11 - Rencontre : Deuxième Round

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-Hey ! Il y a quelqu'un ?

Je n'étais plus sur la pointe des pieds. En fait, l'un d'eux venait de fermement taper contre le sol. J'avais très bien reconnu cette voix. Je déboulais vers l'individu dont j'avais reconnu la voix.

-Stelio ! M'écriais-je. Qu'est-ce que vous faîtes chez moi ?!

L'interpellé se retourna vivement. Pendant un instant, j'eus presque pitié de lui. J'avais complètement oublié que l'orage avait éclaté tout à l'heure et apparemment, le professeur avait attendu dehors un moment.

Son imperméable noir dégoulinait et ses longs cheveux lui collaient au visage. Je remarquais alors quelque chose d'assez impressionnant : alors qu'il était toujours vêtu de noir, qu'il avait le teint pâle et les yeux livides sous ses cheveux corbeau, cet homme s'arrangeait toujours pour dégager une vitalité et un dynamisme brutaux, sauvages, à toute épreuve. A l'instant où je le regardais, n'importe qui d'autre que lui aurait eu un air pitoyable sous cette pluie battante et ce froid traître.

Même dans son regard, il gardait quelque chose de féroce. Et pourtant, on percevait clairement sa gêne.

-Tu... Tu habites vraiment le coin le plus sympa de Nikkô... Ce genre de paysage est beau à n'importe quelle saison de l'année...

-Que faites- vous ici ? tranchais-je, peu empathique devant sa tentative d'approche.

-J'ai été ralenti par les agents de police qui m'ont questionné sur l'accident. J'ai eu beau leur dire que je n'étais pas responsable, ils ne voulaient rien entendre ! Puis l'orage a éclaté et j'ai cherché un abri, ou au moins quelqu'un pouvant me prêter un téléphone pour appeler un taxi...Mais en tout cas, je ne pensais pas atterrir chez toi...

Je le fixais un bon moment avec les bras croisés. Le pauvre avait vraiment l'air embêté. Mais pour je ne sais quelle raison, je ne parvenais pas à ressentir de la compassion pour sa situation.

Pourtant, en y réfléchissant bien, cet homme m'avait apporté beaucoup. J'avais réalisé un superbe chemin aujourd'hui, et j'étais persuadée qu'il n'y était pas pour rien.

Je décidais de le reconsidérer. Cette fois, j'allais lui laisser sa chance.

-Je vous jure, franchement... Bon, allez, entrez. Je ne vais pas vous laisser sous la pluie éternellement.

Il parut ravi. Avec un fond de bestialité dans le regard, mais ravi.

Il me suivit à l'intérieur. Il me jeta un regard embarrassé en désignant son manteau trempé. Je m'approchais de lui pour m'en saisir et le mettre dans la pièce servant de buanderie. Son manteau retiré, il laissait voir une chemise blanche également trempée, collant à son dos.

-Voulez-vous un vêtement de rechange ? Demandais-je à l'invité.

Mais ce dernier ne m'écoutait déjà plus. Il s'était pris de fascination pour le joyeux bazar se trouvant dans mon appartement.

-Tch ! Cracha-t'il, c'est bien les femmes ça, toujours du bazar partout !

Il se retourna pour m'apercevoir dans une éternelle position d'exaspération. Il se sentit confus. Cela m'arracha un petit sourire. Cet homme semblait posséder bien plus de facettes qu'il ne le laissait penser...

-Euh... C'est assez brutal mais...Puis-je emprunter ta douche ?

Et voilà ! Comme je l'avais prévu, il semblait avoir horreur de demander de l'aide aux autres...

-Bien sûr ! Répondis-je gaiement. Je vais vous préparer un kimono !

Je m'éloignais de lui d'un pas léger et rieur. Cette fois, c'est moi qui tiens les reines !

Je sentis sur mon dos son regard et sur mon épaule un « Merci » qui câlina mon cou pour grimper jusqu'à mon oreille.

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Après sa douche, Stelio s'était installé en terrasse. Sa longue chevelure cachait le dossier de la chaise où il s'était assis. Pensif, il regardait le ciel étoilé quand je le rejoignis, les bras chargés de tous les bentôs de la semaine.

-Bon Dieu ! S'écria-t'il, mais tu nous as préparé un festin !

