9 - Renaissance

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La lune me salue d'un air moqueur. Sous la caresse de ses rayons, la dépanneuse embarque ma pauvre voiture, dernier objet légué par mes parents.

S'il y a peu de chances qu'elle soit classée épave, il était cependant certain que je ne pourrais pas m'en servir tout de suite.

Je la regardais s'éloigner de moi d'un air dépité. Je ne m'étais pas trompé quand j'avais vu ces coquelicots. Nous étions bien près de chez moi.

-Que t'est-il arrivé ? Tu aurais pu nous tuer tous les deux si je n'avais pas crié !

Stelio me sermonna. Il était à peu près indemne, si l'on oubliait ses côtes endolories et l'hématome de son dos. Mais globalement, ça allait.

De mon côté, je peinais à marcher. Chaque pas m'était douloureux. La seule chose me rassurant était la légère impression que mon accompagnateur était inquiet pour moi. Ce qui, bien sur, tenait plus de l'illusion.

Je commençais à m'éloigner, tel un fantôme guidé par la mort vers sa prochaine destination.

-Hé ! M'interpella mon ancien passager. Je te signale que je me retrouve à la rue par ta faute !

Je ne l'entendais plus.

J'avançais comme un zombie sur le chemin de ma maison. Je respirais à peine.  Alors que je tenais contre moi mon sac que j'étais parvenue à récupérer, je voyais la courbe de la route se dessiner devant moi.

Elle faisait une sorte de bosse qui vibrait à chacun de mes pas. J'avançais vers son sommet comme pensant y trouver une bonne nouvelle une fois que je l'aurais dépassée. Seule l'horizon me répondit.

S'étendant en une immense plaine verdoyante, le paysage se ponctuait de belles fleurs rouges.

Je restais un instant au sommet de cette « colline » à observer l'immensité face à moi.

Mon cœur ne retrouvait plus la paix. Pire que ça, il comprenait qu'il l'avait perdue il y a longtemps, sans s'en rendre compte.

Le soleil était en train de se coucher, faisant apparaître de belles couleurs épousant la terre. Ce que je pouvais aimer la nature. Les plus beaux tableaux se trouvaient indéniablement dans tout ce qu'elle pouvait créer.

Je suivais la route pour bientôt apercevoir l'escalier de pierre menant à ma maison. Mes jambes me faisaient terriblement souffrir et ma hanche massacrait ma respiration. Mais je ne sentais plus rien. Je gravissais les marches comme si un marionnettiste situé dans le ciel avait relié mes genoux à des fils de nuages.

Je rentrais chez moi, la mine aussi triste que la lumière déclinante qui traversait mes murs. J'avais l'impression d'être dans un monde en noir et blanc. Bon sang...Qu'allais-je devenir ? Ma voiture était inutilisable pour un bon moment, les vacances approchaient et avec elles les clients qui me contacteraient ! Comment allais-je rattraper ça ?

Je me dirigeais vers la salle de bain. A ce stade, seule une douche fraîche pouvait me soulager...

J'entrais dans la pièce. Je n'arrivais plus à savoir si c'était l'heure tardive qui avait aspiré la lumière ou mes yeux qui ne parvenaient plus à la voir. Qu'importe, je me débarrassais de ma besace, qui tomba lourdement sur une chaise. Je m'apprêtais à ôter le reste de ce que j'avais sur le corps quand un élément attira mon attention.

Ma besace bougeait toute seule !

D'abord choquée, je tentais de regagner mon calme en comprenant que les vibrations de mon téléphone étaient à l'origine de ce phénomène.

Je m'emparais de l'appareil. Peut-être s'agissait-il de Rarnah ou Kaoru, inquiets de mon absence ?

« Mom & Dad »

OH MY GOOOOOOOOOOOOOOOD !

Je les avais complètement oubliés ! Cela faisait peut-être trois jours qu'ils m'appellaient désespérément ! Je ne pouvais pas y couper, mais qu'allais-je leur dire au sujet de tout ce qu'il venait de se passer ?...

Je ne pouvais plus fuir. Pour la première fois depuis longtemps, mes yeux comprirent qu'ils devraient s'ouvrir entièrement. Et qu'il ne leur serait peut-être plus jamais donné de se fermer...

-Allô ?...

-Oh ! My dragonfly ! Comment vas-tu ?

La libellule... C'est depuis toujours le surnom que mon père me donnait. Je le détestais jusqu'alors. Mais ce soir, sans comprendre pourquoi, je l'appréciais plus que tout au monde. Pire, j'avais envie de l'entendre répéter toujours plus fort, comme si je l'entendais à travers un couloir de brume.

-Bonjour Papa... Comment ça va ?

