1 - La décision de Kaoru

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Je déjeune avec Kaoru. La lumière glisse sur ses cheveux blonds comme si le soleil lui-même ne voulait pas les abîmer. Nous sommes tous les deux assis à l'une des table du Campus. Sirotant mon cocktail Rooibos – Citron (Dieu que c'est bon) je déguste moins mon breuvage que les charmes de mon camarade, assis à côté de moi.

Une luminosité naturelle se dégageait de ses traits. Il était mon soleil. Sa chevelure claire tempérait ses yeux noisettes,et son expression candide donnait à son sourire des airs angéliques. Il fixait avec une concentration à peine dissimulée le portail à l'autre bout de la cour. Les étudiants qui n'étaient pas encore sortis arriveraient probablement de là.

Il était mon parfait opposé. Aussi rayonnant qu'extraverti, il me faisait presque disparaître lorsque j'étais à ses côtés.

De mon côté, petite et pâle aux cheveux noirs, je donnais une fausse impression de cadavre ambulant aux côtés de cet ange éveillé.

Soudain, son expression changea. Et je savais pourquoi.

A l'autre bout du jardin floral, envoyant valser son uniforme et les regards envieux sous sa démarche résolue, Akame approchait. Ses longs cheveux sombres et ses yeux saphir firent pivoter plusieurs jeunes hommes. Cette dame était bien plus délicate que les fleurs qu'elle évitait à chacun de ses pas gracieux.

Elle quitta son expression sévère à notre approche, pour adopter un visage plus amical et lancer :

-Salut Sadae, Salut Kaoru ! Merci de m'avoir attendue pour manger !

Elle s'installa avec nous après s'est saisie de son bentô. Son sourire était d'une sincérité précieuse que Kaoru et moi dégustèrent avec grand respect. Enfin, surtout lui. Et il dégustait bien son bentô aussi...

Nous discutions tous de la grande nouvelle qui s'était répandue comme une traînée de poudre dans tout le campus : un nouveau club de sport allait ouvrir ses portes ! Et le moniteur le présentant était un européen !

Kaoru était tout excité :

-Avec tout ce que je fais en sport, je vais le coucher, claironnait-il. Il va retourner dans son pays plus vite qu'il n'en est parti !

Je pouffais un peu. D'humeur taquine, je lui lançais :

-Au vu de tes notes en géographie, encore faudrait-il que tu saches où il se trouve son pays, avant de l'y renvoyer !

Akame éclata de rire. Prit au dépourvu, Kaoru se retourna vers moi. Je voyais dans ses profonds yeux bruns mon carré noir entourant mon visage blafard se refléter. J'étais une minuscule perle triste et blanche, au fond de son univers chaud.

J'adorais le taquiner. Tout simplement parce que lorsque je le faisais, la personne qu'il regardait exclusivement, c'était moi. Pendant un instant, son égo subissait une piqûre irritante, et tout son sang et sa colère se dirigeaient vers la pensée de ma seule personne. C'était l'unique trésor que je me permettais de posséder.

Pendant les quelques instants où ses yeux contrariés et sa voix colérique se dirigeaient vers moi, j'existais l'espace d'un instant.

Akame rit de bon cœur a ma blague. J'aimais le rire d'Akame. J'aimais profondément cette fille. C'est pourquoi apercevoir le lien indéfectible qui la liait à Kaoru était si dur.

Ils étaient voisins dans le même petit village agréable où ils m'avaient déjà emmenés. C'était ce genre de sanctuaire de nature et de sérénité, où les maisons de bois aux portes de bambous coulissantes sont chauffées par le soleil. Et où les plus anciens du villages vont, aux aurores,nettoyer leur linge au lavoir, comme les lavandières des anciens temps.

Akame me coupa dans ma rêverie :

-Dis-donc Saede, plutôt que d'embêter Kaoru, si tu nous disais ce que tu faisais ces vacances ?

