19 - L'étendue du Rêve

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Une immense étendue blanche, comme un océan de neige, se déclare derrière mes paupières. Il envahit tous les recoins de mon sommeil, enveloppe mon cerveau pour l'absorber dans cette vision. Des formes absconses se dessinent sur la toile, faite de noir et de bleu abysse. J'y vois des silhouettes d'enfants se tenant la main, et courant sur cette dimension blanche comme si elle ne possédait pas de limite. Ce qui, d'ailleurs, semble être le cas.

Cette fresque paraît ne jamais s'arrêter. Les scène s'y succèdent sans la moindre cohérence. J'aperçois bientôt deux inconnus danser, et m'envoler sur leur balai. Bientôt, comme s'ils n'étaient fait que d'encre, je les vois s'égrener en ruban, pour rejoindre le côté supérieur de cette toile blanche, comme les gouttes de peintures qui se mettent à nous parler et conter leur histoire lorsqu'elles se délitent.

Dans mon rêve, ces silhouettes deviennent également des longs dragons noirs s'extirpant vers le ciel. Elles sont aspirées par ce que je crois être de nuages...

C'est alors que mon rêve prend une toute autre forme. Il devient cette fois d'une précision déconcertante. Je peux clairement apercevoir un décor d'église aux couleurs si vives qu'elles rendaient l'image presque floue. Elles émanent de vitraux aux motifs parme, émeraude et d'un blanc de saturne qui m'aveuglent. Je distingue pourtant clairement, penchées devant un autel surmontés de plusieurs urnes ouvertes, une ombre suppliante, faisant face à un être droit et imperturbable, sur le point de l'exécuter...

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Je me réveille en sursaut. Ma vue mit un certain temps à se réhabituer à l'atmosphère sombre et cruellement réelle de l'avion. Je reprenait lentement ma respiration.

A côté de moi, les yeux fermés et avachi sur son siège, Stelio dormait à poings fermés. Il avait l'air extrêmement fatigué. Ses bras étaient croisés l'un sur l'autre et il possédait l'une de ses chevilles par-dessus la seconde. On aurait presque dit qu'il s'était endormi au milieu d'une conversation ennuyeuse !

Je souris à cette idée, me disant que ce serait moi, l'interlocutrice qui l'endormirait peut être.

Une hôtesse de l'air s'approche à notre hauteur et me murmure :

-Nous distribuons des couvertures pour les passagers, m'apprit-elle. Votre compagnon et vous vous êtes endormis tôt. Désirez-vous que je vous procure maintenant ?

J'opinais largement à la proposition,l a fatigue et le changement d'heure me causant une grande sensation de froid. L'hôtesse se pencha vers le chariot qu'elle poussait devant elle et me tendit une couverture. Avant qu'elle ne disparaisse, je m'éclaircis la voix :

-Euh... J'en voudrais bien un deuxième s'il vous plaît Madame...

L'hôtesse m'offrit le sourire dont seules les représentantes de son métier ont le secret et me tendit une deuxième couverture.

Je m'en saisis avant de regarder Stelio d'une mine hésitante. J'attendis que la dame ait disparu et entreprit de couvrir mon professeur et patron. Je posais délicatement la masse de la couverture sur ses tibias avant de la déplier, de manière à recouvrir tout son corps.

Sa tête se décala légèrement sur le côté, comme si une secousse l'avait agitée. Peut-être Stelio rêvait-il lui aussi ?

Ses précédents confidences m'avaient envahies d'un sentiment brûlant à son égard. J'avais l'ambition stupide de le protéger. Moi... Quelle blague.

Je le couvrais jusqu'au cou et, créant une petite boule avec le reste de couverture, lui improvisais un oreiller. Mes yeux étaient trop lourds pour que je puisse correctement l'observer, mais je fus persuadée, à la vue de ses sourcils arqués et de son air sérieux, qu'il avait emporté ses tourments dans son sommeil.

Je dépliais à mon tour ma couverture et m'enroulait gracieusement dedans comme un renard l'aurait fait avec sa queue. Ayant hélas utilisé toute sa surface pour me couvrir les pieds, je n'en avais plus assez pour me faire un oreiller comme je l'avais fait pour Stelio.

Tant pis pour moi. Je posais mon crâne sur l'espace le plus épais de mon siège et attendit que la fatigue vienne de nouveau me faucher.

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Le soleil. Je ne l'attendais pas vraiment. Le décalage horaire avait cela de déplaisant. Je ne sais pas exactement comment s'étaient goupillées les choses pour qu'il fasse tant soleil en Amérique, mais je m'en serais presque plaint.

Presque, parce que la beauté etl 'immensité des choses qui m'étaient offertes étaient si féeriques que j'aurais été incapable d'en vouloir à qui que ce soit. Même à Stelio qui me criait       «Tu feras la touriste plus tard,avance ! »

Tout était énorme, coloré, dynamique, presque criant. Moi qui revenait du Japon, où l'animation est présente, mais les habitants et les coutumes très pudiques, je trouvais ici un festival de diversité, de couleurs et de sons, qui s'entrechoquaient tant que mes sens ne savaient plus s'ils saturaient ou s'ils en redemandaient.

