2 - Accueil du nouveau venu

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Il se retourna. Il me fixait intensément. Pendant un instant, je sentis comme un effet de gravité incontrôlable qui me dirigeais vers lui.

-Sadae... Accepterais-tu de me laisser passer ces vacances seuls avec Akame ? Je me sens enfin prêt à lui demander de sortir avec moi et... Je voudrais être seul pour le faire....

La gravité qui m'avait attirée il y a quelques instants vers lui pesa cette fois sur mon cœur pour le faire complètement exploser. Au fond de mon âme, ma conscience se mit à se foutre cordialement de ma gueule.

Je venais d'être victime de ma propre bonté. En voulant aider Kaoru à prendre confiance en lui pour être heureux, j'avais jeté à la poubelle toutes mes perspectives de concrétiser le mien en me mettant en couple avec lui. Et c'était bien fait pour moi.

Je me sentis lourde dans mon uniforme. Ma jupe me serrait, ma cravate m'étranglait. J'avais chaud et froid, j'aurais voulu disparaitre. Mon jeune ami blond haussa un sourcil curieux :

-Ça va ?

Je peinais à ne pas défaillir. L'effet de cadavre que j'avais cité tout à l'heure prenait toute sa mesure en cet instant. Je me sentais morte. C'est un état assez étrange finalement. Inutile de me demander de vous le décrire, cela demanderait trop d'efforts.

Parce qu'à cet instant, même respirer relevait du supplice.

-Je sais que c'est affreux de te demander ça après tout ce que tu as fait pour moi... ajouta Kaoru, certainement un peu inquiet.

Mon cœur me rappela à l'ordre. C'est moi qui avait mis cette machine en marche. Je savais à quoi je m'attendais.

-Ne t'inquiètes pas Kaoru, récitais-je alors que je n'entendis même pas ma voix. Je risque de toute façon d'avoir effectivement beaucoup de travail ces vacances. Je te souhaite beaucoup de bonheur avec Akame.

Je sais qu'il m'a dit quelque chose après cette phrase, mais je n'entendais plus. Je voulais qu'il reste à mes côtés. Je voulais que nos deux mains si proches puissent se toucher.

A l'instant où je tournais la tête, il avait disparu...

Je me recollais au dossier. J'avais l'impression d'avoir soulevé des poids de plusieurs tonnes. J'étais exténuée. Je ne préférais tout simplement pas penser à la suite des choses. Mon ventre était un trou noir, tout ce qui se trouvait autour était en train de disparaître...

Soudain, la voix de Kaoru me rappela :

-Sadae ! Je viens de croiser le principal ! Il dit qu'il a un énorme empêchement et qu'il ne peut pas aller chercher le nouveau prof de sport dont tout le monde parle ! Il te demande d'aller le chercher...

Je le fixais un moment, j'avais l'impression d'avoir traversé une autre dimension et que cette discussion sortait d'une autre époque.

Mais l'étudiant blond chassa mes doutes :

-Et au fait... Merci...

La sincérité de sa voix et de son regard me firent chavirer. Il rebroussa chemin en courant, en me lançant en dernier recours :

-Le nouveau professeur attend à la gare ! Il s'appelle Stelio Scipioni !

Je regardais mon camarade cavaler vers la salle de son prochain cours, sa cravate mal nouée se baladant sur son épaule. Je me remettais dans ma position initiale. C'était bien un truc du principal, ça : me faire faire des heures supplémentaires ! Et sans me demander mon avis ! (Et surtout sans me payer...)

Mon amour de la conduite ne réussit pas à me faire décoller tout de suite. Je plaçais un regard dédaigneux vers mon gobelet de thé renversé par terre. Il allait me falloir ramasser tout ça !

Je rassemblais mes affaires, jetais le gobelet dans une poubelle et me dirigeais vers le parking. Je n'arrivais même plus à savoir quel genre de force guidait mes pas...

J'aime vraiment la ville de Nikkô. Mais alors bon sang, pas quand il y a des bouchons ! Heureusement, j'étais dans un état tel que même si un trente-huit tonnes me rentrait dedans, je pense que je ne sentirais rien.

L'idée me vint, pendant un instant, de quitter ma voiture, la laisser là, et de partir marcher dans les quartiers colorés et dynamiques ou au contraire naturels et paisibles de Nikkô.

Mais le sort se décida à me calfeutrer ici. Le ciel, complice de mon chagrin, se mit à presser les nuages de gouttes drues. Il allait être bien accueilli, le prof ! Comment il s'appelait déjà ?

Je prenais une petite rue que j'avais repéré depuis un moment. Le bouchon s'était suffisamment allégé pour que je m'engage dans ce raccourci secret. Je tournais à plusieurs rues étroites, frôlant des petites épiceries discrètes et des maisons de petites tailles. Enfin, je déboulais sur la gare.

Une nouvelle épreuve se présenta à moi. Trouver un endroit où me garer...

Et ça ne s'annonçait pas simple...

Je me retrouvais coincée dans un nouveau bouchon. J'enfonçais mon poing dans ma joue. De toute façon,même ma peau avait déclaré forfait et se laissait docilement faire. Je m'amusais à scruter les piétons qui se serraient sous leurs parapluies pour échapper aux gouttes assassines. Ils me faisaient presque rire. Mais mes muscles ne m'obéissait plus. J'avais conduit comme un automate jusqu'ici, mais je découvris bientôt que je n'étais même plus capable d'ouvrir la bouche.

