17 -Le Départ

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Les lumières tapissaient le sol endormi de la ville. Je la voyais défiler à travers la vitre de la voiture tel un rêne formé de poudreuse s'élançant dans les cieux.

Stelio était venu me chercher à 4 heure du matin. Je n'avais absolument pas réussi à dormir.

Je me souviens être restée pendant plusieurs minutes, certainement plusieurs heures, à regarder le soleil se lever. Les arbres voyaient leurs fleurs se coloniser progressivement des rayons lumineux. Un nouveau jour venait caresser la terre, et il était pour moi porteur de renouveau et de décisions.

Je n'étais pas allée en cours de toute la semaine. J'avais consacré la totalité de mon temps à un petit boulot de serveuse trouvé dans un restaurant et à acheter de quoi préparer mon départ. Pour ne rien arranger, il me fallait réparer le lavabo et le reste des attributs de la salle de bain que j'avais lamentablement cassé. Des morceaux d'émail et de porcelaine jonchaient le sol et de l'eau fuyait de temps en temps. Mais je n'avais pas de regrets. J'avais beau avoir massacré la maison de ma chère grand-mère, c'était le prix à payer de ma renaissance.

C'est donc sans peur que j'avais envoyé une lettre à mes parents. Une longue lettre expliquant tout, et dans laquelle je révélais mon départ pour un travail aux États-Unis.

C'est donc dans une tenue rose que je montais dans la voiture de Stelio. Ce dernier, choqué par mon soudain changement de couleur vestimentaire, avait tant écarquillé les yeux que les phares de sa voiture ne servaient presque plus à rien. Dans cette nuit éternelle, ses prunelles argentées égalaient les étoiles.

Il esquissa un petit sourire en me voyant enfiler une épaisse veste de cuir noire sur mes épaules. Tout allait bien : je n'étais pas malade.

Cela faisait plusieurs heures que nous avancions. Stelio avait loué une voiture exprès pour aller jusqu'à l'aéroport, m'avertissant copieusement que j'aurais beaucoup moins de répit une fois arrivés en Amérique...

Pour l'instant, je me contentais de regarder défiler le paysage. Ce spectacle avait une féérie étrange. Les bourgeons blancs des abricotiers japonais donnaient à l'atmosphère un goût de Noël avant l'heure. Mon corps était partagé entre la fatigue et l'excitation. Ces deux parfaits contraires le faisait flotter dans une dimension inexistante. Je ne touchais même plus le sol, chutant telle une plume dans un berceau de coton.

-T'endors pas de suite ! Beugla une voix à côté de moi, tu devras encore patienter durant tout le trajet de l'avion !

L'atmosphère merveilleuse fut rompue. C'est avec un visage partagé entre l'exaspération et la résignation que je me retournais.

Concentré sur la route, emballé dans un survêtement gris, Stelio demeurait imperturbable.

Le vrombissement de la voiture fut bientôt brisé par un autre son : il pleuvait. Contrariée de ne plus pouvoir admirer le paysage matinal avec le déluge de couleurs et de saveurs que le ciel pouvait offrir, je me tasse dans mon siège. Mon conducteur me couvrit d'un œil taquin, pensant certainement que je ne le voyais pas. Il finit par briser le silence :

-Tu as pris tes gants ?

-Des gants ? Mais je croyais que nous allions au Maryland pour la saison estivale ?!

-Je parle de tes gants de boxe...

Je me recalais dans mon siège. Le professeur apparaissait énormément sérieux, comme si l'objet du voyage concernait davantage l'amélioration de mes compétences sportives qu'autre chose ! Je finis par dire :

-Oui, j'ai pris mes gants.

La pluie nous assaillit, ne laissant voir ce nouveau jour qu'à travers son rideau assassin. A côté de moi, seul le sourire de Stelio, revenu timidement, permettait à la voiture de garder un peu de chaleur.

Stelio avait déposé la voiture de location à un garage situé à côté de l'aéroport. Ma valise à la main, je regardais sa silhouette progresser sous la pluie. Il m'avait déposée à l'abri avant d'aller remettre le véhicule.

Il me rejoint sans aucun soucis sous la pluie, comme si cette dernière lui passait au travers.

-Tu as déjà pris l'avion ? Me demanda-t'il naturellement.

Je fis oui de la tête alors que nous entrions tous les deux dans le Hall d'entrée. Il n'y avait pas grand monde à cette heure-ci.

-Regardes le tableau, dit Stelio en me désignant un immense panneau recensant les différents allers et retours des vols. Il se pencha vers moi, tendant sa main vers une ligne précise. Je fixais le bout de son doigt pendant qu'il ajoutait, se relevant :

-Notre vol part dans 45 minutes, ça nous laisse le temps de manger quelque chose.