Nous étions sortis de l'aéroport pour prendre un taxi. Je voyais défiler devant mes yeux émerveillés des grattes-ciel plus vertigineux que les plus hautes tours que j'avais pu apercevoir.

Bien sur, l'industrie et les architectures japonaises avaient tout autant fait leurs preuves en matière d'intensité. Mais la taille pachydermique des bâtiments américains m'impressionnait à chaque fois que j'en voyais un. Du taxi, nous empruntions le bus. Je cru voir, au cours de mes innombrables tours sur moi-même pour m'abreuver du décor, que Stelio avait dans ses prunelles cet éclat moqueur qu'il affectionnait tant. Qu'importe. L'environnement était bien plus intéressant et, connaissant le bonhomme, je devrais me faire à ses inlassables piques sournoises.

Je ne prêtais même pas attention lorsqu'il me sortit : « Si tu veux, je te laisse là,hein ! Je connais le chauffeur, il est sympa ! ».

Nous avions atterri dans une lointaine campagne bordée de petites maisons coquettes aux couleurs parfois extravangantes. Le rose persan côtoyait le jonquille, le vert printemps enlaçait le lavande...

Nous avions bien sûr atterri à l'aéroport de Washington. Mais je n'avais pas eu le temps de découvrir grand chose de cette capitale. La ville où Stelio possédait son appartement se situait à un peu plus de deux heures de bus. Cette ville se nommait Salisbury, et se trouvait dans le comté du Wicomico, qui avait la particularité d'être positionné sur une partie du Maryland presque totalement entouré par la mer. Comme quoi, Stelio parvenait finalement à capter de temps en temps mon attention, lorsqu'ils disait des choses intéressantes.

Quand nous approchâmes enfin de ladite ville, je fus de nouveau saisie par les merveilleuses couleurs qui habillaient les bâtiments alentours, et que l'on retrouvait jusque sur les panneaux des enseignes. Elle n'était pas d'un grand dynamisme éclatant comme on avait pu le voir au cours de notre trajet jusqu'ici à travers les vitres du bus. Elles avaient étrangement quelque choses de pastel, de... Gourmand. Comme si la ville était dans un état de torpeur constant. Celui de l'automne que l'on regarde à notre fenêtre, assis bien au chaud, enveloppé dans un épais pull un peu laid, un livre dans une main et une tasse de chocolat chaud dans l'autre.

Les bâtiments partageaient en effet tous ces teintes chocolatées et ce rouge brique, tant de reflets colorés ouvrant l'appétit sous cet orchestre chamarré d'ambre, d'acajou, de chaudron, chocolat, cannelle, caramel et chataîgne.

Après le brun arrive ensuite les teintes de couleur rouge, avec le sempiternel carmin, de vermillon et de fraise écrasée.

Les lueurs de crème et d'ivoire qui ponctuent le tout terminent d'achever les démangeaisons qui gagnent mes doigts. Je ne tiens plus et commence à ouvrir ma valise le plus doucement possible, entreprenant de dessiner dans le bus. Mais à peine ais-je ouvert ma fermeture éclair et soulever légèrement le couvercle qu'une main s'abat dessus, interrompant mon geste. Stelio.

Il m'adresse un regard choqué et contrarié, tout en m'invitant fermement à me relever, je lui rend son regard, lui demandant dans le fond des yeux les raisons de son geste. Il jette de rapides coup d'oeils pour vérifier que l'on ne nous observe pas et me dit d'un ton maîtrisé :

-Non mais ça va pas ? Tu te crois où ?! Nous venons à peine d'arriver, alors arrêtes de faire ton originale et garde profil bas pour le moment !

-Originale ? Grince-je en imitant son ton bas, vous allez me faire croire qu'un italien aux cheveux lui arrivant jusqu'au cul, ça se voit tous les jour ?

Il réprime un mouvement violent et dit :

-Je te rappelle que tu n'es pas en vacances. Autant que je saches, tu es venu ici pour travailler !

Je serre les dents. Je ne trouve rien à répliquer et cela m'insupporte fortement. Si Stelio peut susciter mon empathie et ma gentillesse, il lui arrive souvent (et ça a l'air d'être parti pour durer) de m'irriter au plus haut point.

Je me renferme dans ma colère et mon orgueil, la mâchoire compressée. Je le déteste quand il est comme ça ! Il semble le remarquer. Je sens en effet, transperçant les fins rayons de lumière passant à travers les vitres du bus, l'éclat polaire de son regard caresser mes épaules.

Il se rapproche finalement. Je lève dédaigneusement le menton vers le ciel, le dos tourné en une posture boudeuse, prononçant ainsi clairement ma contrariété. Stelio réduit encore la distance.

Ses longs cheveux me font sursauter lorsqu'ils viennent griffer l'intérieur de mon cou, alors qu'il me murmure à l'oreille :

« Tu auras tout le temps de t'y consacrer à l'appartement : il y a un chevalet dans ta chambre... »

Je manque de faire volte-face vers lui, éprise de stupeur, de joie et d'excitation. Je le vois se relever, arborant un sourire fier que j'aurais voulu faire disparaître si je n'étais pas aussi joyeuse.

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