14 - Anéantissement

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Je m'étais placée au fond de l'amphithéâtre. Sans que la professeure n'y soit pour rien, je ne parvenais pas à m'intégrer au cours. Mes pensées voyageaient vers des horizons bien différents.

La mine lasse, je fixais la fenêtre me donnant vue sur l'extérieur. La pluie emportait tout. C'en était miraculeux.

Elle assenait une multitude de coups lilliputiens sur les arbres forcés de céder leurs feuilles sous les coups. Certaines d'entre elles venaient se coller à la vitre de la salle. J'avais l'impression qu'elles cherchaient à caresser mes joues pour me consoler de mon chagrin...

Mais je ne me leurrais pas. Le désarroi qui me hantait par rapport à Kaoru n'était pas de ceux qui pouvaient disparaître.

Il allait me coller à la peau, me la retourner et en explorer chaque pli, je le sentais.

Je soupirais. Dire que ces derniers jours m'avait semblé si radieux, comme si j'avais éclot. Les évènements s'étaient si vite enchaînés entre la rencontre avec Stelio et cette lettre de ma grand...

...

Bon sang ! L'enveloppe ! Voilà qui pouvait me changer les idées ! Le cours prenait soudain une toute autre tournure. Je décidais de me raccrocher de toutes mes forces à ce simple évènement, pour faire de cette journée morose autre chose qu'une épreuve supplémentaire.

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L'absence de Kaoru et Akame tombait finalement à point nommé. Je m'installais à la cafétéria dans un coin isolé. Le bruit de la pluie et du brouhaha ambiant des autres élèves autour de moi créant une mélodie d'un monde extérieur duquel je me détachais.

Là, réfugiée dans ma bulle, c'est avec une excitation fébrile que je me saisissais de mon sac, le fouillant pour trouver l'enveloppe, dernier élément se trouvant dans la boîte donnée par ma grand-mère, et dont je n'avais toujours pas vu le contenu.

Je glissais mes doigts entre chaque cahiers, classeurs et portes-vue encombrant ma besace.

Mon sourire disparut progressivement en se rendant compte que l'enveloppe était introuvable. Je finis par sortir la totalité de mes affaires de mon sac, les ouvrant et en feuilletant chaque page comme s'il était possible qu'elle se soit volatilisée d'elle-même comme pour me faire une farce.

Chaque feuille que je faisais voler à sa recherche accélérait un peu plus les battements effrénés de mon cœur. Je devenais de plus en plus paniquée. J'étais persuadée de l'avoir mise dans mon sac ! Je retenais fébrilement mes larmes. Mais ma gorge, elle, ne pouvait s'empêcher de trembler.

Mes recherches se terminèrent sur les mouvements négatifs de ma tête, qui ralentirent au fur et à mesure que la réalité m'apparaissait : j'avais perdu l'un des derniers don d'une des personne m'étant les plus chères au monde. L'un des seuls indices qui aurait permis à ma vie misérable de prendre une tournure rocambolesque. Parce que finalement, osons le dire, c'est ça qui m'intéressais : fermer les yeux en me disant que j'avais accompli autre chose que fuir.

Je m'asseyais mollement à ma table,mon déjeuner me paraissant soudainement bien fade dans mon assiette.

Je soupirais de nouveau. Mon répit avait été de courte durée. Je souriais faiblement. Peut-être avais-je finalement seulement ce que je méritais ? Je fermais les yeux. Qu'allais-je faire ? Au-delà de mon désir personnel, ma grand-mère m'avait personnellement confié cette lettre. Je ne voulais ni ne pouvais la décevoir.

Et alors que toute ma détermination s'était envolée comme un château de cartes, une voix vint me cueillir :

-As-tu réfléchi ?

Je relevais la tête pour apercevoir en face de moi Stelio. Le professeur arborait cette fois son uniforme classique, et non de sport. Ses longs cheveux noirs laissaient scintiller à la lumière froide de la cafétéria les quelques gouttes d'eau abandonnées par le ciel. On aurait pu croire à des perles piégées dans une toile d'araignée.

Il me fixait d'un air vraiment curieux. Je ne sais pas quelle tête j'avais exactement, mais la sienne n'était pas vraiment mieux... Face à mon silence, il ajouta :

-Tu n'as pas oublié ce que je t'ai dit, hein ? Écoutes, il y a eu un changement. Je vais devoir partir un peu plus tôt que prévu en Amérique. Alors j'aurais besoin de savoir demain au plus tard si je peux compter sur toi ou non, tu comprends ?

