23. Le Bleu de l'Eau

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Stelio et moi étions silencieux. La mer venait caresser le sable de la plage sous le silence complice de la nuit. Je la regardais perpétuer sa valse, les bras croisés.

Derrière nous, la lumière chaleureuse et accueillante de l'auberge continuait de chauffer la peau de notre dos. Frustrant, quand on avait goûté à son intérieur divin.

N'y tenant plus, je me retournais vivement vers mon patron, qui fixait la pleine lune d'un air complètement détaché.

-Pourquoi avons-nous été obligés de sortir ? Demandais-je à mi-chemin entre des pleurs d'incompréhension et la fureur qui me rongeait.

Quelques instants plus tôt, alors que je m'apprêtais à faire salement regretter ses propos à l'homme en face de moi, Stelio m'avait saisie très soudainement par les épaules, me soulevant et m'entraînant dehors comme si j'étais une plaque de carton.

Il était passé à travers la porte et nous avions terminé sur la plage se situant en face de l'auberge, juste après le parking où nous attendait toujours la voiture.

Je le regardais sans comprendre. Ses yeux quittèrent la lune pour se pencher sur moi. Ils semblaient avoir aspiré la couleur de l'astre, tant ils étaient lumineux. J'en fut un instant tétanisée. Et comme si cela ne suffisait pas, voilà qu'un sournois zéphyr venait taillader mes épaules. Je réunissais mes bras autour de mon corps, grelotante.

Sans aucune pitié, Stelio me répondit :

-As-tu remarqué l'expression qu'avait le barman lorsque nous sommes sortis ?

Je devais admettre que je n'avais absolument pas pris le temps de regarder. Et là, tout de suite, la frustration et le froid mordant ne me poussaient pas à la réflexion.

Mon patron poussa un soupir mesuré. Il semblait avoir compris que me crier dessus dans ce contexte ne serait pas très pertinent. Et plus que tout, il semblait avoir les épaules voutées sous le poids d'un regret.

Il releva les yeux vers les nuages, poussa un souffle résigné et me dit :

-Il était extrêmement soulagé de nous voir sortir.

C'était vrai. Là qu'il l'évoquait, je me rappelait tout à fait avoir vu le tenancier du restaurant essuyer son front dégoulinant d'un revers de main, lorsque nous avions passé la porte, ce qui m'avait d'ailleurs énervée.

-Cet homme est un bon ami à moi, m'expliqua Stelio. Il a eu affaire à plusieurs bagarres dans son auberge. Certaines auxquelles j'ai mis fin. D'autres dont j'étais à l'origine...

C'est pourquoi je lui ai promis, si j'en voyais, de réagir de manière à créer le moins de dégâts possibles...

Je l'avais écouté attentivement. J'opinais en silence pendant que la houle et le vent donnait à notre échange une légère mélodie.

-Je... Je comprends...

Je me sentais honteuse. Je ne voulais vraiment pas l'indisposer. En relevant la tête vers lui, je mesurais à quel point cet épisode l'avait plongé dans une réflexion maussade et solitaire.

Seul face au mistral et aux vagues, il se tenait dans son pull sombre comme un homme en deuil. Je sentis en lui une lassitude si profonde que quelques larmes de glace vinrent serrer mon cœur. Le regard perdu dans les étoiles, il semblait leur poser milles questions.

Je me décidais finalement à bouger. Ses pieds ayant fait corps avec le sable, mon vaillant sportif n'était pas prêt de bouger.

Je m'avançais à petits pas, soulevant à chacun d'eux des nuages de neige dorée.

Si Stelio m'exaspérais parfois, il avait cette fois fait preuve d'une telle maturité et d'une tel sang-froid qu'il avait suscité en moi la plus sincère des admirations.

Le panorama que nous offrait les rayons de la lune, reflétés dans l'onde marine, avait quelque chose de magique.

Ces différentes nuances de bleu, du céleste à l'électrique, se noyaient mutuellement pour offrir un théâtre, un festival d'histoire et de couleurs, dans lequel chaque étoiles et chaque grain de sable dansaient sous la mélodie du vent.

De temps en temps, quelques traits opalins venaient griffer la houle, lui donnant des rayures ponctuées de bulles.

