Défi lancé par Aventador

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Rencontre du 3è type

— Bonjour Monsieur, bonjour Madame. Gendarmerie Nationale.
— 'jour M'sieurs.
— Vous avez votre autorisation de sortie, s'il vous plaît ?

Lucien se pencha et se mit à fouiller désespérémment dans la boîte à gants pendant que sa femme à ses côtés tenta un amical brin de conversation.

— C'est qu'les poulets sont d'sortie aujourd'hui ! Pourtant, va pleuvoir. Va falloir sortir les capuches.

Le visage du brigadier Bifois s'assombrit davantage. Il s'était rapproché ostensiblement, avaient ôté ses gants et sorti un carnet sur lequel il s'apprêtait à écrire quelque chose. Derrière lui, sa collègue, avait levé les yeux vers le ciel menaçant. Sur le siège arrière de la Renault 4, calé comme dans une luge, Nicolas le neveu musicien lisait Améliorer ses doigtés, coupé du monde.

— Gilberte, n'embête pas l'condé, y va nous aligner, gromella Lucien.
— Bô, non. Il a des paluches de chat, y doit pas pouvoir gribouiller grand-chose sur l'carnet.
— Oui, mais tu vois ma Gilberte, le chat, y nous a ramené un loir l'autre soir, hein, tu rappelles ? Le flic, lui, il collecte les contredanses ! Alors, mollo...
— Si on vous dérange, vous nous le dites, hein ? s'insurgea le brigadier.

Le couple se tut. Elle, se redressant légèrement sur son siège, fixa un hypothétique point sur l'horizon devant elle. Lui, plongé dans la boîte à gants, remuait quantité d'objets accumulés au fil des années. Il trouva entre autre, une BB crème pour rehausser les teints halés - la date de péremption affichait 1999 - une entrée gratuite au concert du sosie de Johnny, tout aussi périmée - il avait dû payer 32 francs à l'époque ce qui l'avait amené à penser que les municipaux se gavaient copieusement lors de ces petits concerts locaux - et un authentique à coudre oriental ramené d'un voyage à Marrakech.

— C'est Emmaüs dans ton tiroir ! lança Gilberte.
— Va t'y pas m'laisser tranquille. J't'en décollerai bien une petite derrière les esgourdes, toi, ça t'emmenerait directement à Katmandou, ça m'f'rait des vacances.
— Alors ? demanda le gendarme qui commençait visiblement à perdre patience.

La raison était évidente : tandis que Lucien s'efforçait de perdre du temps à la recherche d'un document qu'il n'avait manifestement pas, sa femme, le dévisageait de bas en haut.

— Madame, s'il vous plaît. Que regardez-vous comme ça ?
— C'est-à-dire que, vous êtes foutu bizarrement avec votre costume, là.
— Gilberte, j't'ai dit de pas embêter l'condé, y va nous bloquer la journée.
— Développez s'il vous plaît Madame, s'énerva le gendarme.

Il avait maintenant les yeux plein de colère. Ce n'était pas la première fois qu'on insinuait des choses sur sa façon de s'habiller.

— C'est-à-dire que ça vous fait des pattes de zèbre, un corps de ch'val et une tête de girafe votre déguisement, non ? Comment qu'on dit mon Lulu, la bestiole d'Afrique ?
— Hein ? Quelle bestiole ?
— Bah, si l'animal avec une tronche tordue...
Okapi, s'exclama-t-il en se redressant tout sourire.

Il venait de trouver le document qu'on lui demandait. Il le brandit fièrement tel un trophée de guerre. Il en résulta une certaine joie dans la voiture. On s'agita plus que de raison ce qui fit sortir le neveu, penseur, de son silence.

— Est-il nécessaire que vous vous agitiez de la sorte ? murmura-t-il en continuant de pianoter sur la vitre sa gamme de .
— Mon Lulu, il a trouvé l' papier qui faut qu'on a pour sortir avec le Conora 19 !

Disléxique par moment et très fâchée avec la grammaire, Gilberte n'en était pas moins lucide. En pleine campagne berrichonne, à 16h05, prendre la d36 vers Dun relevait plus du don de 135 euros pour les orphelins de la police que du simple trajet quotidien pour aller chercher le petit neveu à son cours de musique. Pourtant, noyés dans le confinement, les gens obéissaient et restaient chez eux. Cependant, chaque vendredi le gouvernement lançait une fatwa pour calmer les derniers récalcitrants. Quelques uns de ses soldats désireux d'en découdre avec les rebelles routiers se portaient volontaires.

Marie-Lucette, adjoint de 2è classe, s'était rapprochée en voyant son supérieur s'agiter. Parfois, emmuré dans sa logique, Bif, comme on l'appelle affectueusement, en oubliait le respect et la bienséance. Il avait la gâchette facile et usait trop rapidement de sa gazeuse au poivre. Elle prit le relai un instant.

— Madame, s'il vous plaît. Veuillez vous calmer un peu. C'est un simple contrôle.

Pour en imposer un peu plus, elle avait posé les mains sur ses hanches et légèrement gonflé le torse. Malgré son équipement sa poitrine formait deux ridicules bols de riz à peine visible.

— C'est qu'elle est plus trop fraîche la gendarmette ! remarqua Gilberte. Va falloir arroser tout ça, on a le poil qui fane Madame. Ça manque de sex-appeal, hein ?
— Comment ça Madame ? Que je rie ! Vous fanez autant que moi; si ce n'est plus ! Et concernant mon sexe, il n'a pas besoin de piles !
— C'est qu'elle cause bien, la miss.
— Il a fallu d'un peu. Tu n'évitas cependant pas le drame ! Ô vilaine rebelle. Mais maintenant, ton stratagème mis à nu, te voilà faite !

Quand la gendamerie fait des ateliers lectures pendant le confinement, les résultats sont toujours très impressionnants sur le terrain.

— Tatie, s'il te plaît, demanda le neveu exaspéré, tu peux écourter qu'on en finisse.
— Écoute, elle m'a dit qui faut que je mette nue ! Va falloir qu'elle aille se faire tamiser le cerveau la p'tiote, hein, on est d'accord ?
— C'est que t'es bonne pour nous mette dedans toi, s'agaça Lucien. Tu peux pas lui parler propre à la dame ?

Bif apparut de nouveau cette fois-ci les yeux brillants comme un ours devant un nid d'abeilles.

— Ça vous fera 270 euros, Monsieur.

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