3 - Défi grotesque

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Le lycée était tout à fait désert. Les cours étaient finis pour beaucoup d'élèves, et le reste était resté au chaud dans les locaux. De mon côté, j'avais loupé la totalité de mes cours de l'après-midi, les embouteillages du trajet retour m'ayant catapultée au début de la soirée.

-C'est donc ici que je vais exercer, constata Stelio en sortant de MA voiture. Et en rabattant la portière avec une brutalité désastreuse, en plus !

J'abandonnais l'idée de le rappeler à l'ordre. Il regarda l'endroit et ordonna :

-Conduis-moi au Dojô...

Cette fois, c'en était trop ! Je m'étais déjà faite correctement arnaquer dans la journée en arrangeant sans le vouloir un rencard entre ma meilleure amie et l'homme de ma vie. Alors c'est pas un enfoiré de macho qui allait me manquer de respect d'une manière aussi éhontée. Demain, je dis pas, mais pour aujourd'hui, j'ai atteint mon quota !

Je me plaçais correctement devant le nouvel arrivant. L'obscurité naissante de cette fin d'après-midi l'aurait rendu effrayant aux yeux ne n'importe qui. Mais j'aurais pu envoyer chier un grizzli tellement j'étais hors de moi à l'instant.

-Ecoutes-moi bien l'ami, je ne sais pas pour qui tu te prends pour me parler sur ce ton, ni où tu te crois pour t'imaginer que tout t'es dû de la sorte. Mais parles-moi encore une fois sur ce ton et je t'assure que je te laisse ici tout seul et tu devras te débrouiller pour trouver où crécher et tout le reste ! Alors on la refait : qu'est-ce que tu voulais me demander ?

Je me rendis compte que je m'étais mise à le tutoyer sans aucun soucis, comme il l'avait fait pour moi. Je me serais d'ordinaire excuser, mais face à lui, ce n'était même plus la peine d'y penser.

Mon interlocuteur marqua un temps pendant lequel il me considéra. J'ancrais franchement mes yeux bleus dans ses pupilles couleurs lune. Cette dernière d'ailleurs, n'allait certainement pas tarder à apparaître. En attendant, je continuais à regarder Stelio dans le peu de lumière que le ciel nous donnait encore.

Il avait les traits fins. Il devait bien avoir trente ans, mais pas plus. Là que je l'avais de plus près, je comprenais pourquoi il soulevait son sac sans la moindre difficulté : il était bien assez musclé pour cela.

Il avait de très longs cheveux noirs. Ces derniers exécutèrent une valse quand Stelio fit volte face. Il se dirigea vers ma voiture et ouvrit le coffre d'un geste silencieux. Je pris peur en le voyant exécuter un geste ample pour finalement sortir du sac qui était dedans une longue et fine épée, suivie d'une autre. Elles avaient l'air extrêmement flexibles mais néanmoins solides. Je le regardais sans comprendre jusqu'à ce qu'il me lance l'une des deux épées. Il claironna :

-Faisons un marché. Je t'offre ton premier cours d'escrime. Si je te bats, tu me conduis au Dojô et m'offre un repas pour fêter mon arrivée ici. Par contre, si c'est toi qui gagne, je m'engage à m'excuser et à t'offrir un voyage dans le pays de ton choix !

....

MAIS D'OÙ SORT CE TYPE ?! Reprenez-le bon Dieu, je n'en veux pas ! Et voilà qu'il se met en position d'escrime en espérant sincèrement que je relève sa provocation absolument idiote !

-Non mais vous êtes sérieux ? Pouffais-je, vous croyez sincèrement que je vais relever un défi aussi fou ? Alors même que je n'ai jamais fait d'es....

Un carillon très reconnaissble retentit. Il signait la fermeture très proche de l'établissement. Et donc l'obligation pour tous les élèves de quitter les locaux.

Oh non....

Ils allaient tous passer par la cours pour sortir ! Ils allaient forcément nous voir ! Je devais fuir, vite ! Et...

