8 -Coincés

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C'est dans un silence surprenant que nous traversâmes la cours. Je ne m'attendais pas à ce qu'il ne dise soudain plus rien. Cet homme était décidément plein de mystères...

Je parvenais enfin à la voiture. Je m'installais à ma place pendant que Stelio s'asseyait côté passager, gardant son sac à ses pieds. Il avait eu la même idée que moi !

Je commençais à sortir du parking, rejoignant la grande avenue bordant l'Université. Stelio, à côté de moi, était étrangement calme.

Son mutisme me fit replonger dans mes sentiments récents. Mon Dieu, Kaoru...

Pourquoi soudain suis-je si blessée que mon absence te soit profitable ? Si, au final, elle te permet d'être heureux ?...

Des larmes assassines embuèrent mes yeux. Je ne réfléchissais même plus à emmener Stelio à son hôtel. Il était si silencieux à côté de moi que je l'avais totalement oublié !

Autour de moi, le décor défilait comme un panorama. Je voyais les paysages se succéder autour de mes yeux. J'avais l'impression de ne plus avoir de corps. J'avais pris tellement de coups que ce dernier mettait très longtemps à répondre.

Non, ce n'était pas ça.

Ma tête avait été si malmenée que c'est comme si elle lévitait dans le vide, reliée à rien.

Pourtant, à bien y réfléchir, cela n'aurait pu dû tellement me choquer. Il y a bien longtemps que j'avais séparé mon esprit de tout ce qui l'entourait.

Un souvenir cinglant me revint. La dernière fois que j'avais vu Kaoru, c'était lors de cet affrontement contre Stelio, dans la cours de l'école. Ce combat d'escrime idiot que j'avais été forcée d'accepter...

Ce sourire pour qui j'aurais tué, il était en train de rire de ma propre chute, de mon lynchage honteux.

Et aujourd'hui, mon absence lui avait été profitable.

Je ne m'étais autorisée que de manière très coupable à me rêver aux côtés de Kaoru, à ce que nous aurions pu faire ensemble. Tout en sachant que cela n'était pas possible. Je goûtais a ces rêves éveillés comme à des pâtisseries faites de nuages. Ce fantasme, et beaucoup d'autres, constituaient mes pensées quotidiennes. Mais lorsque je commençais à interagir avec la vie, je les mettais de côté, ne croyant plus à rien, me laissant guider comme les voitures que je conduisais.

J'étais perdue. Alors que je m'étais sentie si forte il y a quelques instants, prête à faire face à tous les phénomènes que j'avais fui dans ma vie, voilà que la pensée du sourire de Kaoru, qui me menait d'ordinaire vers le ciel, était en train de me faire désespérer.

Que devais-je faire ? Je ne savais plus ce que je devais croire. Tout me paraissait simple lorsque je me disais que, de toute façon, la volonté ne pourrait rien. Que, quoiqu'il en soit, le bonheur ne voudrait pas de moi.

Et aujourd'hui pourtant, je m'étais mise à y croire. A penser aux choses qu'il m'était possible d'accomplir...

Mais il fallait que celui aux côtés de qui j'aurais rêvé d'affronter la vie agisse sur mon coeur comme un poids, et sur mes envie comme un frein.

Et en parlant de frein...

-PUTAIN ! Fais GAFFE !

Je revenais à la réalité. Trop tard. La voiture était en train de se décaler de la route. Je n'arrivais plus à retrouver mes réflexes, j'avais peur. A quelle hauteur étions-nous ? Etait-ce bien Stelio qui avait crié à l'instant ?

Oui, c'était lui.

D'un geste sec, je replaçais la voiture au centre de la route. J'avais tourné le volant avec une telle force que j'en percutais Stelio, assis à côté de moi, avec mon épaule.

Je tournais la tête vers lui, répondant à son visage colérique par une expression fière et impénétrable. Face à lui, je ne voulais vraiment pas perdre la face. Pas davantage.

Mais le sort en décida autrement.

Mon dernier souvenir se constitua de ses yeux de lune. Ce fut un instant où le temps et l'espace étaient suspendus. Les yeux de mon professeur, en face de moi, étaient d'une clarté qui me fascinait toujours.

L'instant d'après, je vis son visage totalement disparaître. Vraiment. Ses longs cheveux noir furent balayés par une telle force qu'ils avalèrent complètement la tête de leur propriétaire.

Je tournais la tête face à moi mais ne pus rien voir. Tout ce que je perçus fut une nuée d'éclats de verre et de cailloux que j'esquivais en me couchant sur le levier de vitesse. Ce dernier s'enfonça douloureusement dans ma hanche, mais je ne m'entendis même pas crier.

Je ne gérais plus rien. Ni mon véhicule, ni mon corps. Je ne savais plus si c'était moi qui tournait ou la voiture. J'avais l'impression que l'on m'avait jeté dans un lave-linge.

Je savais qu'il y avait des coups, et j'avais l'impression que je ne les ressentais pas. A côté de moi, Stelio était tout aussi secoué de tremblements.

Cette fois j'en étais sûre. Sans rien voir ni sentir, je savais que plus aucune roues de la voiture ne touchait le goudron.

J'eus un étrange goût de suie et de gravier dans la bouche.

Je ne voyais plus rien. La dernière sensation qui me saisit avant que je ne m'endorme fut la douleur sifflante ressentie dans ma hanche.

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Il pleuvait. J'en étais sûre. Le son de la pluie était très proche.

Je tentais un premier mouvement. Mes doigts semblaient répondre et mes poignets aussi. Je me rappelais alors que je les avais senti se rompre.

Je relevais la tête vivement. Un peu trop. Tout mon corps se tordit de douleur. Comme si un courant électrique m'avait traversé.

