6 - La Menace

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-Merci de m'avoir rapporté mon sac, dit-il d'un ton dénotant complètement avec son expression. Puisque tu es venue ici, je vais te donner une deuxième chance de me montrer ce que tu sais faire...

Je levais les yeux au ciel. Sans me démonter, je rétorquais :

-Mais vous en avez déjà eu un avant-goût hier ! Je ne vaux rien !

Je m'étranglais après ma phrase : ma voix tremblait. Pourquoi ? Je me rendis compte que cet homme me faisait peur. Il avait fermé la porte si sèchement... Qu'allait-il me faire ?

Il se rapprochait encore. Je me sentais rétrécir. Il me surplombait à présent. J'arrivais à sentir son souffle geler la sueur sur mon front.

-Je ne vais pas te défier à l'escrime car, effectivement, tu ne vaut rien, me dit-il en un sourire qui ne suffit pas à détendre l'atmosphère. Non, aujourd'hui, tu vas faire ça !

Il pointa un bras inflexible sur sa droite. Je tournais la tête pour apercevoir un punching-ball suspendu au plafond, auquel était également accrochée une paire de gants de boxe.

Non... Mon ancien démon... Je me rappelais encore mes deux années de boxe dont j'étais tombée amoureuse. A l'époque, j'étais encore en Angleterre. C'était véritablement ma passion. Et puis ce jour fatidique. Ce match où j'avais simplement été incapable de bouger. Écrasée par mon adversaire, comme Stelio me le faisait subir à présent, je n'avais pas réussi à faire bouger mon corps. Une cuisante défaite qui m'avait fait renoncer à ce sport.

Pas par choix, mais parce que le simple fait de monter sur un ring me paralysait.

Je devais très vite me défiler...

-Je regrette Monsieur, dis-je très poliment, mais je suis attendue par des amis. Je ne peux pas rester avec vous...

Je m'arrêtais. Ma voix tremblait encore. Mais que m'arrivait-il ?

En face de moi, Stelio demeurait impassible. Il continuait à me dévisager d'une manière que je trouvais sincèrement jugeante.

-Je ne te demande pas ton avis. Vas te changer et mets-toi en place...

-Quoi ? Criais-je, ma voix ne tremblant plus du tout. Vous êtes complètement en train de me séquestrer ?!

-Non ma grande, dit-il d'une voix calme. C'est toi qui t'enferme toute seule...

J'étais abasourdie. D'où ce mec se permettait-il de me juger ? Qu'en savait-il ? Je me décidais à lui faire face. Le regardant droit dans les yeux, je lui clamais :

-Ecoutez-moi Monsieur. Aujourd'hui,nous sommes Samedi, vos fonctions de professeur ne sont donc pas effectives. Ce que vous êtes en train de faire, c'est complètement de la séquestration !

Il eut un petit sourire. Mais il était complètement différent de ceux que j'avais l'habitude de voir. Ce sourire là respirait la douceur et le bien-être. Mieux, la sécurité.

Je ne savais plus quoi faire. Mon ventre avait peur et mon âme s'envolait dans un paradis secret, respirant la sérénité. J'avais l'impression que mon corps était resté en place, alors que ma conscience était partie en congé pour le plafond.

-Une simple démonstration et je te laisse partir... me murmura-t'il.

Je lâchais une expiration. A tous les coups, il ne me laisserait pas tranquille avant que je ne lui obéisses. Si je continuais à insister, j'étais bonne pour passer la nuit ici.

Je m'apprêtais à me mettre à la tâche quand Stelio plaça une main sur mon épaule. Il me désigna une petite porte menant à ce qui s'était improvisé comme le vestiaire du Dojô.

-Prends une tenue de sport à ta taille et vas te changer. Avec moi, on fait les choses proprement...

Je bouillonnais intérieurement. Dieu que je pouvais avoir envie de le frapper... Mais ce n'était pas lui qui allait être ma cible, on dirait.

Je revenais vers lui après avoir enfilé un simple short noir et un débardeur de même couleur.

-BIEN ! Lâcha-t'il d'un seul coup en m'arrachant un sursaut. Mets-toi en place et montres-moi ce que tu sais faire...

-J'ai une question, commençais-je, pourquoi voulez-vous tant que je vous montre mon niveau sportif ?

-PAS DE QUESTIONS ! Cria Stelio en m'arrachant un nouveau sursaut, c'est moi le prof, c'est moi qui parle !

Complètement fêlé. Tentant d'éviter de m'énerver davantage, je commençais à enfiler les bandes de protection.

J'en tremblais. Elle s'appelait Kate. Elle était gauchère. Son premier coup m'avait complètement tétanisé. Je n'avais tout simplement pas su quoi faire.

J'enfonçais les gants sur mes poings. Je ne pouvais pas empêcher mon corps de trembler. Derrière moi, la présence de Stelio se faisait plus lourde que quoi que ce soit. Sans me retourner, je sentais sur mon dos son regard qui m'auscultais. Moi qui m'étais détachée de la pression scolaire depuis mon emploi, j'avais l'impression de revenir à mes douze ans !

Je me mettais en position de garde. Je ne savais plus boxer, j'étais perdue. Je voulais simplement sortir d'ici. Akame et Kaoru doivent m'attendre !

