5 - Le parfum de la peur

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Je me rappelle encore de la première fois que je l'ai vu. Je m'étais infiltrée discrètement dans la classe, dans l'espoir de ne pas être remarquée. Et ce fut le cas de tout le monde,  sauf de lui.

Je m'étais assise derrière une fille aux cheveux noirs, qui m'apparaissait comme la plus studieuse de la classe. C'est sans aucun bruit que je posais mes affaires, m'asseyais en m'oubliant presque moi-même, pour finalement pleinement m'installer comme si j'étais une plume atterrissant doucement sur la surface de l'eau.

"Vu !"

J'avais sursauté, je m'en souviens. Au départ, je voulais franchement arracher la tête au petit insolent qui s'était permit cela.

J'avais vu un ange.

Grand, les cheveux blonds où le soleil laissait voir quelques mèches rougeoyantes, de beaux yeux en amandes à la couleur chocolatée... Ce sourire et ce teint à l'épreuve même de la douceur. Ce sourire, sans s'ouvrir, avait avalé mon cœur.

Je m'étais calmé, rendant à mon voisin de table son sourire espiègle. Je lui lançais :

-Tu ne devais pas être bien concentré sur le cours pour me remarquer si vite...

-N'importe quoi, raillait-il en me tirant presque la langue, c'est juste que j'ai un sens de  l'observation à toute épreuve, voilà tout !

Pendant un instant, il n'exista que nous. Pendant un instant, le reste du monde disparu et l'image de ce garçon conquit mon esprit jusqu'à s'y ancrer d'une manière indélébile.

Et puis...

-Kaoru ! Chuchota la demoiselle derrière qui je m'étais assise en se retournant vers le jeune homme aux cheveux blonds, tu veux bien te taire ? Ne comptes pas sur moi pour t'aider à rattra... Tiens ? Bonjour !

Ce jour débuta une grande amitié entre nous trois, ainsi qu'une douleur sourde et quotidienne pour moi...

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Je me réveillais en sursaut. Épuisée de la veille, je m'étais directement couchée sur la chaise en extérieur. Heureusement, l'automne commençait à peine et je n'avais pas pris froid. La température était même plutôt idéale en ce matin.

Je me levais de ma chaise pour apercevoir la même forêt qui avait bercé mon sommeil. Cette fois, le soleil faisait refléter de merveilleuses couleurs orangées sur le feuillage des arbres et une chaude brise caressait mes joues. C'était là une des innombrables raisons qui me faisait adorer ce lieu : des réveils aussi merveilleux sont extrêmement rares.

Je me redressais doucement, profitant encore de la fraîcheur matinale avant de rentrer. Je n'avais rien mangé depuis hier midi.

Mon petit bazar était bien là. Sur les meubles étaient éparpillés carnets et feuilles, livres et bibelots dont la quantité ne permettait presque plus au bois d'être visible. Cela faisait deux ans que j'étais arrivée au Japon et intégré l'Université, et un an que Mamie Kaede avait disparue, m'amenant à recourir à un travail.

Je me dirigeais vers ma cuisine, dont le style rococo m'avait toujours charmé. Les portes des placards d'en bas étaient d'une couleur tilleul, tandis que celle d'en haut rayonnaient de leur teinte groseille. Je prenais un petit déjeuner composé de thé et d'un daifuku, directement sur la terrasse. Cette brise était trop agréable en ce samedi matin.

Un son de vibreur vers mon sac laissé en extérieur attira mon attention. Je posais ma tasse avant de m'en saisir.

Je fis un petit bond. L'heure ! Mon Dieu, il était onze heure ! Heureusement que nous étions le week-end et que je n'étais pas de service, j'aurais directement perdu mon boulot !

Je passais rapidement mon journal d'appels.

Bon Dieu ! 27 appels manqués de mes parents ! Alors même qu'ils sont encore en Angleterre ! Ç'avait dû leur coûter cher !

Je regardais mes autres notifications. C'est alors que j'aperçus un message d'Akame :

"Salut Sadae, ça va ?

Avec Kaoru, on était inquiets pour toi hier.

Du coup, on a organisé un pique-nique pour se détendre ensemble aujourd'hui.

Tu nous rejoins au Parc municipal à 12 H?

A plus tard :)

Akame"

Un sentiment déchirant me saisit. Je ne savais plus quoi penser. La joie de Kaoru à l'idée d'être seul avec Akame me vint en tête à travers son sourire séraphique, même sourire qui me donnait une envie irrépressible d'être avec lui.

Et puis zut, j'y vais ! Je n'allais pas me laisser faire si facilement ! Je m'étais toujours juré de préserver la merveilleuse complicité s'opérant entre Kaoru et Akame, mais là, ça devenait insupportable. Je vais aller à ce pique-nique et leur dire l'entière vérité de bout en bout !

C'est avec cette idée résolue que je me dirigeais vers ma salle de bain, elle aussi dans un style très ancien de porcelaine et de bois tendre. J'enfilais une robe rouge à poids blanc, rare élément de couleur au milieu de ma garde robe gothique (les quartiers de Tokyo regorge de boutiques secrètes aux vêtements absolument magnifiques, qui me poussait à me rendre à la capitale).

Je recoiffais mes courts cheveux noirs dont les pointes me piquaient la nuque en une courte queue de cheval. Je maquillais très légèrement mes lèvres rouges et mes yeux bleus avant de foncer vers la cuisine. Je prenais l'un des nombreux bentôs que je ne trouvais pas le temps de manger la semaine, l'enfonçais dans mon sac et fonçais vers la sortie. Je fermais précipitamment ma maison à double tour.