Je revenais à la réalité,franchement prise au dépourvu. Contrairement à mes deux camarades,mon parcours était un petit peu particulier. J'avais déjà un petit diplôme en langues dans mon pays d'origine, l'Angleterre. Mais, dans un désir de liberté, et aussi pour d'autres raisons, j'étais venue au Japon et possédais un loyer à payer. Je m'étais ruée sur le premier travail que j'avais trouvé, en tant que chauffeur à mi-temps, et continuait les cours lorsque j'étais libre.

J'avais donc un an de plus que mes deux amis et surtout, plus de temps de travail.

Mais je finis par dire :

-Eh bien, j'admets ne pas avoir prévu grand chose. Je suis chauffeur et, même si j'ai des clients réguliers, je ne peux pas prévoir les demandes spontanées. Mais si vous voulez qu'on se voit....

Je suspendais ma phrase. A force de l'observer, je le connaissais presque par coeur. A peine évoquais-je la possibilité que l'on se rencontre ces vacances que Kaoru avait affiché une mine déçue.

Ma mine suivie la sienne au centuple. Que lui arrivait-il ?

-Ça ne va pas ?

Inquiète, et n'ayant rien perçu du malaise, Akame affichait à son tour une mine soucieuse. Je repris mon sourire et clama :

-Je vais en discuter avec mon patron,je vous en dis plus dès que je sais quelque chose !

J'accompagnais ma phrase d'un clin d'oeil afin de définitivement la rassurer. Je pris garde à éviter soigneusement les yeux de Kaoru, pour qu'il ne se doute de rien.

Mais il avait beau être fougueux, il n'en était pas pour autant stupide.

Le carillon de la reprise des cours retentit soudain, me sauvant presque de ma mauvaise situation. Akame se leva et dit :

-Ah ! Encore un cours avec Monsieur Otoribashi ! C'est intéressant, mais qu'est-ce qu'il peut-être monotone quand il s'y met !

-Ne m'en parle pas ! Renchérit le blond aux yeux bruns. J'ai trois heures avec lui demain matin, ça me donne même pas envie de me lever !

-Aucun problème pour toi puisque tu dors en cours !

C'était d'une même voix qu'Akame et moi avions lancé cette pique. Nos deux rires féminins s'envolèrent vers le ciel, laissant Kaoru à mi-chemin entre le dépit et l'amusement. Au fond, il aimait bien ça. Surtout quand Akame s'y mettait. Surtout quand Akame riait.

-Bon, eh bien je vous laisse, les jeunes, les taquinais-je avant de partir. Je n'ai cours que dans deux heures, je vais me relaxer un peu au parc.

-C'est un cours de quoi que tu as tout à l'heure ? me questionna mon ami blond.

-D'anglais, répondis-je.

-Ha ! Se moqua-t'il, tu es née en Angleterre ! Pourquoi t'embêter à aller à ce cours ?

-Parce que je ne veux pas finir comme toi, moi, je veux un avenir ! Lançais-je en tirant la langue.

Il me sourit et agita la tête d'un air désemparé. Ah ça, il ne m'arrêterais pas ! Surtout si mes railleries le font sourire à chaque fois !

Je saluais Akame qui se dirigeait vers la salle de cours et Kaoru qui parait du côté opposé. Un thé à la main, je me dirigeais vers le jardin du campus.

J'aimais vraiment ce lieu. Je m'y fondais autant que s'il était un miroir mouvant. Je voyais dans ce décor les contours et secrets parfaits de mon âme. Oiseau libre et indécis, j'avais vogué et butiné de fleur en fleur sans jamais trouver la bonne. Ce jardin offrait une immense variété de végétaux alignés le long de l'allée, et des bancs étaient parfois placés à l'écart, afin que personne ne puisse marcher dessus. J'aimais la nature. J'aimais écrire, dessiner, lire, regarder dans les étoiles,décrire les nuages...

Mais ma vraie passion, c'était lui. La simple pensée de mon ami blond me fit de nouveau serrer le ventre.Je naviguais sur son sourire en rêvant qu'il ne soit que pour moi.Je savais cela impossible. Son coeur était dans les mains d'Akame bien avant que je ne les rencontre. La complicité qui les unissait était d'une telle beauté que jamais, je n'aurais voulu la briser.Pas même pour mon propre bonheur.

