22.Jeu d'étiquettes

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Nous étions arrivés aux abords d'une plage. J'avais garé la voiture devant une petite barrière de bois qui s'alignait parfaitement avec la limite séparant la mer et le soleil déclinant.

C'était là un paysage que je voyais quotidiennement, à Nikkô. Avec la mer en moins, évidemment. Mais celui-ci avait quelque chose de très agréable.

Stelio sortit immédiatement de la voiture. Je l'imitais, tordant dans mon mouvement la courte robe dragée que j'avais conservé sans m'en rendre compte.

Sans m'informer de rien, Stelio s'était dirigé vers une petite bâtisse de bois se situant juste en face de la plage. En suivant aveuglément ses indications, j'avais conduit le véhicule aux portes d'une petite auberge, située sur la plage isolée.

Mon patron s'y dirigeait de son éternel pas nonchalant. Je crois que je commençais à comprendre pourquoi il désirait tant que l'on démarre pour 19 heure. Il souhaitait probablement se rendre à cet endroit à une heure précise !

Quel goujat ! A être attendus quelque part, il aurait pu m'en parler, je me serais changée !

Je plaçais mes mains sur mes hanches en reconsidérant l'endroit. C'était vraiment perdu. Seuls de fins connaisseurs devaient probablement être informés de l'existence de cette auberge. Petite, toute faite de bois, elle se décalait de l'ode marine et des chuchotements de la mer par son aspect de cabanne dans les bois. On aurait pu la croire sortie d'un film d'un Noël.

En effet, de petites guirlandes et lampions décoraient la devanture de l'endroit. Leur lumière timide était encouragée par celle, plus éclatante, du soleil en face d'eux. D'autant que celui-ci voyait ses rayons se refléter à la surface de l'océan.

-Bon, je te laisse là alors ?!

Je me retournais, même plus agacée. Cela devenait naturel d'entendre Stelio s'exprimer ainsi.

Mais c'est sur mes gardes et le visage le plus neutre possible que je pénétrais à l'intérieur du petit logis, suivant le dos élancé de mon professeur qui s'effaçait peu à peu en progressant dans l'auberge.

Je m'étais résolue à garder l'air le plus neutre et laconique possible. Ne rien laisser paraître qui pourrait être utilisé contre moi.

Mais une fois de plus, ma motivation avait volée en éclat. C'est donc sans ma permission que mon visage se défaisait du masque de marbre que je lui avait imposé.

Mes joues se déplièrent sous l'abaissement de ma mâchoire. Mes paupières aspirèrent la lumière se situant au plafond de la pièce, s'engouffrant dans mes yeux pour réchauffer chacun de mes nerfs de ses rayons protecteurs.

Comment faisait Stelio pour, systématiquement, me mener dans des lieux m'émerveillant chaque fois au point de me faire oublier ma rancœur ?

Cette auberge était un concentré de douceur et de bienveillance. Tout, dans les couleurs chocolat du bois et le coquelicot des accessoires était fait pour amener à mon nez une odeur de feuilles mortes et de tout ce que pouvait comporter l'automne. J'avais l'impression que mes pieds eux-même foulait un sol moelleux. Et en effet, le parquet de la petite salle était tapissé de tapis ressemblant à du coton.

Stelio, toujours aussi loquace, s'était installé sans m'attendre à une petite table de bois.

Il m'avait eu. Il m'avait et m'aurais toujours. Je le comprenais. Sous ses airs détachés et désinvolte, il savait qu'il n'avait besoin de rien pour m'avoir. Il m'avait longuement observé, détaillé, possédé... Il savait quelle carte abattre à quel moment pour être sûr de m'emprisonner. Et je n'avais ni la force ni la foi de le contrer. Je me surprenais à me dire qu'en fait, je ne lui en voulais même pas.

Comment ne pas être tentée ? J'avais été tellement stupide...

Perdu pour perdu, je décidais qu'il était aussi bien de tenter de passer un bon moment. De toute façon, qu'est-ce qui m'attendais de mieux ailleurs ?

Je m'asseyais en face de mon hôte. Je perçu dans son regard la surprise due à ma sérénité. Il s'attendait à ce que je soit émerveillée, certes, mais pas aussi à l'aise.

Cela ne m'intéressait plus. Je n'avais plus envie de me poser de questions. Juste passer du bon temps dans ce cadre féérique.

-C'est un bel endroit, lui affirmais-je en un sourire franc.

Perturbé, il recula sur sa chaise, mit une jambe par-dessus l'autre et clama :

-Bah, oui. Enfin, cela fait un moment que je n'y étais pas venu. Le cadre était toujours aussi chaleureux.

Il afficha un air apaisé et serein qu'il se força à effacer. Je ne voulais pas m'en rendre compte. Mais plus je me détendais, plus c'était lui qui était stressé. Et à contrario, plus il affichait un air sûr de lui, plus c'était moi qui me posais des questions. Nous étions deux aimants contraires.

Je mis mes mains jointes sous mon menton, ne le regardant qu'à travers les rayons de lumières provenant des appliques murales. Il était aussi intimidé qu'un collégien à son premier rendez- vous amoureux !

Je décidais de le taquiner un peu.

