Défi lancé par Jeanne Sivertsen

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Bonjour Dom.

Je te connais.

Tu ne me connais pas.

Je me suis longtemps penché sur la façon dont je devais m'adresser à toi, mon cher Dom du futur. Garderai-je mon pessimisme légendaire celui qui colle souvent à la triste réalité ou bien te tartinerai-je l'esprit d'excessives flatteries que tu sauras de toutes façons détecter et ignorer. Pas question de faire semblant. J'ai toujours été franc avec moi donc je serai franc avec toi.

À l'heure où je couche ces mots, j'essaie avec beaucoup de difficulté d'imaginer qui tu es. Pour tout dire, ce travail a commencé il y a longtemps maintenant. Quand j'avais dix ans et que je me projetais dans une décennie fantasmée que je tentais malgré tout de rendre crédible, je t'imaginais à vingt ans intelligent, fort et sûr de toi, maître de ta vie. L'échéance atteinte, je corrigeais maladroitement le tir pour les dix ans qui suivraient pensant déjouer les ruses de la génétique qui avait déjà lancé son funeste programme et dont j'entendais déjà les premiers grondements. Tel un artiste qui fait les cent pas avant d'entrer en scène, son texte bien en tête, un nouveau chapitre allait bientôt s'ouvrir. De dix ans en dix ans, je me catapultais à sauts de puce avec la sombre impression de ne jamais viser juste, de ne jamais atterrir au bon endroit, comme si j'avais dans mes membres, inscrit depuis toujours, la fatalité de manquer le but. Alors j'inventai un personnage fictif, nettoyé de toute altération au travers duquel il faisait bon vivre. T'es-tu défait de lui ?

J'espère que non. J'espère même l'avoir suffisamment étoffé pour qu'il batte en toi jusqu'au bout, qu'il s'assimile à toi jusqu'à m'avoir fait disparaitre, moi le Dom du passé fragmenté en morceaux comme un vieux linoléum usé par le temps. Mais ne t'inquiète pas. C'est lui qui t'a fait voyager. C'est lui qui t'a fait franchir des étapes que j'ai été incapable de d'affronter. C'est lui qui a dit non quand il fallait dire non. Si je pouvais seulement voir juste une minute ce que tu es devenu. Mais à l'heure où tu lis ces mots je ne suis qu'un passé lointain, une vapeur à peine visible dans les méandres de tes souvenirs abîmés. Te souviens-tu seulement de moi ? Non. "Quel est cet étranger qui m'écrit et qui prétend être moi ?" dois-tu te dire ? Je peux comprendre ton désarroi. Tu dois être si différent maintenant. Même mon écriture ne doit pas te parler. Je vois déjà ton sourire s'agrandir au fil des mots.

"Il est complètement fou celui-là !"

Je sais, je sais.
Il n'y a cependant qu'une chose que mon travail sur toi n'a pas réussi à effacer, un souvenir que nous avons en commun et qui te convaincra de ma bonne foi : rappelle-toi quand elle t'a embrassé la première fois sous l'arbre de la cour, un jour d'octobre. Sur vos lèvres le goût de l'automne, dans vos mains la moiteur d'un matin trop chaud pour la saison. Tu avais aussi peur qu'elle. Ensemble vous avez tremblé pour ce baiser scellant à jamais votre union. Je sais qu'elle est encore à tes côtés même si tu ignores qui elle est. Elle m'a assuré que tu recevrais cette lettre. Du fond de ton passé, je l'aime toujours autant, avec la même force. Je souhaite à tout homme d'avoir un être comme elle à ses côtés.

J'espère de ton mon cœur que ce feu n'a pas disparu. Alzheimer a eu raison de toi mais pas de l'amour, n'est-ce pas ?

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