7 - Déclic

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"Allez ! Tu vaut mieux que ça !"

Un autre coup. Je ne les comptais plus. Je savais juste que chacun me faisaient mal. Je poussais toutes les cellules de mon corps à se solidifier pour assurer ma garde. Rien n'y faisait. Stelio n'avait même pas besoin de contourner mes gants pour me frapper. Je me protégeais si faiblement qu'il passait au travers comme on brise une allumette.

Je me sentais tomber au sol. Je ne savais même plus si c'était vrai. Je sentais mon corps fait de pierre. Il me paraissait à la fois lourd et de mousse. La simple présence de Stelio me tétanisait.

Après une énième chute, je le vis me regarder avec un désespoir assez prononcé. Pourquoi ? Qu'avait-il attendu de moi ?...

A moitié réveillée, je le vis ôter ses gants et les reposer sur le banc qu'il y avait à côté.

Je me relevais faiblement. J'avais des hématomes partout. Sur les jambes, les épaules, le visage... Et surtout sur le coeur...

Mais qu'est-ce qu'il nous était arrivé ? Comment en étions nous réduis à cela ?

Je me relevais péniblement. Ma tête tournait et mes yeux étaient embués. Combien d'échecs cuisants allais-je encore affronter cette semaine ?

-Allez, debout...

La voix claquante de Stelio avait encore résonné. Je ne savais même pas s'il avait parlé. En fait, j'avais de plus en plus l'impression qu'il se comportait avec moi comme s'il m'avait toujours connu. Mieux, je me surprenais moi-même à me dire qu'il n'avait pas besoin de parler pour que je devine ses paroles.

Je tentais d'ailleurs de tester cette affirmation.

-Dites-moi, pourquoi avoir décidé de m'entraîner si soudainement ?...

-Tu n'écoutes donc jamais ! Désespéra mon professeur. De un, je t'ai expliqué que je voulais vérifier l'état du matériel et deuxièmement, c'est moi le prof, c'est moi qui pose les questions !

Je souriais. J'avais parié qu'il dirait ça !

Je me relevais tant bien que mal. Je crois que je ne savais plus trop où j'étais.

J'avançais à mon tour vers le banc où Stelio était en train de nettoyer ses gants. Je m'approchais et pivotais sur moi-même, m'asseyant à côté de lui. Je marquais un temps avant de lever les yeux.

Il avait un air complètement différent lorsqu'il était concentré. J'aurais juré qu'il réfléchissait à des tas de choses très graves.

D'un seul coup, ses pupilles pivotèrent vers moi. Elles étaient toujours de cet incroyable couleur argentée, semblables à des plumes d'acier tranchantes. Sans me quitter des yeux, il me tendit le tube de lubrifiant (utilisé pour l'entretien des gants de boxe, je le rappelle). Je m'en saisis en un sourire, le posant à côté de ma cuisse alors que je dérouler les bandes autour de mes doigts. Je ne me rendais même pas compte que je n'avais à présent plus peur du tout. Même son regard de fer ne me transperçais plus.

Mes mains libérées, je reprenais le tube pour nettoyer mes gants. Stelio en profita pour s'asseoir à côté de moi.

-N'en mets pas trop, indiqua-t'il, sans quoi, ils vont s'abîmer.

-Je sais, répondis-je calmement.

Il ne parvenait plus à m'énerver.Quelque chose s'était passé. Ironiquement, en dépit de l'agacement que me causais mes récents échecs, ce combat m'avait apaisée...

-Tu en as déjà fait ? Demanda Stelio, soudain curieux.

La douleur qui m'aurait saisie tout à l'heure devint ici une douce nostalgie. Comment cet homme, qui m'horripilait il y a quelques heures, pouvait à présent m'apaiser à ce point ?

-Oui, pendant cinq ans, révélais-je.

-Pourquoi as-tu arrêté ?

Son ton était étrange. Alors que la phrase se voulait interrogative, il l'avait dite comme s'il connaissait déjà la réponse.

Je n'essayais donc même plus de faire la fière. De toute façon, il serait bien capable de me percer à jour si je mentais.

-Parce que j'ai eu peur...

Je me rendis compte que cette phrase résumait presque la totalité de ma vie. J'avais fui l'Angleterre parce que j'avais eu peur de mes parents, j'avais refusé d'assumer le décès de ma grand-mère en m'attachant inutilement à cette vieille maison plutôt que d'aller de l'avant.

