Défi lancé par Louise 17

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Le catalogue

Choisir sa mort.
Peut-on vraiment le faire ? J'ouvre un catalogue mental et, au gré des pages, je m'arrête sur tel ou tel article savemment mis en valeur avec un prix attractif ? Je déambule dans les rayons imaginaires des probables causes de décès, passant des plus violentes aux plus agréables ? Je cherche dans les couloirs du trépas le chemin plus sympathique ? Comment est-ce possible ?

 — Bonjour Monsieur.
 — C'est pour ?
 — Je cherche la mort la moins douloureuse. Que pouvez-vous me conseiller ?
 — L'absorption excessive d'un médicament ?
 — Cette méthode ne s'apparente-t-elle pas au suicide ?
 — Seulement si la prise est volontaire. Ici nous restons dans le domaine de l'accident.
 — Hum.. D'accord. Sinon ?
 — La sédation ?
 — Ça me paraît bien.
 — Vous partez tranquillement dans un sommeil infini.
 — C'est beau.
 — Je titille la poésie à mes heures perdues.

La mort serait-elle belle, plaisante ou désirable ? Certes, on en rit souvent, sûrement pour chasser nos peurs les plus profondes. On pousse même l'exercice jusqu'à se demander : " Et toi ? si tu pouvais choisir ta mort, comment l'envisagerais-tu ? " C'est dire ! Mais, il faut le signaler, on en pleure bien plus qu'on s'en amuse. Pourtant, quand on y réfléchit bien, choisir sa mort semble aller, si ce n'est à l'encontre de la nature humaine, au moins tout droit vers une option dissonante. En effet, d'un côté nous exprimons au quotidien ce désir vif de vivre le plus longtemps possible, désir si puisssant qu'il efface, au moins pendant un temps, toute envie d'y mettre fin et d'un autre côté, on nous demande de voter pour une solution contraire. On comprend ici les limites de la question. (Mais quand c'est Louise17 qui la pose, on y répond humblement...) Personne ne veut choisir la façon ou l'heure de sa mort. À moins que...

 — Par curiosité, vous faites des choses plus...
 — Originales ? Oui. Nous sommes en mesure de satisfaire toutes les demandes.
 — Vraiment ?
 — Vous voulez mourir devant un épisode de Derrick ? C'est possible. Près d'un lac, un texte de OD'UN entre les mains ? C'est possible. Vous préférez peut-être vous endormir dans la mort emporté par un fou rire ?
 — Ha ! mourir en riant ! Pourquoi pas ?
 — C'est possible. Aux bras d'une pin-up ? C'est possible également. À moins que vous ne souhaitiez rendre votre dernier souffle le nez dans votre prochain gâteau d'anniversaire.
 — Laissez-moi réfléchir.
 — Si je peux me permettre. Nous avons plus... trash.
 — Une mort trash ? Dites-m'en plus.
 — Catastrophe aérienne, accident domestique grave, empalement en tout genre, torture, attaque d'insectes ou d'animaux venimeux, maladies dégénératives, éléctrocution, asphyxie, noyade. La collection est grande.

Pourquoi vouloir choisir sa mort, bon sang ? Et si nous avions effectivement le choix, ne repousserions-nous pas l'échéance au plus tard à défaut de pouvoir trier dans les multitudes d'options ? Mon amour pour la vie m'empêche de faire un tel choix. Les croyances de tous types ont heureusement résolu en partie, il me semble, cette rupture : après la mort, il existe quelque chose. Ça rassure. Parce que le tableau est magnifique - bien qu'on ne sache pas vraiment - on se détend à l'idée de jouir d'une autre vie qu'on espère loin de la médiocrité actuelle. Comme au supermarché, on cherche les idéologies les plus plaisantes, repoussant celles qui nous gênent. Nous sommes tellement décontractés, qu'on en oublie parfois le caractère exceptionnel de la vie actuelle et qu'on adopte, à grand renfort de liberté, des comportements autodestructeurs. Bref. Cette vision de la mort, si on veut bien y adhérer, nous permettrait de nous amuser à en choisir le mode.

 — Il va falloir vous décider Monsieur.
 — Et si je ne fais pas mon choix ?
 — Je vous le déconseille.
 — Vraiment ?
 — Votre indécision vous placerait irrémédiablement dans le cas de ceux qui meurent de façon aléatoire.
 — Ha ! C'est bien, ça... Heu... Attendez. De façon aléatoire ?
 — Plouf-plouf ou chifoumi à votre choix.
 — C'est une blague !
 — Non. Alors décidez-vous. Pierre, ciseaux, papier...
 — Une minute ! Voyons !  

Dans les sinuosités de ma réfléxion je me perds. Les paramètres sont trop nombreux. Les conséquences aussi. Les tenants et les aboutissants ne tiennent ni n'aboutissent. Comment vais-je justifier mon choix à mes proches ? C'est trop dur.

 — Chérie ! Ça y est ! J'ai choisi la façon dont je vais mourir.
 — Vraiment ?
 — Le gars était très sympa, un peu poète, poli, ils ont un choix très varié, vraiment. Il m'a fait un topo relativement complet. Du coup, j'ai craqué pour le pack Grosse électrocution dans le métro.
 — T'aurais pu choisir quelque chose de plus doux quand même. Ça te ressemble pas.
 — "Prouvez aux autres que même dans la mort vous êtes de ceux qui en imposent !" C'est ce que m'a dit le proposé au catalogue. Ça claque, non ? Je rentre du boulot, je trébuche et hop ! un coup de 200 000 volts ! Et avec un peu de chance, je passe au journal de 20 heures !
 — Pour claquer, ça va claquer. Mais, t'as pensé aux pompiers qui vont te ramasser en morceaux ? T'as pensé au conducteur du métro qui verra dans tous ses rêves ta carcasse fumante, à la femme qui ramène ses enfants de l'école et qui assistent horrifiés à ton choix d'être un de ceux qui en imposent, à ce jeune qui n'obtiendra pas son premier travail parce qu'un type a trébuché et a infligé cinq heures de retard sur tout le réseau ?
 — Vu sous cet angle...
 — J'espère que tu as pris l'assurance rétractation au moins ?
 — C'est-à-dire que...
 — Tu vois mon chéri, c'est ça qui me chagrine chez toi. Cette espèce de naïveté juvénile. T'as les poils qui se dressent dès qu'on badine avec ton égo. Une petite publicité pleine de couleur et ça t'emporte aux abords de l'absurdie.
 — Tu veux que j'annule tout ?
 — J'aurais préféré au moins que tu souhaites mourir avec moi.
 — Je ne sais pas comment le lui dire... J'ai pris le pack duo.

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