrais une fois de plus ma chambre d'un nouvel œil. Je décidais de ne pas trop perdre de temps à l'admirer et me dirigeais tout de suite vers la cuisine, encore en pyjama.

J'y découvrais mon patron, mordant voracement dans une tartine de pain beurré, surveillant d'un œil prédateur des œufs cuisant dans une poêle. Il quitta sa proie pour les relever vers moi.

-Ah ! Tu es debout !Magnifique ! J'espère que tu as bien dormi.

J'opinais en m'installant à mon tour, me saisissant de tout ce qu'il me fallait pour me concocter un petit-déjeuner royal.

Mais Stelio me coupa dans mon élan.

-Je te conseille de ne pas trop remplir ton estomac. Le programme de ta journée s'annonce sportif !

Je le regardais, à mi-chemin entre l'excitation et l'incrédulité.

Il se saisit de la poêle contenant les œufs sans me quitter des yeux. Il ne les baissa que pour vider le contenu de l'ustensile dans son assiette. Juste devant mon regard affamé. Lâche.

Je croisais donc mes mains devant lui, sachant que les explications ne tarderaient pas.

-Je t'emmène voir Zéfinna, une amie. Elle va s'occuper de toi au cours de la journée après que tu m'aie déposé à mon rendez-vous. Je te retrouverai à midi pour que l'on déjeune ensemble, compris ?

Je commençais à voir rouge. A peine découvrais-je un Stelio sympathique et agréable que sa mine hautaine et donneuse de leçon refaisait surface. Mais avant même que je ne pense à fulminer, il reprit :

-C'est une professionnelle du combat. Elle t'enseignera la boxe et d'autres choses. Entre autres, c'est une très bonne amie, mais elle parfois encore plus sévère que moi....

Il avait prononcé cette phrase en se retournant vers moi avec un sourire carnassier. Je le lui rendis, ne me laissant plus impressionner.

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Elle avait les muscles saillants. La lumière coulait dessus sans parvenir à totalement les magnifier. Au creux de ses omoplates, caressant le milieux de son dos, une épaisse tresse de couleur paille s'abattait. Pourtant, sous la lumière du dojo, cette chevelure paraissait plus resplendissante que jamais.

Stelio ferma lourdement la porte. Je devinais sa présence dans mon dos. Je savais, sans le regarder, que mon malaise lui faisait prendre un sourire moqueur.

-Bonjour, Zéfinna, lança-t'il avec un entrain presque charmeur.

Cette femme devait vraiment être terrible. Jamais je ne l'avais vu s'adresser à qui que ce soit avec autant de manières. Je tournais la tête vers lui pour m'apercevoir de l'aspect ridicule de son sourire.

-Tu te montres toujours quand je suis le plus occupée. Cela devient vraiment emmerdant !

Cet accent ! Cette femme avait une manière de rouler les « R » qui faisait croire qu'elle les avait tous mangé ! Présente face à nous, sa carrure exceptionnellement musclée lustrée sous le soleil, elle me parut encore plus intimidante que Stelio la première fois que je l'avais vu !

Grande, incroyablement forte, elle me toisait de toute sa hauteur et je me sentie face à elle aussi minuscule qu'insignifiante...

-Haha ! Mais dès que tu n'es pa soccupée, tu es introuvable, lança Stelio bien moins intimidé que moi. Je te présente Sadae, mon taxi !

Je me tournais vers lui avec un regard furibond. Il me fixait de son côté tendrement, le soleil pénétrant dans la salle laissant apparaître le timide brun de ses cheveux.

-Ha ! Lâcha Zéfinna un peu indignée. Parce que nous avons un contrat peut-être ?...

La dame laissa son partenaire de grande taille pour se reconcentrer sur moi. Du haut de mon mètre soixante, j'avais l'impression, en les voyant, de n'être qu'une petite fille totalement exclue de la discussion.

Mais ce regard de glace, de la couleur des perles, me rappela que ce n'était pas le cas. D'un coup, entre ces yeux de givre, je me sentis plus concernée par leurs paroles que par le cours de ma propre vie.

Zéfinna était en train de froncer les sourcils. Elle les détendit au même moment où ses imposantes lèvres, d'une couleur étonnamment claire, se détachaient lentement dans une expression de surprise.

Je ne comprenais plus rien. Soudain, je sentis le pas de Stelio s'éloigner de moi.

-Elle me dépose au travail et te rejoins dans un quart d'heure ! Elle est complètement ramollie, alors je compte sur toi pour me l'endurcir un peu !