Chose qui allait être embêtante étant donné ce qui se présentait devant moi.

Aux détours d'un croisement de piétons, j'aperçus une silhouette.

Il était immobile et, en dépit de la pluie battante, n'avais ni capuche ni quoi que ce soit le protégeant. Il était grand, mince, la peau claire et, fait étrange, il portait des lunettes de soleil. Par ce temps. Il était intégralement vêtu de noir et tenait dans sa main gauche un énorme sac de même couleur.En dépit de sa stature fine, il la maintenait sans le moindre effort.

Nous nous fixâmes pendant un long moment. Les gouttes de pluie coulissaient sur lui comme si elles en avaient peur, formant autour de son corps un halo argenté. Je remarquais alors un fait surprenant. Que ce type pouvait avoir des cheveux longs ! Ils lui arrivaient jusqu'à la taille, et la pluie les avait collés à son survêtement noir, dont ils avaient la même couleur.

Sans crier gare, Terminator commença à bouger une première jambe. Il était en train d'avancer vers moi comme si je l'avais appelé ! Perdue, je cherchais une place où me garer, dans l'attente de trouver le professeur que, tout de même,j'étais venue chercher !

Un claquement me fit sursauter. Je regardais autour de moi, paniquée. Le rétroviseur intérieur me désigna que le coffre avait été ouvert puisque, à l'instant, il venait de se refermer. Je commençais à rager en imaginant que l'on ait pu me voler quand, sans crier gare, la porte passager s'ouvrit. Je vis s'engouffrer dans ma voiture le parfait inconnu que je fixais tout à l'heure. Et en effet, en replaçant mon regard devant moi, il n'était plus là. Comment avait-il pu se déplacer jusqu'ici aussi vite ?

Un automobiliste mécontent derrière moi me força à avancer, transportant avec moi cet étrange individu. Je m'arrêtais dès que possible, afin de le questionner un peu. Mais ce dernier, de mauvais poil, me coupa :

-Qu'est-ce que tu fais ? Conduis !

Il avait un étrange accent que je ne connaissais pas. Mais mon instinct me certifiait que ce n'était pas là un homme qu'il serait intelligent d'énerver.

-Excusez-moi Monsieur, répondis-je très poliment, mais il ne me semble pas vous avoir invité à monter dans ma voiture !

Il se tourna lentement vers moi. Je ressentis le même effet de gravité qu'avec Kaoru, mais dans un autre registre. J'étais paralysée par la peur. Ce type... Il se dégageait de lui une menace sans nom !

Et je n'avais pas encore tout vu...

Dans un geste très lent, il retira ses lunettes. Mon DIEU ! Je n'avais jamais vu des yeux aussi clairs de toute ma vie. Ils étaient presque blanc. Il y avait au fond d'eux un je ne sais quoi de vivant qui les rendaient visibles mais sans cela,ils se seraient complètement confondus avec le reste de l'oeil.

Le pire s'opéra alors : cet espèce de monstre se mit à sourire ! Oui, à sourire !

Une espèce de torsion de bouche lubrique qui aurait pu paraître angélique sur un autre visage que le sien mais qui, ici, ne pouvait pas faire autrement que psychopathe...

-Tu es drôle, toi, me lança-t'il. Tu n'as pas peur ?

J'écarquillais les yeux. Mais qui était cet homme ?! Je décidais de garder mon calme. J'étais d'abord partie pour lui lancer que l'on a jamais peur de rien lorsque l'on a plus rien à perdre. Mais je compris que cette phrase faisait bien plus adolescente en crise qu'autre chose. Je lâchais donc :

-Qui pourra vous conduire à destination, si vous me faites du mal ?...

Je ne savais pas du tout quelles conséquences allaient avoir mes paroles. L'homme garda d'abord un air étonné. Il me fixa comme si je venais de me mettre complètement nue avant que son visage ne se détende et qu'il éclate de rire.

Je pense sincèrement qu'il s'agissait là d'un rire que je n'oublierais jamais. Il était le mélange parfait de celui d'un enfant innocent et du plus vicieux des diable.Incroyable.

Il me reconsidéra. Cette fois, son regard était d'une curiosité franche.

-Tu sais qui je suis ? Me demanda-t'il très calmement.

Je ne me laissais pas démonter. En dépit des évènements précédents, je tenais le choc. Cet être avait su me réveiller de ma torpeur.

-Non, répondis-je, contrariée. Et j'aurais bien aimé le savoir AVANT que vous ne montiez dans ma voiture.

Il se recala dans le siège et croisa ses bras dont les mains étaient recouvertes de gants... noirs ! Il a encore plus de problèmes que moi celui-là !

-Je suis Stelio Scipioni. Je dois me rendre à l'Université Torû Tadase. Peux-tu m'y conduire ?

Je tiquais. Cet homme avait le tutoiement facile. Je ne me formalisais pas, et repris :

-Je suis Sadae Tasokare, et on m'a chargée de vous y conduire.

Du coin de mon oeil, je pus apercevoir,alors que je quittais le parking, le sourire diaboliquement enfantin de cet homme assis à côté de moi. C'était donc lui, le professeur nouveau venu...

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