Je m'étais affalée sur un banc,regardant le ciel. Je n'en pouvais plus de ma vie. C'est pour cela que j'aimais tant conduire. Concentrée sur la route, je ne pouvais plus penser à rien. Il fallait cependant bien sur que son visage d'ange vienne me hanter. Mais j'aimais ça... J'aimais voguer sur le goudron, laisser le véhicule me ronronner son histoire et celle de tout ce qui l'entourait. Pourvu que, pendant un instant, je puisse oublier....

-Sadae Tasokare !!!!

Je sursautais si fort que j'en tombais ma boisson. Mon délicieux thé aux fruits rouges ! Je ne sais pas qui était celui qui avait fait ça, mais j'allais le défoncer !

Je me retournais pour voir ma colère s'envoler. Sa grande taille me surplombant, Kaoru avait réussi à me faire taire. Il arborait un éternel sourire. De jardin en fleur je passais à champ de blé, sa belle chevelure soleil et sa chemise blanche me donnant l'impression d'être embrassée par du coton.

-Que fais-tu là ? Avais-je glapi alors que j'avais ordonné à mon corps un ton plus sérieux, tu n'as pas cours ?

-Non, je n'ai pas cours, dit-il en s'asseyant négligemment sur le banc que J'AVAIS choisi, et j'aimerais te parler.

Pour la deuxième fois de la journée, Kaoru ne souriait plus. Et la première fois, c'était tout à l'heure, quand il avait abordé cette mine déçue.

Reprenant un air plus concentré, je posais une main prudente sur le banc dont je m'étais levée et m'asseyais à côté de lui. Je le fixais, attendant qu'il se décide à parler.

-Tu as dû te demander, tout à l'heure, pourquoi j'avais l'air si déçu lorsque Akame a proposé que l'on se voit tous les trois pendant les vacances, non ?

-Oui, répondis-je très honnêtement,je me suis posé des questions.

-Je... Je ne veux pas que tu le prennes mal, me dit-il en rougissant. J'avais une raison particulière de réagir ainsi.

Je refermais la veste noire de mon uniforme et remis en place ma cravate. Réunissant ma jupe d'une main, j'en plaçais une autre sur le banc pour me rapprocher encore un peu de lui. Très attentive, je le dévisageais, attendant qu'il poursuive ses explications.

-Voilà, je t'en ai déjà parlé mais... J'aime Akame. Je l'aime sincèrement et depuis toujours. Et... Et je sais que toi, tu connais ce secret et que tu peux comprendre. Tu m'as aidé. Et je t'en remercie...

C'était vrai. Dans ma folie, et voyant à quel point Kaoru était passionné par cette femme merveilleuse, je l'avais aidé à prendre confiance en lui. Et en elle. A la beauté que pouvait prendre leur histoire. Et au fur et à mesure, il s'était affirmé. Je l'avais vu grandir, je l'avais vu fleurir. Je ne le connaissais que depuis un an mais pour moi, le changement était radical.

Je l'avais rencontré chétif et peureux, se cachant derrière des pitreries futiles et un égo qu'il laissait croire immense. Je le découvrais aujourd'hui pas vraiment changé extérieurement, mais au fond de son coeur, je sentais des choses vibrer.

Je me souviens de ces soirées où je l'avais invité chez moi, de ces après-midi passées à discuter. De tout ces mots et paroles que je lui ai récitées, en le regardant dans les yeux et en agitant mes lèvres comme si mon coeur dansait dessus. J'avais vu ses yeux changer. Ces paroles, il les attendait.Et face à moi, il était heureux de les avoir entendues.

Je me rapprochais un peu plus de lui.

-Tu m'as beaucoup aidé à me sentir mieux. Je n'étais qu'un pauvre mec timide et arrogant et toi, tu m'as aidé à voir ma vraie valeur.

C'est pourquoi je me sens sale de te demander ça mais...

Il marqua un temps. L'univers avait complètement disparu. Je ne percevais plus rien de ce qu'il se passait autour de moi.

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