-Dis-moi, Stelio... Qu'est-ce qui t'as attiré vers le sport ?

J'avais vraiment posé la question sans aucune conviction, mais la lueur dans ses yeux en disait long. Il devait entretenir une sacrée histoire avec les arts martiaux !

-Comme je te l'ais dit dans la voiture, une personne très importante pour moi m'y a initié pour me permettre de... M'exprimer. C'est devenu quelque chose d'essentiel, d'indispensable... Je ne pouvais plus passer que par ça...

Ses yeux avaient pris une étrange expression de nostalgie tiraillée de tristesse. Ses cheveux, qu'il avait relevés en une épaisse queue de cheval, laissait voir son cou. Il portait évidemment une tenue noire tirant légèrement vers le brun. Ce qui, pendant un instant, laissa imaginer que sa chevelure n'était pas totalement ébène.

Pendant un instant, le temps fut suspendu. Instant pendant lequel lui et moi semblions accepter de baisser nos armes. D'ouvrir le livre secret de notre cœur et de laisser s'échapper son contenu au creux de celui de l'autre. Comme le partage secret de trésors enfouis et solennels.

Stelio avait tellement l'air de vouloir y goûter à cet instant.

Il se redressa sur sa chaise et me dit :

-Et de ton côté, la boxe ?

Même si je ne m'attendais pas à la question, sa venue ne me parut pas si surprenante.

-Eh bien... Pour être honnête, j'ai toujours été de petite taille et plutôt frêle. On me prenait rarement au sérieux pour cela. Alors, je me suis décidée à faire du sport, surtout un sport de combat, pour casser cette image, autant à mes yeux qu'à ceux des autres.

Stelio m'avait écouté attentivement. Cependant, sa vue s'était brouillée, ses sourcils abaissés la voilant de reproches.

-Quoi ? Demandais-je le plus sereinement du monde pour éviter de déjà m'emporter.

-Je vois. C'est pour cela qu'un simple échec t'as tellement abattue. C'est parce que tu as fait ce sport pour les autres et non pour toi ! Ce n'est pas le fait d'être fière de toi qui t'as poussé à boxer. Ni même la sensation que cela procure. C'est simplement pour sauver les apparences et te dire que, même si ça ne changera rien, tu auras mis les chances de ton côté pour changer le regard des autres.

Je tentais avec difficulté de digérer ce qu'il était en train de me dire. Non pas parce que cela me faisait mal, mais parce que je comprenais que c'était d'une importance capitale.

Nous fûmes interrompus par la serveur qui nous questionna sur les boissons que nous désirions consommer. Il reparti, permettant à Stelio et moi de nous regarder de nouveau dans les yeux.

-C'est bien d'avoir eu l'ambition de se bouger pour faire changer les choses, dans le fond. Mais regardez-moi bien et écoutes ce que je vais te dire...

Ma respiration se stoppa toute seule.

-Le regard des autres... Ne change jamais... S'il y a une case dans laquelle on t'as rangée la premièref ois que l'on t'as vue... Alors tu peux être assurée que l'étiquette qui se trouve sur ton front te suivra jusqu'à...

Il ne put jamais finir sa phrase.

Nous observant du coin de l'oeil depuis le début de notre conversation, un jeune couple, apparemment désireux de distribuer quelques leçons, nous lança :

-Mais vous allez cesser de bourrer le crâne de cette gamine de vos conneries ?

Ma respiration avait forcément dû reprendre. Car je perçu très clairement qu'à cet instant, elle venait de s'arrêter de nouveau. C'est d'un air choqué et honteux que je fixais les deux culottés, qui se permettaient en plus de nous toiser d'un air accusateur.

Je me levais lentement de ma chaise et fixais sans comprendre nos interlocuteurs. Stelio était également debout et était bouche-bée. Il ne devait très probablement pas être habitué à ce qu'on le cherche...

Ses yeux d'une clarté impressionnante étaient écarquillés et sa bouche tremblait presque. Il avait l'air de ne pas y croire.

-Qu'est-ce que tu viens de dire, là, toi ?... Murmura-t'il en confirmant mes soupçons.

-Laissez-là tranquille, renchérit la demoiselle pour soutenir son compagnon, en plus, vous dérangez tout le monde...

Elle détourna son regard de nous d'une manière affreusement hautaine et enfonça une fourchette pleine de pâtes dans sa bouche. Je voyais déjà mon imagination la faire s'étouffer avec ses nouilles ou enfoncer sa fourchette un peu trop loin...

Les fantasmes de mon professeur, à côté de moi, devait être encore plus tordus. Mais il se contint tout de même et me dit :

-Tu vois ? C'est exactement ce dont je te parlais ! Ces débiles en sont le parfait exemple !

-Ah ça oui ! Clamais-je en le regardant si profondément qu'il dû ressentir le point auquel j'étais d'accord avec lui jusque dans ses entrailles.

-Qui traites-tu de débile ?! Vociféra le membre masculin du couple en se levant à son tour.

Les lèvres de Stelio étaient en train de prendre une courbe menaçante. Je devais intervenir avant que ne commence le massacre !

-Et toi ?! Qui traites-tu de gamine ?!

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