-On s'est inquiété ma Chérie, ajouta ma mère à côté de lui, nous t'avons appelé des tas de fois. Pourquoi ne répondais-tu pas ?...

Pourquoi je ne répondais pas...

Je commençais à le comprendre...

Je ne leur répondais plus parce que j'en avais assez de leur mentir. Et le pire, c'est que j'avais tant menti à moi-même que je ne m'en étais même plus rendue compte..

-Mon Dieu... Papa, Maman... Pardon....

Je sentis leur silence se faire lourd.Comme s'ils avaient craint d'entendre cette phrase. Je décidais de rattraper la chose en citant un fait plus rationnel :

-Je... J'ai abîmé la voiture aujourd'hui...

Je ne pouvais pas leur cacher. C'était trop grave. Ce véhicule était l'objet le plus précieux qu'il m'ait jamais légué.

Mais leur silence était persistant.Quelque chose clochait...

-Tu... Tu n'es pas blessée au moins ? Me demanda mon père.

Mes lèvres esquissèrent le mouvement du « non ». Mais il ne parvint pas à sortir. Si, j'étais blessée. Pas à la hanche ni même au cœur, mais dans quelque chose de bien plus profond que ça...

J'étais blessée à l'orgueil. A l'âme...

Mais je n'arrivais pas à leur dire. Je n'arrivais plus à parler. C'est comme si mes cordes vocales venaient soudainement de se dégeler.

Et là, il se passa quelque chose. Ma mère cria dans le combiné un mot que je n'avais plus entendu depuis longtemps. Un mot qui grimpa le long de mon tympan comme une fée sur un missile pour éclater contre ma cervelle, la débarrassant de l'armure de verre qu'elle s'était forgée.

Mon véritable prénom. Pas celui qu'avait choisi ma grand-mère et que j'avais adopté, mais le vrai, le premier, celui qu'ils m'avaient donné et que j'avais lâchement renié.

Les larmes se mirent à couler sur mes joues, emportant avec elle encore un peu du masque qui s'y trouvait. Je n'avais plus rien de faux. Comme sortant d'un cocon, je renaissais. Mieux, je me réveillais. Et toutes les choses que j'avais loupées affluèrent vers mon cerveau, l'envahissant de beaucoup de choses que je m'étais refusée de voir jusqu'alors.

J'avais choisi que tout soit de ma faute. Et comme après ce match de boxe où j'avais perdu, je m'étais contentée de cette conclusion pour cesser de me battre.

C'est d'une voix éplorée, s'arrachant de mes entrailles sous mon corps plié que je clamais à mes parents :

-Pardon, pardon, PARDON !

Je vous ais toujours menti ! Je n'ai pas fui l'Angleterre, je n'ai pas refusé votre prénom, je n'ai pas évité vos appels parce que je ne vous aimais pas. Mais parce que j'avais peur de ne plus être digne de vous !

Un silence se fit encore. Mais ce dernier était cruel. Parce qu'alors qu'ils ne disaient rien, je percevais entièrement l'attention accrue de mes parents envers mes paroles.

-Je vous ai trahit, trompés, dupés. J'ai craché sur l'amour sincère et merveilleux dont vous m'avez gâtée ! J'en ai fait des confettis que j'ai jeté dans une rivière ! Je ne vous ai montré aucun respect après tout ce que vous avez fait pour moi ! Mamie, le match, le diplôme... Je me suis cachée derrière de faux prétextes pour vous fuir ! Parce que... Parce que...

Je m'asseyais sur le rebord de ma baignoire. Étrangement, ma salle de bain me paraissait un peu plus lumineuse....

-Parce que j'avais honte d'avoir tant échoué après tous les efforts que vous aviez fournis pour ma réussite ! Parce que je ne m'estimais plus digne de vous, parce qu'on ne peut pas regarder le ciel qui nous a fait naître quand on s'est enterré six pieds sous terre !

Parce que, parce que...

Parce que je suis misérable et lâche, voilà tout...

Je respirais. J'avais l'impression qu'une copie de moi était sortie de mon corps en l'éclatant pour beugler tout ça, que des rochers étaient sortis de ma gorge.

De leur côté, je les sentais comme reprenant leur souffle après avoir essuyé une tempête formée de cris de sirène : leurs oreilles n'en revenaient pas.

Je lâchais un petit reniflement. Mes larmes n'étaient pas encore sèches et mon nez s'était mis à couler.

C'est alors que j'entendis à ce son peu gracieux comme un écho : mes parents, à un continent de distance, avait eu la même réaction !

C'est donc d'une voie tremblante que ma mère dit :

-Tobias, je crois qu'il est temps de lui dire...

Je m'arrêtais. Grand Dieu, qu'avais-je déclenché ?

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