Je mettais un premier coup. Le son résonant contre le sac de sable me rappela de cruels souvenirs. Dieu que je n'avais pas envie d'être là...

-Pfeuh ! Lâcha Stelio derrière moi, c'est tout ? Je frappe plus fort avec un seul de mes orteils !

Le mépris. Un puissant mépris à l'écart de cet home m'envahit. J'allais lui montrer ce que je sais faire et me barrer fissa !

J'enchaînais deux directs sur le sac. Mon ancienne frayeur me bloquait toujours trop. Même en tentant d'ignorer tout l'univers autour de moi, rien ne venait...

-Et quoi ? Tu as peur que le sac riposte ? Railla mon professeur.

Je me mettais à totalement l'ignorer. Ce n'était de toute évidence pas lui mon plus redoutable adversaire.

Je respirais. J'avais l'impression que le sac de frappe était immense et pesait une tonne. Et qu'il était déjà en train de m'écraser...

Je tentais de nouveaux directs qui n'enfonçaient même pas le revêtement de cuir du sac. Aucune marque ne s'affichait à sa surface. Pire, j'avais l'impression que mes coudes étaient collés à mes côtes, qu'il m'était impossible de déplier mon bras plus que de cinq centimètres. C'était affreusement frustrant.

-Tu es sérieuse là ? C'est tout ce dont tu es capable ? Quand vas-tu cesser d'avoir peur ? FRAPPES !

Je balançais un coup qui fit résonner à peine les murs du Dojô. Je sentais mon corps tout engourdi. Je me rendais peu à peu compte que c'est comme si j'avais dormi pendant trois ans.

Comme si cette vieille défaite avait scellé mon orgueil et ma conscience vers les nuages, pour l'empêcher d'assumer cette épreuve trop dure. Et que depuis s'était enchaînés l'abandon de mon pays et de mes parents pour venir en Angleterre, le décès de ma grand-mère, et cette passion irréalisable pour Kaoru...

Je soufflais. Je venais de comprendre énormément de choses sur moi-même. Et je comprenais que ce n'était que le début...

Mais alors que je l'avais presque oublié, mon Senseï se manifesta derrière moi. Il ouvrit la porte du Dojô et me lâcha :

-Dehors. Je n'ai que faire des incapables. Si tu ne vaut vraiment rien alors, hors de ma vue. Merci encore de m'avoir ramené mes affaires...

J'étais abasourdie. Oubliant complètement l'invitation à pique-niquer de mes amis, je tonnais :

-Ah non ! Vous avez de toute façon gâcher mon après-midi en me retenant ici, alors maintenant, vous assumez et vous m'entraînez jusqu'au bout !

Son expression se fendit en un sourire indescriptible. Ses yeux eux-mêmes étaient partagés entre l'envie claire de m'étrangler et la surprise de ma détermination. Il siffla :

-Toi... Est-ce que tu sais au moins à qui tu parles ?...

Je le regardais différemment. Calme jusqu'alors, il avait soudain l'air sur le point d'exploser. Son sourire disparu comme s'il n'avait jamais existé et il lança :

-Tu as trop peur, on dirait. Je ne dis pas que c'est une mauvaise chose, mais ce n'est pas ce que je cherche chez mes élèves. Alors, ouste !

-Non.

Il fit un mouvement de tête qui signifiait clairement son agacement. Je ne voulais plus partir. Je ne savais pas pourquoi. Je voulais continuer à me battre ici. Je venais de trouver une piste, quelque chose. Je ne savais pas à quoi elle menait, mais j'avais la conviction que passer à côté serait une erreur fatale.

-Écoutes, me lança Stelio en tentant de garder son calme. J'étais venu ici pour vérifier la solidité du matériel et des équipements. Tu m'as permis de voir directement une débutante à l'œuvre alors ça ira. Maintenant rentres chez toi. Une gamine comme toi doit avoir plein de choses à faire dans un week-end non ?

Je demeurais silencieuse. Ce que j'avais de plus important à faire à présent était ici, j'en était persuadée.

Je restais immobile. Je ne savais plus si c'était ma détermination ou ma peur qui m'empêchait de bouger.

Constatant que je restais immobile, Stelio s'approcha des équipements. Je le suivais du regard sans comprendre. Je le voyais faire glisser les manches de son kimono jusque sur ses épaules avant d'enfiler lui-même des gants de boxe.

Il fit demi-tour, une paire de gant solidement ancrée sur ses poings, et me fit face.

-Puisque tu tiens tant que ça à te faire du mal , laisses-moi t'avancer le travail en t'offrant moi-même une bonne leçon...

Stelio n'était donc pas seulement professeur d'escrime. Il avait apparemment des notions de boxe...

Je me mettais en garde, fléchis légèrement mes genoux et pris une grande respiration. Stelio était dans mon viseur, c'est à dire au-dessus de mes gants positionnés au-devant de mon menton.

Je fermais une fraction de seconde les yeux, le temps de me concentrer.

L'instant d'après, le visage de mon adversaire était à deux centimètres de moi, entouré du halo noir de ses cheveux, détachés par la vitesse de son saut.

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