15 - Déchirement

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Nous étions tous les deux installés autour de ma table. Mon joyeux bazar donnait finalement à l'endroit un aspect assez attachant et chaleureux. La nuit, à l'extérieur, berçait ma maison dans les bois de ses bras narcotiques.

Assise sur ma chaise, je regardais Kaoru qui dégustait sa tasse de thé au Jasmin. C'était incontestablement mon préféré. Et en disant cela, je ne savais plus si c'était du thé ou de Kaoru dont je parlais.

C'est fou comme ses cheveux blonds pouvaient être lumineux, même sous le faible éclairage de ma maison. Il dégageait presque constamment une gaieté inondante, qui lardait mon cœur comme le liquide chaud de ma boisson le faisait, caressant mon gosier et emportant dans sa traversée toutes les chaînes pesant sur ma poitrine.

Ma panique envolée, je me décidais à demander :

-Qu'est-ce qui t'amène par ici Kaoru ?Tu avais quelque chose à me demander ?

Mon sourire était franc, sincère, angélique. Sa simple présence avait suffit à panser tous mes maux.

-Tout juste, répondit-il. Avec Akame, on s'inquiète pour toi.

Mon cœur manqua de fondre. Dieu que j'avais besoin d'entendre ces mots. Et bon sang qu'il était bon qu'ils soient prononcés par cette voix...

-Du coup... On s'est posé la question... Puisque ta voiture est au garage, tu ne pourras probablement pas travailler ces vacances. Alors, ça te dirait de...Venir avec nous ? On ferait comme chaque été du coup...

Je ne savais plus où me mettre. D'un côté, cette perspective me ravissait. Je mourrais tellement d'envie d'oublier chacun de mes problèmes dans la compagnie douce et enivrante de mes deux amis. De retrouver ces moments de bonheur et de sécurité où, bien que retenant mon amour, je pouvais être à ses côtés à lui.

Et même aux côtés de ceux d'Akame.En dépit de la douleur que générait pour moi son existence, je ne pourrais jamais la détester. Elle était d'une douceur et d'une gentillesse si profondes...

Je voulais tant retrouver ces promenades au milieu des champs frais du matin, à écouter les chants des criquets comme la voix fanfaronnante de celui que j'aime, sans jamais pouvoir la posséder. Oui, je voulais retrouver cette sécurité de ce que j'avais toujours connu, et regretter comme étant réel tout en l'acceptant. Comme si cette douleur était devenue mon berceau.

Mais d'un autre côté, je savais que je ne me le pardonnerai pas. Kaoru m'avait expressément demander de lui laisser ces vacances pour être avec Akame, dont il voulait se rapprocher.

J'aurais peut-être dû me battre, lui dire ici que je l'aimais, jouer carte sur table et tout lui expliquer. Que je l'aimais depuis que je l'avais vu, qu'il était devenu le souffle de mes rêves, l'orfèvre de mon sourire...

Pourtant, une voix en moi me hurlait de me retenir. Que son bonheur à lui devait passer avant. Qu'à mes côtés, il serait malheureux...

-Mais, commençais-je, encore indécise, tu ne m'avais pas dit que tu voulais profiter de ces vacances pour être seul avec Akame ? Et ainsi enfin lui confier tes sentiments ?...

Il se pinça la lèvre. De toute évidence, j'avais touché un point sensible. Il s'agissait peut-être là de la phrase qu'il redoutait.

-Eh bien justement, avoua-t'il, c'est elle qui est à l'origine de cette demande. Attention, je suis tout à fait d'accord avec elle, hein ! C'est pas juste de te mettre de côté comme ça ! Mais...

Il ne finit jamais sa phrase. Sa cruelle franchise avait parlé pour lui. C'est avec mon éternelle image d'aînée sage et avisée que je lui dis :

-Kaoru... Tu m'as demandé toi-même de te rendre le service de te laisser aux côtés d'Akame pour ces vacances. Et je t'ai donné ma parole. Ne t'inquiètes pas pour moi. Tout ce que je veux, c'est que... C'est que tout aille bien pour vous deux.

Le sourire qu'il me lança se broda sur mon cœur. Ses douces lèvres s'était déposée sur mon organe en une morsure acharnée. Mais alors que je pensais me retenir d'exploser, je ne ressentais plus rien. Mon âme s'était envolée, mon corps n'était à présent plus qu'un scaphandre de chair, coulant lentement au fond de l'univers comme une étoile en poussière.

Je sentais que j'avais dit à Kaoru les mots qui lui permettait de ne pas se sentir triste ou coupable. Mais alors que d'ordinaire, cela me faisait me sentir bien, je ressentais à cet instant un vide considérable. Mon corps n'était plus guidé par rien. J'étais une automate.

Kaoru souffla. Il passa une main dans ses cheveux en lâchant :

-Ouf ! Bon ben ça va ! Je suis bien content que ça puisse se terminer ainsi, j'ai eu si peur que tu ailles mal !

Cette phrase aurait dû me combler de joie. Mais je ne percevais plus rien, prise dans un cocon de pierre.

Mon invité se saisit de sa tasse de thé dont il fit disparaître le contenu dans le fond de sa gorge. Il avait reprit l'air guilleret qui m'avait faite tomber pour lui.

-Alors c'est entendu ! Affirma-t'il en se levant. On se retrouve demain en cours de toutes façons !

Il prit son sac qui était au pied de sa chaise, et sur lequel j'aurais probablement trébuché puisque je ne l'avais absolument pas vu.

Il le bascula sur son épaule et dit :

-Excuses-moi de partir si vite, mais il est déjà tard. Si je veux pouvoir rentrer en bus, je dois me presser...

L'envie irrésistible de lui proposer de rester passer la nuit ici me transperça comme une lance de vent. J'hésitais encore.

Et puis non ! Ça suffit comme ça ! Assez de me retrouver au fond du seau pour permettre aux autres d'être en haut ! J'allais dire à Kaoru tout ce que je ressentais ! Il s'était donné la peine de venir jusqu'à moi, je devais lui expliquer ce que j'avais sur le cœur.

Je commençais par m'approcher dangereusement de lui, les poumons fébriles et le cœur tremblant.

Je contournais la chaise et la table, rétrécissant la distance entre nous.

-Bon, ben je te dis à demain !

Kaoru avait dit cela en un de ses si simples sourires. Je commandais à ma mâchoire de s'ouvrir, afin de le retenir.

La porte se referma, emportant avec elle la silhouette tant désirée de Kaoru.

Rien n'était sorti de derrière mes lèvres. Seule mon âme s'était envolée à l'extérieur de mon corps. Je ne comprenais plus rien. Qu'est-ce qu'il m'arrivait  ?

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