Je reconnaissais peu à peu ma voiture. Je n'arrivais pas très bien à bouger. Je m'appuyais sur mes bras pour voir un peu plus haut.

Je ne comprenais pas. Un décor herbeux plongé sous la pluie m'apparut. Je pouvais reconnaître les hautes herbes émeraudes et les coquelicots semblables à ceux que je pouvais apercevoir près de chez moi.

Sauf que cette fois, ils poussaient à l'horizontale. Comme collés à un mur. Je tournais la tête sans comprendre. Voulant m'approcher, ma main s'ancra sur une texture moelleuse.

Je tournais la tête. C'est horrifiée que je découvrais le corps inconscient de Stelio.

Je me rappelais de tout. En évitant le gouffre se trouvant à droite de la voiture, je nous avais fait basculer dans un fossé. Il était certes moins profond, mais suffisamment pour bloquer la voiture à l'intérieur. Sans compter le fait que le boue allait terminer de nous enliser.

Ma voiture était donc ancrée dans le fossé, à la verticale. Je plaçais mes pieds contre la portière côté ciel. Rien ne venait.

Je commençais à désespérer. Et si je me retrouvais coincée ici ? Je tournais la tête derrière moi : Stelio était inconscient.

Je voyais ses cheveux voilaient ses paupières closes. Mon coeur rata un battement. Etait-il mort ?

Non ! Je ne le voulais pas ! J'avais pensé beaucoup de mal de lui, mais quand même ! Je ne voulais pas en arriver à cette extrême.

Je tentais de m'approcher davantage. La réalité de l'apesanteur me rattrapa et je tombais complètement contre mon passager, toujours inconscient et pour ainsi dire complètement encastré dans la portière. Je me trouvais d'un seul coup assez près pour l'observer très attentivement.

Un mouvement d'une de ses mèches de cheveux, positionnée devant sa bouche, me permit d'affirmer qu'il était bien vivant. Je soupirais de soulagement avant de chercher une solution. Pour commencer, je devais évaluer l'espace entre la  portière de Stelio et le fossé. Peut-être était-il possible de sortir en rampant ?

Je saisissais comme je le pouvais mon acolyte. Compliqué de soulever quelqu'un à l'horizontale, surtout quand on est couché dessus.

Je tentais désespérément d'atteindre la portière située derrière le corps de Stelio, mais ce dernier était si bien encastré qu'il la cachait complètement !

Je glissais mes doigts sous ses aisselles. Je cherchais avec mon genoux une prise pour le soulever. Rien n'y faisait.

Enfin, je parvenais à caser chacun de mes deux genoux de chaque côté de l'évanoui. Je glissais de nouveau mes mains sous ses bras, les réunissait dans son dos et tirait vers moi. Rien, mais je sentais que je tenais le bon bout !

Je basculais de toutes mes forces en arrière, encouragée par le pressentiment que le corps de Stelio se débloquait petit à petit. Je tirais de nouveau en arrière, pressant le corps de mon professeur contre moi.

La peur que la chaleur du corps que je serrais contre moi disparaisse me poussa à redoubler d'efforts.

Soudain, je sentis un déclic. Le corps de Stelio fut catapulté sur moi, soufflant de panique.

Je comprenais. Il s'était coincé entre le siège et la portière, ce qui avait bloqué sa respiration et l'avait poussé à l'évanouissement.

De mon côté, j'étais trop tétanisée pour lui dire quoi que ce soit. C'est lui qui s'écarta de mes bras.

Il me fit face, et je sentis dans ses yeux la panique et la peur. Il ne devait plus savoir où il était.

Cette vision me tordit le coeur. J'étais envahie par la découverte du fait que je ne voulais pas qu'il souffre. Ses grands yeux clairs me fixaient, ses pupilles naviguaient entre chacune des miennes, comme s'il pouvait trouver la réponse à ses questions avant que je ne parle.

Et le pire, c'est que cela me paraissait presque possible.

-La voiture est tombée de haut ?

Il avait analysé la situation à une vitesse impressionnante. Il parvenait déjà à se situer spatialement.

Je décidais de le suivre dans sa perspicacité.

-Non, mais elle a basculé sur le côté et je n'arrive pas à ouvrir les portières...

Il tourna la tête pour regarder derrière lui. Un simple coup d'oeil lui permit de comprendre que l'on ne pourrait certainement pas passer vers la portière que je visais au départ.

Il se retourna vers moi.

-Aides-moi à pousser ta portière, c'est la seule manière de sortir de là !

Il commença à se coucher et à pousser la portière à l'aide de ses pieds. J'enclenchais l'ouverture de la portière et poussais également à l'aide de mon épaule.

-Pas comme ça ! Beugla mon compagnon, allonges-toi et pousses, comme moi ! On y arrivera jamais sinon...

Je le regardais sans comprendre. Où voulait-il que je m'allonge ? Il n'y avait aucune place !

Je glissais jusqu'à côté de lui et me faufilais comme je le pouvais dans l'espace disponible, c'est à dire trois fois rien. Je tentais de coller mes pieds contre la portière comme mon acolyte, mais j'étais définitivement trop loin ! Il en avait de belles, lui, avec son mètre 82 !

Je me déplaçais comme je le pouvais quand je sentis un bras s'enrouler autour de ma taille. Stelio m'avait rudement attrapée pour me mettre devant lui, à un niveau un peu plus bas où je pouvais atteindre la porte avec mes chaussures.

Je me mis à pousser de toutes mes forces. Je me rendis alors compte que Stelio était en train d'utiliser mon propre corps pour ouvrir la porte ! Rien que ça !

Je ne me formalisais pas et obtempérais. La portière finit enfin par vaciller...

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