4 - Légère Victoire

7 minutes de lecture

Je remerciais poliment l'infirmière. Selon ses dires, je m'étais évanouie d'un trop plein de stress et de douleurs après le combat et avait été emmenée à l'infirmerie. Plusieurs de mes amis étaient apparemment restés avec moi pour me veiller, mais avaient dû s'éclipser avant la fin des transports en communs. Je devais à présent moi-même quitter l'établissement, tout le personnel étant parti.

Il était 19 heure. Je ne préférais même pas me remémorer les différents instants de ma journée. Dépitée, je me dirigeais vers le parking. Au moins, un petit temps de conduite jusque chez moi me permettrai de décompresser un peu.

Je fouillais dans mon sac et en sortais une cigarette. Je l'allumais tout en vérifiant que je ne voyais absolument personne. C'était mon petit secret à moi. Ni Kaoru, ni Akame n'étaient au courant.

"La cigarette, c'est pas pour les enfants !"

Je faillis avaler celle que je venais de glisser entre mes lèvres. Stelio ! Encore lui ! Il n'était arrivé au Japon que depuis 4 heures et avait déjà parfaitement su ruiner ma vie sociale ! Pour un peu, ça forcerai presque le respect!

-Foutez-moi la paix vous ! Beuglais-je, vous ne pensez pas que vous m'avez suffisamment pourri la vie ? J'ai loupé tous mes cours à cause de vous et vous m'avez totalement ridiculisée devant mes camarades !

-Tant pis pour toi ! Rugit-il d'une voix qui me coupa toute envie de hausser encore plus le ton avec lui. Tu n'avais qu'à mieux te défendre et te battre un peu plus ! Ce n'est pas de ma faute si tu es incompétente...

-Vous êtes sensé être PROF ! mugissais-je. Vous devez APPRENDRE à des ÉLÈVES votre discipline. Pas les tabasser avec !!!!

Il rata un petit sourire. Mais je m'en fichais. Il m'horripilait. Et il se permettait en plus d'en rajouter :

-Je te signale que tu me dois toujours un repas. Ton camarade blond m'a montré le Dojô, mais le reste du pari, c'était un repas en l'honneur de mon arrivée....

Je fulminais. Ce type avait pris la merveilleuse décision de pourrir complètement mon existence. Mais il me vint une idée. Je me décidais à devenir aussi pourrie que lui.

-C'est d'accord, lançais-je en rangeant ma cigarette dans mon sac, tout en profitant de l'occasion pour en sortir mes clés de voiture.

Stelio eut un air surpris, mais se laissa finalement guider. Il devrait y avoir moins de bouchons à cette heure, ce qui m'arrangeait largement. Mon invité n'attendit pas que je lui propose de monter pour le faire. Je le vis assis côté passager avant même de m'installer.

Je le conduisis à travers Nikkô. Il n'avait pas l'air plus impressionné que cela par l'architecture et les lumière chatoyantes de l'endroit. Pourtant, c'était un festival de beauté et de merveilles, surtout à la nuit tombée.

J'avais tellement conduit dans cette ville que je la connaissais pour ainsi dire par coeur. C'est donc sans la moindre difficulté que je me dirigeais à l'intérieur. Dans ma tête, différents souvenirs fleurissaient dans ma tête. Premièrement, ma discussion avec Kaoru de ce midi, l'apparition de Stelio sous la pluie, le sourire du blond lorsque je me suis effondrée après mon combat, et ce mot résonnant encore dans ma tête : "Pathétique".

-Oh ? Tu regardes la route de temps en temps ?

Je me retenais fermement de frapper mon voisin de siège. Il y a plusieurs choses que je ne supporte pas. Mais critiquer ma manière de travailler fait partie du top. Je vais la lui mettre profond à celui-là. Oh oui.

Je finis par me garer devant un hôtel-restaurant, couvant ma future victime d'un œil satisfait.

Je descends la première en l'invitant à me suivre. L'enseigne que j'ai choisie possède une apparence assez fastueuse. Mais je sais, pour y être allé quelques fois, que les prix sont plus raisonnables que ne le laisse penser l'apparence du lieu.

Stelio me suit en contemplant l'intérieur du restaurant. Son éternelle expression fière et impénétrable semble enfin se déliter pour laisser apercevoir une mine d'enfant curieux. Les mains dans les poches, les cheveux voguant d'un bout à l'autre de ses épaules, il tourne sa tête vers tout ce qu'il y a à voir.

Et je le comprenais. Les lampions rougeoyants pendus au plafond, les tapisseries délicatement ouvragées... Même l'odeur embaumant le lieu semble peu à peu nous posséder.

Un serveur se dirige vers nous. Je le connais bien, il s'agit de Daisuke, un jeune homme agréable ayant déjà fait appel à mes services de chauffeur.

Je le salue poliment.

-Bonjour Sadae ! Me clame-t'il gaiement, ce sera une table pour deux ?

-Oui, tout à fait...

Ma voix ne laissait rien paraître de ce que je préparais. En revanche, je tendais à Daisuke une petite liasse de billet. Il la saisit en un sourire, comprenant quel était mon plan. Je devais admettre que ce n'était pas la première fois que je l'employais.

Le serveur nous invita sympathiquement à le suivre, nous dirigeant vers une table située à côté d'un aquarium rempli de poissons tropicaux.

