13 - Sommet

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Le bus n'était pas bondé. En ce Dimanche, il n'y avait pas grand monde. Assis à côté de moi, Stelio était silencieux. Il avait même l'air soucieux...

Je décidais de détendre l'atmosphère alors que le véhicule entamait une lente montée vers le sommet de la montagne.

-Au fait, professeur. Merci de m'avoir aidée à sortir de ma voiture.

Il opina, toujours sans un mot. Je décidais de lancer la conversation.

-Dites-moi, vous m'avez dit que vous n'étiez pas vieux, mais quel âge avez-vous exactement ?

Il se tourna vers moi. Je sentais que son devoir de professeur le poussait à se retenir de me jeter par la fenêtre. Je retenais mon rire.

-J'ai 33 ans. Répondit-il platement.Et toi ?

-J'en ai 21.

-Ha ! Railla-t'il, et c'est moi le vieux ? Qu'est-ce qui t'es arrivée pour que tu sois aussi vieille par rapport à tes camarades ?

La discussion continua à aller bon train, jusqu'à ce que l'on atteigne notre destination.

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Stelio était assis dans l'herbe quand je lui tendis son café. Puisqu'il était toujours silencieux, je décidais d'entrer dans le vif du sujet :

-Dites... Dis-moi, quelle est cette proposition que tu souhaitais me faire ?...

Il avala lentement son café. Il fixait encore l'horizon, comme par crainte de voir des envahisseurs y apparaître.

J'avais vraiment la sensation qu'il se forçait à réfléchir calmement à la décision qu'il allait prendre, comme si celle-ci était décisive.

-Es-tu déjà allé en Amérique ? Demanda-t'il.

J'étais surprise, je ne m'attendais pas à ça...

-Non, jamais, répondis-je honnêtement.Et vous ?...

J'avais demandé cela sans vraiment réfléchir, comme par réflexe. Je tournais la tête vers Stelio, qui eut la même réaction.

-Tu es bête ou quoi ? Me lança-t'il, je t'en ai parlé juste hier ! Évidemment que j'y suis allé ! Je te l'ai même expliqué !

Ma voix restait en suspend. C'est vrai que nous avions eu cette discussion juste hier. Mais j'avais l'impression que nous l'avions eu il y a des années. Je pestais :

-Ben alors pourquoi tu ne m'as pas posé la question hier dans la foulée, plutôt que de me dire ça maintenant ?!

Il écarquilla les yeux. Il ne s'attendait pas à ça ! Finalement, il reprit :

-Tu n'as pas été amenée à voyager pour les tournois de boxe ?

Il avait bien relevé cet aspect de mon passé, on dirait.

-Pas en dehors du Royaume-Uni, répondis-je. J'en ai fait pendant sept ans, mais je n'ai même pas réussi à accéder au niveau Européen.

-Mmmh... Tu as arrêter parce que tu avais peur ?

-Oui. Pendant un match, j'ai été tétanisée par la force de mon adversaire. Suite à cela, mettre des gants devint insurmontable.

Il venait de se passer quelque chose de prodigieux. Alors que j'étais si secrète et pudique sur cette partie de mon passé, ce professeur m'avait poussé à le dévoiler sans la moindre difficulté.

-Tch... Les japonais sont des pros en matière de thé, mais leur café est franchement pas fou. C'est imbuvable !

Je levais les yeux au ciel. Toujours entrain de râler ! Je demandais :

-Vous êtes venus souvent au Japon ?

-Cinq fois, et presque à chaque fois, je suis venu ici.

Il désigna en face de lui le paysage s'étendant. On voyait dans le creux du vallon une rivière serpentant entre les montagnes émeraude. Notre vue était encadrée par les branches des arbres à côté desquels nous nous étions assis. J'avais terriblement envie de peindre...

-Il faut dire que... La personne m'accompagnant aimait vraiment cet endroit...

Il avait l'air nostalgique. Il avait même parlé sans qu'on l'y ait invité, ce qui était plutôt rare.

Le vent caressa nos joues. Je sentis les cheveux de Stelio griffer les miennes, véritable torrent d'ébène. Nous étions deux jumeaux aux cheveux noir, fixant ensemble les creux d'un vallon ou l'étendue des étoiles.

Stelio avait décidé de passer la journée ici. Et je n'y voyais franchement aucun inconvénient. J'aimais beaucoup trop cet endroit.

Nous marchions à travers la forêt si réputée sur cette montagne, les bras chargés de notre casse-croûte, à la recherche d'un endroit où le consommer.

Nos pas ralentirent au même rythme à l'approche d'un virage du sentier. Les arbres ainsi dégagés donnaient vue sur un splendide paysage.

Nos yeux étaient tous deux chargés de souvenirs.

-J'y pense, énonça Stelio, tu ne vas pas avoir des problèmes ou des remarques si on te voit ici en ma compagnie ?

Il n'avait pas spécialement l'air embêté pour moi. Non, il avait plus l'air d'humeur taquine...