-Oi ! Regardez ! C'est le mystérieux nouveau professeur venu d'Italie ! Il a défié Tasokare-sempai en duel !

Un espèce d'abruti venait de claironner ça par la fenêtre. J'étais désemparée. Et voilà que le mystérieux professeur me fonce dessus en pointant son épée vers mon ventre. J'ai à peine le temps de faire un bond en arrière. Qu'il reprend l'assaut. Je saute à droite et à gauche pour éviter ses différents assauts. Il est rapide, le bougre !

-Eh bien, me lance-t'il, si tu ne te saisis pas de ton épée, je vais t'embrocher !

Je commençais à avoir un peu peur. L'obscurité ambiante ne me permettait pas d'y voir clair et j'étais définitivement face à un fou. Qu'allais-je devenir ?

Sans m'en apercevoir, mes pensées amères m'avaient poussées à reculer. Mon dos rencontrais alors une masse, ce qui me fis sursauter. Le comble de l'horreur était entrain de s'opérer.

Plusieurs élèves, poussés par la curiosité, s'étaient réunis en cercle autour de mon bourreau et moi-même, formant ainsi la corrida dont je serais le taureau. Et le torreador, en face, semblait très amusé de ce spectacle.

J'étais perdue. Je me saisis de mon épée juste à temps pour parer un assaut, sans avoir la moindre idée de comment je m'y étais prise. Je tente de tendre mon épée face à moi, à la manière de mon adversaire, mais ce dernier fonce vers moi à une vitesse phénoménale et me touche à la cuisse avec une force sensationnelle. Je titube et tente de me remettre droite, mais voilà que Stelio m'enchaîne sans me laisser la moindre ouverture.

Je ne veux pas. Je ne veux plus. Je ne voulais pas être là et j'ai beau lui ordonner, mon corps refuse de bouger. Je lui hurle intérieurement dessus "Allez. ALLEZ ! Bouge mon Dieu, BOUGES !"

Rien n'y fait. Tout ce que j'arrive à faire est de maintenir mon arme devant mon visage, et de la décaler de droite à gauche en fonction des coups de mon adversaire. Cette situation me rappelle de douloureux souvenirs de mon ancienne vie de sportive.

Ce dernier ne me lâche pas, me poussant dans mes derniers retranchements. Je finis par reculer jusqu'à me retrouver collée à un arbre. Impossible de fuir.

Entre deux de ses coups, j'aperçois pendant quelques furtifs instants les yeux de mon prédateur. Ma vue doit être troublée. Entre deux éclats d'épées, je le vois soit d'un sérieux impérissable, soit d'une folie sans limite.

C'est alors qu'une voix me sort de ma contemplation. Une voix qui se serait voulue salvatrice mais qui ici, devient meurtrière.

"Allez Sadae ! Te laisses pas faire ! C'est tout le répondant que tu as ?"

Face à moi, dans la foule s'étant formée pour assister à mon fantastique déclin, Kaoru était là. Accompagné de Akame, ils m'encourageaient à leur manière. Elle de son regard empathique, lui de son éternel regard jovial. De son infinie fraîcheur candide.

Et là, un paradoxe terrible m'apparut. L'espace d'un instant, Stelio prépara sa dernière attaque. Ses cheveux formèrent une ronde noire qui, en s'affaissant, laissait voir le visage de Kaoru. Ils étaient tous les deux côtes à côtes, à présent. Deux anges aux ailes de différentes couleurs mais le pire... C'est que Stelio, avec son air sadique, me parut sur l'instant bien moins cruel que mon Amour blond et son sourire chérubin. Son inconscience à mon égard le rendait finalement plus inhumain que n'importe qui.

L'instant d'après, mon adversaire appliqua son dernier assaut. De cet instant, je ne me souviens que de sa chevelure ébène tombant devant mes yeux, dont les paupières chutèrent dans le même temps.

Un seul mot me parvint avant que je ne perde conscience.

"Pathétique"

.... Oui. J'avoue. C'était vrai.

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