-Eh bien, clama Stelio en prenant place sans attendre qu'on lui ai indiqué la chaise, à défaut de savoir te battre, on dirait tout de même que tu as de bons goûts en matière de nourriture ! D'ailleurs, tu ferais bien de reprendre des forces, avec la raclée que je t'ai mise...

Je m'approchais calmement de la chaise située en face de mon acolyte. Je vis son regard changer à la vue de mon sourire. Il ne m'avait pas quitté des yeux, mais il trouvait quand même qu'il avait loupé quelque chose...

-Je ne mange pas ici...

Il tomba des nues. Mais vraiment. Je pus clairement voir sa mine suffisante se décomposer en une expression de surprise où la colère n'arrivait même pas à se trouver une place.

Je posais une main au centre de la table avant de me pencher lentement vers lui. Je fixais fermement ses yeux clairs.

-Vous m'avez dit que je vous devez un repas. Pas d'inquiétudes, il est payé d'avance (enfin, la moitié pour être exacte...) Cependant, vous n'avez jamais précisé que je devais rester avec vous. Quant au fait de vous trouver un endroit où crécher,  nous sommes dans un HOTEL-restaurant, je vous laisse faire le calcul...

Sa mine se ferma. Daisuke arriva avec un seul menu, ayant compris mon message. Il le posa devant Stelio, qui ne s'en saisit pas tout de suite.

Je vis son corps se déplier lentement pour s'avancer vers moi, les mains appuyées sur la table.

Une des mèches de ses longs cheveux coulissèrent jusqu'à toucher la surface de bois. Il braqua fermement ses iris dans les miens et me dit :

-Je ne sais pas à quoi tu joue, gamine. Mais si tu décides de faire la maline avec moi, tu vas amèrement le regretter...

Ce type...

Je ne laissais rien paraître. Me saisissant de mon sac, je le plaçais sur mon manteau, que je n'avais même pas pris le temps d'enlever.Si son délire était de me casser les pieds toutes la soirée pour se valoriser, il avait échoué. Un partout !

Sans plus attendre, je sortais à l'extérieur, rejoignant ma voiture.

-----------------------------------------------------------------------------

J'aurais espéré que mon tour aurait constitué ma victoire de la journée. Mais les derniers propos de Stelio me firent l'effet d'une douche froide. Ce mec me collait à la peau. Même là, alors que je gravissais les marches jusqu'à ma maison, je sentais encore sa présence froide et sa voie dure me souffler sur la gorge. J'avais l'impression de subir les trombes de pluie sous lesquelles je l'avait vu la première fois.

Contrairement à beaucoup de mes amis qui habitaient en centre-ville ou dans des appartements du campus, mon véhicule m'avait permis de prendre une petit habitation excentrée. En un quart d'heure d'auto, je me trouvais dans un coin de nature verte et paisible comme je les aimais tant.

Là, il faisait nuit, et j'avais besoin de mon téléphone pour percevoir les marches menant à ma maison.

Enfin, ma maison.

Celle que je partageais il fut un temps avec ma grand-mère. Mamie Kaede.

Si vous aviez pu connaître cette femme. Cette douceur et ce soucis des autres mêlés à un caractère bien trempé. C'était elle qui avait quitté notre pays d'Angletterre pour venir ici, fascinée par la culture asiatique et en recherche de sérénité. Et surtout son insatiable soif de voyage.

Elle m'avait proposé de la suivre. J'avais accepté sans hésiter. Sa mort m'avait obligée à trouver un travail pour continuer à payer cette maison, sa maigre retraite ne suffisant pas de son vivant.

Mais pour rien au monde, je ne lui en voudrais. Pour rien au monde je n'abandonnerais cette maison qui, bien que plus calme depuis son départ, garde encore une certaine partie de son âme.

Je gravissais les dernières marches de pierre menant à la maison. Elle disposait d'une petite terrasse où je m'installais. De ma position, je pouvais à présent distinguer la lune, qui devait bien rire de mon pitoyable état.

Dieu que j'étais laide à voir. Épuisée, la mine défaite et le corps lessivé, je m'affalais sur une des chaises de bois placées sur la terrasse.

Je jetais un regard doux sur la splendide forêt se trouvant en contre-bas. Le vent caressait la cime des arbres, emportant avec lui les murmures que les végétaux se confient parfois.

Franchement... Quel affreux Vendredi !

Je me rappelle encore la mine de Stelio. Ce fut l'instant le plus bref et le plus jouissif de la journée. En ce moment, il devait désespérer de payer le reste de son menu, puisque j'avais à peine avancer la moitié du prix du menu le moins cher.

Je souriais béatement à cette idée. La vue du ciel et des étoiles me ramenèrent le souvenir de Kaoru.

Je fouillais mon sac à la recherche de la cigarette que je n'avais pu savourer tout à l'heure. L'approche des vacances me donnaient à présent une sensation lourde, comme une véritable enclume pesant sur mon ventre.

Je regardais à présent le ciel à travers un voile de fumée. Je voyais les vapeurs entourer la lune, donnant à sa couleur d'opale une teinte argentée.

Je fermais les yeux sur ce spectacle, ma cigarette pendant encore à mes lèvres rouges.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Sharenbi ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0