16 - Quand la peau se déchire

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Je m'assois mollement sur une des chaises encore décalée. L'idée de le rattraper dans une tentative désespérée ne me vint que bien plus tard. Trop tard.

Tout, finalement, ne se faisait que trop tard avec moi.

Après avoir passé un temps que j'étais incapable de calculer à fixer ma tasse de thé encore pleine, je me retrouvais dans ma salle de bain. Mes jambes, poussées par la force de l'habitude, s'étaient dirigées toutes seules vers cette pièce.

Dieu qu'elle me paraissait sombre. On aurait dit que mon corps voulait me faire disparaître.

Toujours sans comprendre comment, j'avais ôté mes vêtements pour prendre une douche, et c'est presque sans aucune sensation de cette expérience que je me retrouvais face au miroir du lavabo.

Ma peau avait été aussi lavée que mon cerveau vidé. Je ne comprenais rien ! Pourquoi n'avais-je à ce point aucun contrôle sur mes actes ?

Mon ventre tremblait. Mais mes membres étaient raides. Quelque chose mugissait au fond de moi alors qu'un marionnettiste céleste forçait mon corps à demeurer raide.

Soudain, un souvenir cinglant comme un poignard atterrit dans mon esprit.

Le match de boxe... C'était exactement comme cette fois-là... Cette façon immonde d'être tétanisée et impuissante, en dépit de tous les ordres que l'on donne à notre corps. Cette sensation d'être de glace ou de pierre, ou de venir d'un autre temps qui fait que devenons de notre vie que le simple spectateur.

Je ne voulais plus que cela arrive, jamais !

Je commençais à regrouper mes mains autour de mon corps. Etait-il seulement encore là ?

Je ne le sentais plus ! Pourtant, il apparaissait très clairement dans le miroir ! Qu'étais-je en train de devenir ?! Est-ce que je me désintégrais toute seule ? Est-ce que Kaoru était bel et bien en face de moi tout à l'heure ? Ou l'avais-je simplement rêvé ?

La peur m'envahit. J'en venais à douter de ma propre existence. Je devenais folle. Je n'osais même plus regarder le miroir en face de moi. J'étais persuadée que mon reflet aurait disparu.

Les images que je ne voulais plus voir, celles du fameux combat auquel j'avais lamentablement échoué, me revinrent en tête : ses poings s'écrasant sur moi, ses phalanges de fer dont je sentais le contact même à travers les gants... Cette sensation d'être ratatinée, abattue de manière appliquée et précise, comme si on sculptait mon corps pour qu'il entre dans le ring.

Je pressais ma tête entre mes deux mains. Je ne parvenais pas à repousser ces images. Pourtant, Dieu qu'elles m'étaient insupportables ! Je n'avais rien pu faire. J'avais comme disparu. Mon âme s'était envolée, comme effrayée, laissant seul mon pauvre corps affronter une épreuve à laquelle il n'était pas préparé.

J'avais fini par me recroqueviller comme un tatou, réduisant mon champ de vision derrière mes poings fermés. Mais mes muscles, trop ankylosés, ne pouvaient même pas me protéger des poings. Forte et talentueuse, mon adversaire m'assenaient des coups maîtres, calculés et pour ainsi dire parfaits.

Parfait. Ce mot que j'avais visé en espérant l'atteindre. Ce mot qui m'avait rassuré car, même si ma vie ne valait rien et que je n'en faisais rien, je me disais au moins que les autres ne fournissaient pas autant d'efforts que moi pour être au sommet.

Car c'était bien là le seul endroit où je me sentais bien. Le sommet. De tout.

TOUT !

Je hurlais. Un cri rauque, d'une voix que je n'avais jamais connue, avait fleurit dans ma gorge.

Je donnais un premier coup. Un direct gauche, droit dans le miroir. Je retrouvais cette sensation si connue et si lointaine. La douleur sourde des articulations qui s'écrasent, se plient et épousent la surface rencontrée. Mais là, je sentais bien que la seule à souffrir dans l'histoire c'était moi. Et cela m'arrangeait bien.

J'enchaînais encore plusieurs directs, crépissant le miroir de mes poings rompus de regrets, mais aussi de résolution. C'était terminé. Je ne pouvais plus fuir. Je n'aurais pas Kaoru, je n'aurais pas la victoire, je n'aurais pas le bonheur.

Je n'aurais rien.

Au final à cet instant, je n'avais plus que mes poings.

Je balançais un crochet droit en direction du miroir, ma vue brouillée ne me permettant même pas de distinguer mon reflet. Mais je m'en fichais.

Un second crochet. Je sentis cette fois une lourde douleur au niveau de mon avant bras : je venais de percuter le lavabo dans mon assaut.

Aucune importance. Même si je dois y rester, je réglerais les choses avec moi-même, quitte à ramasser mes propres tripes pour continuer d'avancer.

Je levais bientôt un pied que je décochais en direction du miroir. Ou bien ailleurs ? Je ne voyais plus rien.

Je cognais, frappais, balançais chaque extrémités de mon corps vers tout ce qui pouvait m'offrir un contact. Et chaque fois que je l'essuyais, je le recherchais à nouveau, avec toujours plus de soif et de rage que ce que j'en avais envoyée dans le poing précédent.

Je déversais chacun de mes sentiments négatifs au travers de mes bras. Mugissais sous les angles de meubles pénétrant ma peau.

Il fallait qu'elle se perce, il fallait qu'elle explose. Pour qu'enfin, elle se vide de toute la sève soporifique qui la composait.

Enfin, le tumulte s'arrêta. Je ne l'atteignait pas. Je ne parvenais pas à atteindre cette chose me certifiant que j'étais vivante. J'avais tenté de devenir une tempête, de crier plus fort que je n'en étais capable, mais sans réel succès.

Mais tout n'était pas perdu : je sentais sincèrement que le cocon dans lequel je m'étais enfermée, cette armure de verre à travers laquelle je regardais la vie passer, était en train de se briser. J'avais énormément de choses à régler.

Je m'étais caché de vraiment tout. J'avais honte. Et puisque ma grand-mère n'était plus là pour que je la remercie de m'avoir donné une quête me permettant de donner à ma vie un certain objectif, il me fallait contacter la deuxième personne à l'origine de ma renaissance, et lui rendre un service au moins aussi grand que celui qu'il m'avait donné.

-....

-Allô ?

-Tu as vu l'heure, Sadae ? Pesta la voix criarde de Stelio. Qu'est-ce que tu veux à cette heure-ci ?!

-C'est à propos de votre proposition...

Un silence se fit. Je sentais l'intérêt du professeur transpirer à travers le téléphone.

Je m'en délectais quelques secondes avant de lâcher :

-J'accepte.

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