D'un air assez agacé, je répondis :

-Non, mes camarades ne vivent pas vraiment en campagne contrairement à moi. Et puis, le Dimanche, ils se consacrent généralement aux révisions...

-Je vois.

Il était relativement impassible. Il continua son interrogatoire :

-Tu... As beaucoup d'amis ?

Alors celle-là, je ne m'y attendais pas. Certainement pensait-il qu'avec mon style tout en noir et ma maison perdue dans la cambrousse, je ne voyais pas grand monde. Je le rectifiais :

-J'ai ce qu'il faut, je te remercie.

Il n'en ajouta pas davantage et n'en eut pas le temps. Car nous venions d'arriver dans une clairière que je reconnus tout de suite. Petite, ma grand-mère m'emmenait ici. Je passais des heures à grimper sur les rochers, sauter par-dessus la rivière, lui faire des frayeurs en disparaissant.

Et surtout à...

Je m'asseyait immédiatement en tailleur. Je sortais de ma besace un objet dont je ne me séparais jamais : un vieux cahier aux feuilles cartonnées. Je fouillais encore pour sortir de mon sac plusieurs crayons.

-Mais qu'est-ce que tu fais ?

Je n'eus pas besoin de lui répondre. Stelio comprit de lui-même en voyant mes gestes évasifs danser sur le papier glacé. Les esquisses difformes naissaient. Fleurissaient même.

Je sentis le corps massif de mon professeur s'asseoir à côté de moi. Son uniforme noir ne laissant toujours aucune place à l'imagination sur les formes de son corps.

Dommage. Car j'aurais bien aimé le dessiner dans ce décor. Il afficha un petit sourire.

-Artiste, gothique, qui parle mal... Tu es sûre que tu as des amis ?

Ce sale type... Il parvenait toujours à m'exaspérer ! Mais plus ça allait, plus je le pardonnais vite.

Il lâcha soudain, comme se rappelant de quelque chose :

-Au fait, as-tu réfléchi à mavproposition ?

-Pardon ? Dis-je en relevant le nez de mon cahier.

-Écoutes quand on te parles ! Le travail dont je t'ai parlé hier, dans le Maryland...

Ah oui, ça me revenait. Je me rappelais la demande de Stelio concernant ce mystérieux travail de chauffeur.

Je devais admettre que je ne savais pas trop dans quoi je m'embarquais. Je ne le connaissais que depuis quelques jours. Partir avec lui dans un pays inconnu et en devant assurer un travail m'inquiétait un peu.

Mais le souvenir des mots de ma grand-mère, sur sa lettre, me revinrent en mémoire. Sa soif de voyage, et ses fameux artefacts qu'elle désirait que je retrouve...Peut-être devrais-je commencer par là...

-Je dois encore y réfléchir, mais je dois admettre que cela m'intéresse.

Il eut un sourire fier. Il avait air presque un sourire princier comme ça...

-Prends ton temps, je te laisse toute la semaine. De toute façon, on ne va pas manquer de se voir...

C'était vrai. Et en plus, cela  m'emplissait d'une joie étrange. Une joie bienveillante...

Le reste de l'après-midi s'écoula comme un fil de soie, qui se déroula au rythme de nos dialogues, des coups de mon crayon et du soleil déclinant.

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Nous étions déjà Lundi. La veille, Stelio était parvenu à trouver un véhicule le ramenant en ville et un hôtel disponible. Ma maison m'avait parue très vide, presque hantée. Sa lumière semblait s'être dissipée...

C'est donc en bus que je me rendais au lycée aujourd'hui, ma voiture n'étant pas encore disponible.

Sans savoir pourquoi, j'avais fourré dans mon sac l'enveloppe qu'il y avait dans ma boîte magique, seul élément que je n'avais pas encore eu le temps de consulter. Je prendrai le temps d'en découvrir le contenu aujourd'hui.

Peut-être les éléments contenus dedans termineront de me convaincre de suivre Stelio en Amérique...

Je remarquais que la configuration des cours aujourd'hui ne me permettrait peut-être pas de voir mes amis.

C'est fou comme j'avais eu l'impression d'avoir été coupée du monde, au cours de ce week-end. La lettre de ma grand-mère y était très certainement pour quelque chose...

Je commençais à progresser dans les couloirs. La sourde agitation m'environnant m'atteignait à peine, caressant la peau de mon visage comme si j'étais entourée d'un halo de verre fin.

Et là, le coup de grâce.

Vola immédiatement en éclat, mon halo protecteur se brisa contre une image que j'aurais aimé ne jamais rencontrer, tant elle m'était insurmontable.

Souriant et chaleureux comme un prince d'été, Kaoru venait d'apparaître. Il était un soleil. A côté de lui, Akame lui parlait en souriant.

J'étais sidérée par la douceur et la beauté qu'ils offraient sans s'en rendre compte. En quelques secondes, toute la motivation et la confiance que j'avais réussi à constituer jusqu'ici s'envola en éclat.

J'avais l'impression de subir un cataclysme. Toute la gravité du monde pesa sur mon ventre.

Je demeurait immobile pendant que je regardais mes deux compagnons s'éloigner le long du couloir.

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