La sensation du froid s'évanouit bientôt. Je n'avais pas chaud non plus. J'étais si inondée par toute l'ambiance se trouvant autour de moi que j'en venais à oublier que je touchais le sol. La musique, les arômes, les images... Tout se mélangeait en une grande teinte bleue que je ne me lassais plus de goûter. J'avais l'impression d'avoir plongé sous cette eau que j'observais depuis un temps que je ne mesurais plus.

Je me mis à sourire. Vraiment. Je sentis mes muscles se plier et se tordre sous l'effort que je leur demandais. Je sentis alors combien un sourire d'une telle sincérité n'avait plus effleuré mon visage.

La brise continuait de caresser mon visage lorsqu'une ombre, se déplaçant à côté de moi, attira mon attention. Je n'avais même pas sursauté. Et Dieu sait pourtant à quel point j'étais sereine l'instant précédent.

Stelio, avançant de quelques pas, se pencha pour remonter à ses genoux le bas de son pantalon. Mais qu'est-ce qu'il faisait ?

Me désignant la mer d'un geste il me dit :

-Tu veux tenter ? Elle n'est pas si froide.

Il s'éloigna davantage et s'ancra directement dans la houle comme s'il s'agissait du parquet de son salon. Ce mec était à l'aise partout !

Les mains dans les poches, sa silhouette se découpait parmi les reflets scintillants de la plage. Il était encore plus noir que le ciel nocturne.

Je finis par le rejoindre, enlevant mes chaussures et remontant ma robe. La sérénité qui m'avait envahie me tenait encore compagnie, mais elle disparu d'un seul coup.

En effet, le simple contact avec la fraîcheur de l'eau brisa entièrement le doux cocon d'aisance dans lequel je m'étais enveloppée. Pas si froide ?! Mais il était fou ou quoi ?!

Je cachais au mieux ma grimace et tâchais de maintenir mes pieds sous l'eau en soufflant fort. Je ne redoutais qu'une seule chose : que mon professeur se retourne et me remarque.

Et évidemment, ça ne loupa pas.

Pivotant légèrement, une mèche de cheveux barrant son visage, son air sérieux s'envola pour laisser place à une hilarité raisonnante.

Il me désigna grossièrement du doigt.

-Ah ben, tu es moins solide que je ne le pensais !

Je failli taper du pied dans l'eau tant j'étais ivre de colère. Il se moquait ouvertement de moi ! Mais m'agiter davantage ne ferais qu'augmenter la quantité d'eau sur mon corps.

J'en prenais donc en petit quantité dans ma main, profitant de l'inattention de Stelio.

Il se reçu une giclée qui le stoppa immédiatement dans son hilarité. Je n'attendis pas plus et filait vers la plage, l'abandonnant lui et la sensation glaciale de l'eau sur mes pieds.

Il vociféra dans mon dos avant de me courir après, m'affublant de jurons et de promesses faussement menaçantes.

Et je riais. Je ne savais plus où j'en étais. Depuis que je l'avais rencontré, mon corps s'éveillait un peu plus à ce qu'était la vie. Il se libérait progressivement des chaînes qui l'avait si longtemps entravé.

Même ma course était plus légère. Je fonçais vers la voiture pendant que Stelio m'emboitait le pas, surpris par quelques gouttes de pluie claquant sur son visage. Il ne se pressa pas plus, ne craignant absolument pas l'averse. Il réunit ses affaires d'une main, me rejoignant dans la voiture alors que je pouffais de rire telle une gamine.

Il me regarda d'un air absolument tordant : les épaules tombantes, ses mèches de cheveux dégringolant sur ses joues, il avait tout de l'adolescent contrarié.

Sa mine me fit éclater de rire. Il suivit la courbe de mon corps secoué de spasmes d'un œil dédaigneux avant de secouer la tête d'une mine désespérée. Le pare-brise de la voiture se couvrit progressivement de gouttes de pluie. Leur vacarme finit par couvrir mon rire, mais je ne parvenais pas à stopper ce dernier.

La lune voyait ses rayons se transformer à travers les perles que la pluie avait déposées sur le pare-brise. Si bien qu'alors que mon corps ralentissait ses tremblements, je ne pus affirmer si ce que je voyais sur le visage de Stelio a cet instant était bel et bien un sourire.

Le chemin du retour se fit sous mes prises soudaines de fou rire qui me faisais trembler derrière le volant, et les mouvements de tête désabusés de mon patron.

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