J'avais l'impression de l'entendre très mal. Ou alors, comme s'il parlait une autre langue. Je secouais la tête et me reconcentrais. Mais rien ne venait. C'est d'un air désolé que je dis :

-Excusez-moi professeur, vraiment...Mais de quoi parlez-vous ?

Pendant un instant, il me fixa si fort qu'il dû se perdre avec moi dans ma détresse. Lui qui avait une expression si dure et impénétrable d'habitude, ses sourcils avaient esquissé un mouvement. On aurait dit une statue chatouillée par la caresse d'une plume. Mais il reprit rapidement son expression sérieuse et clama :

-Tu n'écoutes vraiment rien, hein ?Je te parle du boulot que je t'ai proposé ! Tes camarades sont trop jeunes pour partir comme ça, et tu es la seule à parler anglais de manière totalement courante ! Alors tu veux ou pas ?

L'insistance de sa voix me fit prendre peur. J'étais devenue une biche apeurée. Dieu que je pouvais détester cela. C'est sans réfléchir que je répondais :

-Je ne sais pas professeur je... Il faut que je réfléchisse...

Je gardais le nez baissé vers mon assiette, comme une enfant punie. Je ne sais pas exactement pendant combien de temps j'ai contemplé les pauvres aliments froids de mon plateau. Mais lorsque je me suis décidé à relever la tête, Stelio n'était plus là. En fait, il n'y avait plus personne, quasiment, autour de moi.

Je restais encore là, hagarde, fixant le néon positionné au-dessus de moi, attendant qu'il s'éteignent comme si cela allait arranger mes problèmes.

C'est tel un spectre que je me levais, prenait mon sac et sortais de l'endroit.

C'est en étant l'ombre de moi-même que je terminais l'après-midi. Je torturais mon esprit à la recherche de l'emplacement de cette lettre. Où avais-je bien pu la mettre ? Serait-elle tombée ? Mon cœur ratait un battement à chaque éventualité que j'explorais. Je me pinçais les lèvres, pressais ma tête entre mes mains jusqu'à la faire exploser... Rien n'y faisait. Même en sondant mon cerveau, même en ayant plus sur mes doigts que des morceaux de moi, je ne la retrouverais pas.

J'avais l'impression que le problème était bien plus profond que ça...

La dernière heure de cours sonna, laborieuse. Je réunissais mes affaires et regagnais la sortie du bâtiment telle une automate. Je m'étais raccroché à la perspective de retourner tout mon appartement à la recherche de cette satanée enveloppe, tout en sachant tout au fond de moi que cela ne règlerait pas le problème, puisque je l'avais mise dans mon sac. Mais j'avais indéniablement besoin de cette minuscule illusion à laquelle me raccrocher pour ne pas complètement sombrer.

Et pourtant...

La pire de toutes les épreuves, celle qui allait définitivement me décider à me prendre en main et s'imposer comme le dernier affront que je me permettrai de subir, m'attendais sagement, à quelques heures de là...

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Je n'avais jamais autant regretté mon véhicule. Depuis que je savais conduire, j'en avais toujours eu un à disposition et devoir prendre l'habitude du bus était assez dur. Sans compter le fait que j'avais réussi à me perdre et c'est donc avec la nuit que je rentrais.

Je gravissais difficilement les marches menant jusqu'à ma maison. Une énorme frustration me barrait la gorge. J'avançais la tête basse, comme affrontant un blizzard. J'étais vidée. J'avais envie de pleurer. Ma gorge était sur le point d'éclater sous les sanglots lorsque je perçus une voix :

-Salut Sadae, ça va ?

Je relevais la tête. Là-haut, au sommet des escaliers, tranquillement posté debout sur le seuil de ma porte, une fière silhouette attendait.

Les étoiles semblaient tomber pour lui. Sans rire, elles avaient dégringolées jusqu'au-dessus de sa tête pour lui faire une couronne. Les couleurs cosmiques de la voute céleste, en cette heure nocturne, achevait de faire de cet instant un tableau des plus plaisants.

Je ne percevais aucun de ses traits. Il était un maître d'orchestre, un majordome, un trapéziste, une lumière dans la nuit. Il était tout ce qui pouvait bien exister pour moi de toutes façons.

-Ka... Kaoru ?...

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