C'est tout naturellement qu'il se dirigea sur sa droite pour pénétrer dans une cafétéria aussi facilement que s'il s'agissait de sa cuisine.

Je le rejoignis d'un pas pressé. Contrairement à moi, Stelio ne possédait que très peu de bagages. Rien d'étonnant puisqu'il connaissait notre destination. A peine étais-je arrivée au comptoir qu'il se retournait vers moi, son expresso à la main. Je me mordis la lèvre face aux multiples muffins aux parfums extravagants et aux couleurs alléchantes. Les boutiques de confiseries étaient mes pires ennemies. Colorées et envoutantes, je passais des heures à baver devant les kasutera ou dorayaki mais mes origines étrangères me faisaient inévitablement craquer devant les pâtisseries occidentales lorsque j'en trouvais.

C'est donc sans complexe que je m'offrais un chocolat frappé et un cheescake aux fruits rouges, sous le regard presque impressionné de Stelio. Il sourit en espérant que je tomberais mon plateau tenu d'une main, l'autre étant occupée par ma valise. Hélas pour lui, mes semaines de service en restaurant m'avait au moins appris à être moins maladroite.

Nous étions à présent face à face. Enfin, mon accompagnateur s'était décalé sur le côté, regardant vers la grande baie vitrée située derrière le comptoir où nous avions passé commande.

Je ne savais pas pourquoi, mais depuis que j'avais pris la décision de le suivre en Amérique, j'avais la tenace impression que le regard de Stelio me fuyait. J'avais beau chercher, je ne l'avais plus croiser depuis le week-end que nous avions passés ensemble.

Je fronçais les sourcils. Que me cachait-il ?

-Dites-moi professeur... Comment est-ce, le Maryland ?..

Il se retourna en faisant voler ses longs cheveux noirs, manquant de les faire tremper dans son café. Il planta si fort ses prunelles dans les miennes que, alors que je pensais les avoir oubliées, leur couleur me marqua si clairement que je su que, jamais, elle ne sortirait de mon esprit.

Cet argent de neige et d'acier, ce gris de perle de pluie. Je ne pouvais plus l'oublier.

-Premièrement, siffla-t'il, tu vas arrêter de me vouvoyer une bonne fois pour toutes. Ça commence à bien faire ! Combien de fois vais-je devoir te le répéter ?!

Il se saisit du Yokan qui avait été donné avec son café et se remit dans sa position initiale. Un bras posé sur la table, le buste complètement décalé vers la droite, et le regard dans le lointain. Il mastiqua la gelée avec une mine qui laissait imaginer qu'il n'aimait pas trop l'agar-agar avant de reprendre :

-Pour ce qui est du Maryland, tu verras par toi-même. Tout y est très grand. Mais ne t'en fais pas pour la conduite, continua-t'il en devançant mes pensées inquiètes. On fera des essais de nuit pour que tu te repères.

Il replaça son regard sur le même point de la baie vitrée. Décidément, il avait l'air de s'y passer des choses intéressantes !

Je décidais de l'imiter et de regarder moi-même l'extérieur. La vue d'un soleil levant, égayant les couleurs rosées du ciel, réussit à maintenir ma tête en direction de l'horizon. Il est vrai que c'était beau. Sous l'orchestre qu'est la nature, le seul Maître s'appelle Soleil et les musiciens étaient ces arbres, ces oiseux et ses ruisseaux dont les sons mélodieux rendaient la vie rayonnante.

Et personne ne le voyait plus.

Je retournais mon regard vers Stelio. Ce dernier fixait les nuages avec un air inquiet. Ce n'était pas la première fois que je le voyais comme cela. Et j'étais persuadée que la cause de son inquiétude n'était pas la pluie.

Très bientôt, nous dûmes nous presser pour rattraper notre avion, nos cerveaux enfarinés peinant à démarrer.

Je délaissais à contre cœur ma valise, m'apprêtant à me saisir d'un livre lorsque Stelio m'arrêta : dormir était la priorité.

Je ne savais toujours pas dire quel genre de force me poussait ainsi à lui obéir si vivement, mais cela ne me posait pas problème.

Je gravissais avec lui les escaliers menant à l'engin. Ce n'était pas la première fois que je prenais l'avion, mais c'était impressionnant à chaque fois. Mais c'était la première fois que je l'empruntais en étant accompagnée.

Stelio me fit avancer en vitesse vers nos places. Je m'assis côté hublot, comme j'en avais l'habitude, et il s'installa à côté de moi sans opposer de résistance. Je le regardais d'un œil discret. Son anxiété était toujours là, mais moins présente, comme si une certaine partie des choses étaient réglées...

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