Enragée, j'emboitais le pas en direction de mon patron, échauffant mes phalanges. Toi, mon coco, j'espère que tu aimes les conduites sportives, parce que tu vas payer ces petites remarques.

-Ce sera fait.

Sans poser plus de questions, Zéfinna nous laissa nous éloigner, roulant encore une fois autant ses « R » que les splendides mécaniques de son corps.

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Stelio était en train de me faire rouler dans des lieux de la ville dans lesquels je ne me serais jamais moi-même aventurée. Tout m'y paraissait étrangement sombre et dangereux. Ce secteur là de la cité n'avait strictement plus rien à voir avec les logis colorés à la disposition presque symétrique que je retrouvais là où j'étais hébergée.

Toutes les maisons étaient d'une taille bien plus petite, elles donnaient une impression de vétusté presque inquiétante. Bref, nous étions ici dans un quartier bien moins aisé que celui où nous résidions.

Avisant mes pincements de lèvres et mes regards attristés, Stelio prit la parole :

-Cette ville a été victime, comme beaucoup, d'une chute drastique de croissance économique et d'emplois plusieurs années après la fin de la guerre. Elle a été le fer de lance de ce pays, ce qui a permit son essor et son expansion. Mais comme partout, rien ne profite équitablement à chacun, pas même la guerre.

Son ton était lourd, maussade. Je ressentais encore les échos de sa voie au plus profond de mes poumons. La douleur de ces gens que je voyait là, dans la rue, assis devant leur maison délabrée, Stelio la ressentait comme un fer se plantant dans sa cuisse.

-Et, osais-je, le pays n'a pas su offrir de nouveaux emplois ? Des opportunités ?

-Ce n'est pas aussi simple, Sadae, m'expliqua-t'il d'un ton posé. Quand la crise a commencé, beaucoup de famille se sont exilées ailleurs, quittant parfois même le continent. L'Etat a réagit trop tard. Le pays est enlisé maintenant. Ceux qui se sont enrichi au bon moment pérennisent. Ceux qui ont étés moins chanceux attendent... Et espèrent...

Je tournais la tête, atterrée, vers les passants. Leurs vêtements laissaient apparaître de manière flagrante la différence de moyens qui nous séparait d'eux. Je m'en sentais coupable.

Me recentrant sur la route, je remarquais quelque chose d'encore plus étrange. Lorsqu'il m'avait expliqué l'histoire de ce pays, Stelio n'avait absolument pas adopté un ton moralisateur ou agacé comme il en avait l'habitude. Le désarroi semblait peser si lourd sur son cœur qu'il n'en avait pas eu la force. C'était consternant.

-Tiens, arrêtes-toi ici.

Stelio me désigna du doigt une étrange place. Elle n'était pas du tout prévue pour le stationnement long et j'avais la conviction que c'était pour cela qu'il l'avait choisie.

Je le regardais sans comprendre. Il passa une main derrière le siège, sans même bouger le buste. Il y saisit le sac qui s'y trouvait et le plaça sur ses genoux.

Pendant un instant, il fixa très sérieusement son reflet dans la vitre. Je détaillais à mon tour les traits à la fois durs et fins de son visage. Quels nombre incroyables de choses cet homme pouvait-il cacher ?

Soudain, il pivota la tête vers moi.

-Bon, et bien je te laisse aux bons soins de Zéfinna. Contournes le bâtiment à droite là-bas, remonte complètement la route et tu y seras. C'est plus facile qu'à l'aller.

Pendant quelques secondes suspendues, il me fixa encore. Un fin sourire se traçait sur sa bouche. J'avais l'impression affreuse qu'il me regardait pour la dernière fois.

-Allez, je te laisse, lança-t'il en descendant de la voiture d'une manière détachée. Essais de bien te donner à fond avec ton entraîneuse. Elle a horreur des tire-au-flanc.

Je pinçais mes joues. Etait-ce une accusation détournée ? J'avais encore été trop douce avec lui, j'aurais vraiment dû lui faire subir une conduite un peu trop rapide, histoire de la calmer...

Je reprenais le chemin indiqué par Stelio pour revenir sur mes pas. Mais même en regardant partout autour de moi, impossible de déterminer de quel côté il s'était dirigé. Je ne le voyais absolument plus ! Comment avait-il pu se volatiliser aussi vite ?!

Je remontais le long de la rue interminable me menant jusqu'à mon prochain calvaire, le visage songeur de Stelio encore en tête...

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