J'étais décidée. Je ne les empêcherai pas de s'aimer, mais je refuse de continuer à souffrir en gardant ce secret au fond de mon coeur. Cela fait un an qu'il se retient de battre, il n'en peut plus.

J'arrivais enfin à la voiture. J'ouvrais le coffre pour y mettre mon Bentô quand une masse inconnue attira mon attention.

....

NON ! La valise du prof de sport !!! Stelio était descendu hier de ma voiture en pensant que j'allais manger avec lui, il avait donc laisser sa valise dedans ! Merde ! Comment allais-je faire ?

Décidément, cet abruti arrivait à me gâcher la vie d'une manière plus que correcte !

Je réfléchissais à toute vitesse. Comment faire ? J'avais beau ne pas vraiment apprécier ce professeur, je ne pouvais pas conserver ses affaires comme ça. Et s'il m'accusait de l'avoir volé ? J'eus alors l'idée de déposer le sac à l'université. C'était après tout sur qu'il y retournerai.... C'était décidé, je déposerai ses affaires au Dojô de l'école. En espérant après ça ne plus jamais entendre parler de ce type.

Je décidais tout de même d'appeler Akame, pour l'avertir de mon retard.

-Allô ?

-Allô, Sadae ? Comment vas-tu ? On s'inquiétait de ton état. Tu as pu rentrer chez toi ?

Je n'avais pas eu le temps de répondre qu'une autre voix surgit de mon téléphone :

-Eh bouges-toi ! J'ai faim ! On est déjà au Parc, alors ramènes tes fesses !

Je restais interdite. Kaoru était déjà avec Akame. Et ils se trouvaient déjà au parc. Je désespérais. Une goutte de sueur coula lentement sur mon front. Je décidais de me ressaisir :

-Écoutez, je dois absolument déposer quelque chose à l'université. Je n'en ai pas pour longtemps. Commencez à manger si vous ne me voyez pas revenir...

-Comptes sur nous ! Assura Kaoru d'un ton taquin. Akame me salua poliment et raccrocha.

La sensation que j'avais ressentie il y a à peu près 24 heures quand Kaoru m'avait parlé des vacances refit surface. Mon coeur était de sable et les rares grains qui le composaient encore se délitèrent à nouveau. Je sentis toute énergie vitale se liquéfier par les pores de ma peau.

Mes amis ne s'étaient encore jamais réunis seul à seul depuis qu'ils me connaissaient. Et les rares  fois où je me retrouvais avec Kaoru, c'était pour discuter de son amour pour Akame.

Je me sentais complètement futile. Comment avais-pu encore y croire ?

Mon regard se posa sur l'intérieur de mon coffre, où attendait sagement le sac de Stelio. Au moins, le temps de conduire jusqu'au campus, je pourrais un peu oublier mes tourments. Du moins l'espérais-je...

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L'université était déserte, en ce Samedi. Fort heureusement pour moi, mes services de chauffeur étant bien utiles au professeur, ces derniers me laissaient souvent les clés de l'école.

Je traversais la cour. Elle était balayée des feuilles que les arbres, à la saison automnale, voyaient tomber de leurs branches.

J'avançais au milieu d'elle, les laissant m'entourer de leur valse douce. J'étais presque persuadée qu'elles tentaient de me dire quelque chose...

J'avançais lentement. Bon sang que ce sac était lourd !

Je connaissais le chemin du Dojô et il n'était pas bien loin. Je parvenais enfin à l'endroit. Je posais en pestant la charge que supportais mon épaule droite et commençais à pousser la porte.

Je marquais un temps et une mine stupéfaite. Elle était déjà ouverte !

Je l'ouvrait prudemment, pensant que quelqu'un avait oublié de la verrouiller la veille. Un bruit de mouvements à l'intérieur m'amena à penser qu'elle n'était pas vide. Timide et gênée, je lançais :

-Euh... Bonjou...

Je suspendais ma phrase. Vêtu d'un kimono traditionnel bleu et blanc, Stelio tourna la tête pour me regarder d'un air sévère. Il venait s'entraîner même le week-end?!

Son regard ne me lâchait pas. Il avait forcément dû se rendre compte que j'avais pris ses affaires. Le soucis, c'est qu'il ne pouvait pas forcément imaginer que je ne l'avais pas fait exprès.

Je prenais une grande respiration. Je m'emparais du sac et rentrais à l'intérieur du Dojô, ôtant mes chaussures.

-Bonjour Monsieur, énonçais-je poliment en une révérence. Je gardais les yeux baissés en disant :  je me suis rendue compte hier que vous aviez laissé vos affaires dans ma voiture, alors je suis venue vous les rapporter...

Je posais le sac au sol, me délestant de tout son poids. Au même moment, j'entendis la porte du Dojô se fermer.

Je me retournais vivement. Stelio venait de clore la porte du Dojô d'un geste sec. Il se retournait à présent vers moi. Mon coeur se serra. J'avais l'impression que les murs de la pièce s'écartaient de cet homme effrayant.

Drapé dans son kimono, ses longs cheveux noirs relevés en une queue de cheval de fortune, la colère dans son regard était si immense que je la sentais me serrer les côtes sans même qu'il me touche.

Une distance de plus en plus faible me séparait de lui. Je me sentais aspirée par ses iris d'argent. Ils étaient en train de me transpercer...

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