Je me retenais de rire. S'il savait...

Il avait cependant l'air trop affamé pour s'en priver. Il se rua sur les sashimis en maniant les baguettes avec une habileté que je remarquais très vite. Je m'asseyais à côté de lui et lui dis :

-Vous maniez les baguettes comme personne, pour un Italien... Vous avez voyagé ?

Il marqua un temps. Pendant une fraction de seconde, j'eus l'impression qu'il était franchement mécontent que je remarque ce fait, comme si c'était préjudiciable. Il avala sa bouchée avant de me révéler :

-Oui, j'ai beaucoup voyagé. J'ai grimpé les échelons de mon sport et participé à des tournois un peu partout dans le monde. Surtout au Japon. Et puis....

Il regarda les étoiles. L'une d'entre elle était peut-être le reflet de l'âme d'un être cher qu'il avait perdu.

-J'ai eu la chance de rencontrer une personne qui m'a fait découvrir le monde...

Il se fondait dans le ciel. Avec son teint stellaire et ses cheveux obscurs, il collait parfaitement à ce tableau de ciel du soir.

Il se saisit d'une tasse de thé qu'il sirota, toujours pensif.

-Je dois me résoudre à l'idée qu'à cette heure-ci, aucun taxi ne pourra me ramener chez moi...

-Il y aurait bien eu moi, rappelais-je, mais mon principal outil de travail est disons... Pas très opérationnel...

Il eut un sourire sarcastique pendant une fraction de seconde. Mon humour ne faisait pas mouche. Je me sentis obligée de proposer :

-Si vous voulez... J'ai une pièce de jour avec un divan... Si cela ne vous paraît pas inconfortable, vous pouvez... Passer la nuit ici ?

Il se tourna vers moi d'un air surpris. L'une de ses mèches de cheveux cachait l'un de ses yeux, mais je compris qu'il ne s'y attendait pas. Dans le même temps, il semblait trop fatigué pour parvenir à afficher une mine trop exubérante.

Puis, il recouvra son éternel air suffisant. A croire qu'il ne supportait pas de l'enlever trop longtemps.

-Pourquoi pas. Cela m'arrange, en fait. Mais dis-moi, tu as une bien grande maison pour une gamine toute seule.. A quoi est-ce dû ?

Gamine... Je ne savais plus dans quel sens il le disait. En fait, cet homme était assez insaisissable...Ses lourds regards ainsi que ses propos sévères et ses menaces me revinrent en tête, me dissuadant de lui mentir.

-C'est la maison de ma grand-mère. Je vivais avec elle il y a encore peu de temps. Mais à sa mort, je ne suis pas parvenue à quitter la maison. D'où mon travail pour continuer à l'entretenir.

Je sentis ses yeux se tourner vers moi alors que je fixais les étoiles.

Stelio replaça son regard face à lui, semblant réfléchir. Soudain, il sortit :

-Mais dis-moi, comment vas-tu faire, du coup, maintenant que ta voiture est à la casse ? Cela ne vas pas être compliqué de combler les fins de mois ?

Je baissais la tête. Il ne perdait pas le Nord ! Alors que de mon côté, j'en étais venue à sensiblement oublier ma situation.

-En effet, répondis-je de manière neutre en regardant mes mains liées sur mes genoux. Vous êtes sacrément prévenant, pour quelqu'un qui m'a qualifiée de« pathétique ».

Il rata un sourire taquin. Aucun de nous deux n'avait oublié cette première rencontre. Et si ç'avait été le cas, mes nombreux camarades spectateurs nous l'auraient rappelée !

-C'est vrai, admit-il. Mais ce qu'il y a de bien avec les gens qui n'ont pas de talent, c'est qu'ils peuvent s'améliorer...

Pas de talent... Moi qui commençais à le trouver sympathique, il avait tout fait voler en éclat.

Il continuait de regarder les étoiles. Je finis par l'imiter.

Pendant un bon moment, nous regardâmes les étoiles ensemble, chacun à la recherche de la personne qui y sommeillait.

Sans savoir que...

-J'ai une proposition à te faire...

Son ton était complètement différent. Je me tournais complètement vers lui. Il reprit :

-Mmmmh... Quel jour sommes-nous demain ?