J'avais fui la réalité de mon amour pour Kaoru en me disant que, de toutes façons, il n'aimerait jamais que Akame.

Je m'étais enfermée dans des échecs prédéfinis, des quêtes que je me refusais d'entreprendre car je les pensais irréalisable.

Et c'est ma rencontre avec cet homme qui m'avait aidé à le comprendre.

Je tournais la tête vers Stelio. Il était resté silencieux. Ses cheveux tranchaient ses joues, les caressant d'une manière sévère.

-C'est bien.

Ses cheveux s'étaient agités sous cette phrase. Je le regardais sans comprendre.

-Ceux qui n'ont pas peur sont ceux qui meurent les premiers. Ceux pour qui c'est le plus dur sont ceux qui n'ont pas conscience des choses.

Je le fixais toujours. Il se releva lentement. Je suivais son mouvement des yeux quand un élément attira mon attention.

L'horloge du Dojô. Elle affichait...

-QUOI ?! Beuglais-je de la manière la moins grâcieuse qui soit, il est vraiment 16 heure ?! Mais comment est-ce que c'est possible ?! Je suis restée ici pendant quatre heures ?!

-Mais évidemment ! S'exclama Stelio sur le même ton délicat (c'est un sarcasme). Tu fixais le sac de frappe pendant 20 minutes entre chaque coups !

Mon Dieu... Et Kaoru et Akame qui m'attendaient au Parc ! Quelle horreur ! Je plaçais mes mains contre mon crâne. Mais quelle idiote !

Apercevant ma mine déconfite, Stelio lâcha :

-Qu'est-ce qu'il t'arrive ? Je t'ai demandé plus tôt si tu n'avais rien de prévu et tu as choisi de rester ici...

C'était vrai. Ce sale vieux avait décidément toujours réponse à tout.

Je baissais la tête, honteuse.

S'en apercevant, il prononça une phrase qui, selon lui certainement, se devait rassurante :

-Bah, c'est pas grave, tu as passé l'après-midi avec moi à te faire casser la tronche, c'est pas plus mal.

Mes poumons étaient en train d'éclater de rire, mais ma voix n'arrivait pas à suivre.

Penaude, je partais dans le vestiaire récupérer ma robe. J'avais trop transpiré pour la ré-enfiler tout de suite, et je devais laver la tenue de sport avant de la rendre.

Soudain, je me rappelais mes amis que j'avais honteusement laissé tomber. Je me précipitais sur mon sac et en sortait mon téléphone. Mon coeur se serra et mes intestins se crispèrent. J'avais un message de Kaoru !

Le stress colonisa jusqu'à mes doigts. C'est en tremblant que j'ouvrais le message de mon ami. Les premières lignes me brisèrent littéralement :

"Merci de ne pas être venue cet après-midi."

L'ironie que je pensais ressentir dans cette phrase manqua de me faire couler une larme. Mais ce n'était rien en comparaison de ce que me réservais la suite :

"Comme j'étais seul avec elle, j'ai vraiment pu me rapprocher d'Akame.

On a passé une belle après-midi (mais tu nous as quand même manqués !)

Si c'était fait exprès, bien joué ! Cela m'a bien aidé ! ;)

Allez, à demain la vieille !

Kaoru"

Je n'avais plus d'organes, ils avaient tous disparus. Le message de Kaoru n'était pas du tout ironique. Mon absence lui avait vraiment rendu service.

C'est l'âme en peine que je sortais du vestiaire, traînant mon sac comme s'il contenait mon énergie vitale.

Stelio afficha une mine surprise. Il comprenait clairement que quelque chose n'allait pas...

-Oulà... murmura-t'il.

Mais il ne sut pas quoi ajouter d'autre. C'est donc un peu gêné qu'il ajouta :

-Dis donc... Je suppose qu'il est inutile que je te demande de me ramener en voiture ? Je suis venu ici en bus et je n'y comprend décidément rien !

J'étais complètement à l'extérieur de moi. Comme hier après que Kaoru m'ait annoncé sa demande pour les vacances.

-Non, pas de problème professeur. Votre hôtel est sur mon chemin de toute façon...

-Appelles-moi Stelio, renchérit le dit professeur en se saisissant de son sac (pas question cette fois qu'il l'oublie de nouveau dans mon coffre !).

Nous sortions tous les deux à l'extérieur, attendant de rejoindre ma voiture.

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