-Dimanche, lui répondis-je.

-Bien. Je sais que c'est assez soudain mais... Accepterais-tu de travailler pour moi, pendant les vacances ?

Mes yeux s'agrandirent.

-Je dois me rendre dans un autre pays pour des représentations sportives. C'est en Amérique, alors si l'Anglais est ta langue natale, tu pourrais à la fois être mon chauffeur et mon interprète.

Évidemment, ce sera rémunéré...

Je fronçais légèrement les sourcils. Que prévoyait-il ?

-Pardon mais... Pourquoi moi ? Lui demandais-je.

Il ne me répondit pas tout de suite, plus inspiré par les mets que j'avais disposé sur la table. Il avait un sacré appétit. Et une belle soif.

Enfin, il ravala une bouchée, sans quitter l'horizon des yeux.

-La réponse honnête serait que je n'ai pas le choix. La date arrive à grand pas et je n'ai trouvé personne jusqu'ici avec le profil correspondant.

Sans m'en rendre compte, je m'étais rapprochée de lui. Alors même que ma chaise était toujours à la même place. C'est comme s'il m'avait aspirée, autant qu'il l'était dans sa réflexion.

Le regard perdu sur son verre, il laissait ses longs cheveux ébène envelopper sa mâchoire.

Je ne me rendis même pas compte qu'il s'était remis à parler. C'est comme si sa voix raisonnait à travers ma tête sans qu'il n'ait eu à produire le moindre son.

-Mais, en dehors de ça... J'ai l'impression qu'à l'instar de ces étoiles dans le ciel, il y a entre nous comme une connexion.

Je sursautais. C'était exactement la sensation que j'avais ! Comme si quelque chose nous liait.

-Je ne sais pas à quoi c'est dû. Et puis, je pense que tu as les épaules pour ce travail...

-Quoi ? Il est si dangereux que ça ?! M'exclamais-je.

Stelio agrandit ses paupières. Il semblait qu'il avait encore parlé un peu plus que ce qu'il aurait voulu. Il était comme un apprenti ayant encore des progrès à faire.

Des progrès à faire. Peut-être était-ce cela qui nous liait tant...

-Non, ce n'est pas dangereux, rencherit-il. C'est juste qu'il roule tous comme des fous là-bas...

Un silence un peu gênant s'installa. Je plaçais mes mains autour de mes épaules. Je ne savais pas quelle heure il était, mais je commençais à avoir légèrement froid.

Stelio me regarda avant de lâcher :

-Tu devrais manger tant que c'est chaud, ça t'éviterait de trembler...

Encore une fois, j'avais senti au fond de moi son regard sur ma personne. Mais il n'avait plus rien à voir avec la menace que je ressentais au départ.

-Vous avez raison, je vais m'y mettre...

-Arrêtes de me vouvoyer, rouspéta-t'il, si tu travailles pour moi, tu vas devoir avoir plus de répartie...

Je soufflais.

Je dégustais les derniers mets restants, qui n'étaient plus vraiment chauds. A côté de moi,Stelio avait terminé son repas mais sembla attendre que je termine le mien, cachant comme il le pouvait son impatience. Pressentant son agacement, je posais mes couvertes et l'invitais à me suivre.

-Je vais vous préparer votre lit. Combien voulez-vous de couvertures ?

-Ne t'embêtes pas, je vais dormir à même ton canapé, ça ira amplement...

Je le guidais jusqu'à la salle de séjour et lui désigna le divan en question.

-Parfait, lança-t'il. Merci encore...Pour ton hospitalité...

Comme cette phrase semblait lui avoir coûtée. Il s'affaissa sur le divan, après avoir prestement ôter ses chaussures. Ses longs cheveux reposaient sur l'accoudoir, touchant presque le sol.

Il avait déjà fermé les yeux et respirait doucement. Timidement, je tentais quand même :

-Vous savez je crois que... Je suis heureuse de vous avoir rencontré... En fait...

Aucune réponse. Le doux professeur dormait déjà à points fermés.

Je le quittais d'un petit rire avant de retourner dehors, débarrassant la table des dernières choses l'encombrant. Le souvenir de ma boîte magique et de son mystérieux contenu me revint. Moi qui voulait faire durer le suspens, j'étais servie...

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