Black-Bird, vaisseau de combat

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 Vaisseau-planète. Derrière ce nom grossier se cachait les plus gros vaisseaux conçus par les humains pour naviguer dans la galaxie. Leurs principes étaient simples, ils devaient contenir de quoi permettre à toute une population de vivre en autonomie pendant des années et ne servaient qu’à la colonisation de planètes. On y enfermait près de cinquante mille colons, et le double de bétail, qui voyageaient lentement dans l’espace jusqu’à la planète de destination. Une fois posé, le vaisseau servait de base avancée le temps que les colons aient implantés un système d’agriculture et d’élevage local à même de les nourrir. Les humains avaient alors pour coutume de conserver leur vaisseau-planète intact durant une vie d’homme, par mesure de précaution. Au cas où il faudrait évacuer la colonie très rapidement. Après quatre-vingt-dix ans, on démontait enfin la vieille carcasse pour la recycler et l’on faisait un monument sur le site d’atterrissage. A ce moment-là, politiquement, on ne considérait plus la planète d’accueil comme une simple colonie mais comme une planète à part entière de la Fédération.

Le Capitaine Sharks ne comprenait pas ce qu’il voyait. L’Amiral Sessenta lui expliquait que le Black-Bird était entièrement constitué de modullo-mécanique assemblée sous pression afin que la structure conserve son intégrité quelles que soient les influences extérieures.

_ Pour simplifier, il peut se transformer suivant l’environnement rencontré. Il est peut-être aussi gros qu’un vaisseau-planète mais le Black-Bird est entièrement conçu pour le combat et la vitesse. Et votre Roller-Blade peut sans problème rentrer dans les cales prévues à cet effet.

_ Qu’en est-il de ses capacités techniques ?

_ Pour ce qui est de la vitesse spatiale normale, il s’approche à 99,8% de la vitesse de la lumière, ce qui n’est pas peu dire. A l’intérieur d’une atmosphère, on pourrait le pousser jusqu’à 70%.

_ 210 000 kilomètre par seconde ? Inutile mais... Sacré engin.

L’Amiral lissa le coin droit de sa moustache. Il éprouvait un plaisir évident à surprendre le jeune homme qui ne quittait plus des yeux la formidable machine.

_ Le Black-Bird peut effectuer six fois plus de bonds hyper-spatiaux que la plupart des vaisseaux de la Fédération. Pérorait-il. Et son autonomie lui permet de faire deux fois la traversée de la galaxie avant d’avoir besoin de recharger ses réserves.

_ Vous faîtes une petite erreur, Amiral.

La voix de Sharks était tranchante comme de l’acier. Sessenta réprima un frisson. De quoi voulait bien parler le capitaine ? Le vieil homme recula instinctivement d’un pas dans le minuscule ascenseur de verre et observa le dos de son interlocuteur. Etait-ce la luminosité vacillante qui lui jouait des tours ou bien son imagination qui s’enflammait ? Toujours est-il que l’Amiral Sessenta était persuadé de voir une aura noire et meurtrière flotter autour de Sharks tandis qu’ils s’enfonçaient dans les profondeurs des eaux cristallines de Bellanor VII.

_ De… de quoi parlez-vous, Capitaine ?

_ N’étant pas encore sorti de l’usine, il vous faut parler du Black-Bird au conditionnel, ou tout du moins au futur, puisque vous croyez en ce que vous dites.

Sessenta respira à nouveau. L’atmosphère s’était tout à coup détendu et même la luminosité semblait plus claire. L’Amiral avait l’impression d’avoir vieilli de cent ans. Pourtant expérimenté, le vieux soldat ne se rappelait pas avoir rencontré de personnalité aussi déconcertante que ce Sharks. Il coupait la parole et jouait sur les mots mais pourtant, à aucun moment, on ne décelait chez lui l’ombre d’une insubordination ou même l’irrespect. Comme si ces notions n’existait pas chez cet homme, et c’est pourquoi son comportement était aussi effrayant.

_ Vous ne croyez pas que notre vaisseau puisse faire ça, Capitaine ?

_ J’y croirai lorsque je l’aurai vu voler de mes propres yeux, Amiral. De nos jours, trop de personnes se vantent de pouvoir faire des choses dont elles ne sont pas capables. Personnellement, j’en ai déjà trop entendu.

Intrigué, Sessenta voulut voir le visage de Sharks tandis qu’il prononçait ces mots. Ses yeux étaient toujours aiguisés comme une lame mais les paroles du Capitaine laissaient transparaitre une profonde tristesse dans cette colère.

_ L’humanité est pourrie, Amiral. Continua-t-il sur le même ton. Pourrie, jusqu’à la moelle. D’un orgueil sans borne. Nous avançons sans nous poser de question et nous ravageons tout. Combien de races extra-terrestres avons-nous massacrées sans vergogne depuis que nous avons posé le pied dans l’espace ? Et quand nous n’avons rien à écraser, nous nous retournons contre nos semblables. Octillion, Sharksennokhan, la guerre civile interstellaire. Nous portons la destruction en nous. Pourtant…

Sharks se retourna soudainement vers Sessenta, le faisant sursauter.

_ Pourtant, le vent tourne. Quelque chose change. Les mentalités se modifient. « Via Aeris » en est la preuve. L’Humanité est prête à sauter et je ferais partie de ceux qui n’hésiteront pas à la pousser pour franchir le pas.

Sessenta était glacé d’effroi. Sharks venait de tenir un discours qui s’éloignait tellement de l’idéologie que l’Amiral se faisait de l’Humanité que s’en était presque de l’hérésie. Malgré ça, la détermination du jeune soldat forçait l’admiration. Il croyait ce qu’il disait.

_ Vos idées sont intéressantes, Capitaine, mais vous feriez mieux de tenir votre langue. Les grands décisionnaires pourraient ne pas trop aimer.

_ Toujours dire les choses, c’est l’un de mes principes. C’est d’ailleurs cela qui m’a valu ce commandement.

La discussion n’alla pas plus loin. Plusieurs explosions détonnèrent dans le dôme du sous-niveau 67 provoquant des gerbes de bulles. L’Amiral frappa la paroi transparente de l’ascenseur. Il n’était manifestement pas surpris par la chose. Juste énervé.

_ Ces salauds de Shinobidos ! Ils ont fini par mettre leurs menaces à exécution !

Le Shinobido était le nom d’une armée de la Fédération qui avait mauvaise réputation. Sur leur garnison, ils vivaient comme des ninjas du Japon Féodal et avaient souvent des missions d’infiltrations et d’assassinats discrets. A cause de leur spécialisation dans l’espionnage, les soldats normaux ne leur faisaient pas confiance. Sharks, faisant le parallèle avec son propre parcours, avait tendance à les aimer.

_ J’ai déjà eu des missions avec eux, ils sont plutôt compétents. Mais je ne comprends pas. Pourquoi ont-ils fait sauter le dôme ?

_ Apparemment, ils avaient des vues sur la direction du « Via Aeris » ! Comme le Fédérateur vous a confié le commandement et nous la logistique, ils nous avaient prévenus que si nous ne nous retirions pas de nous-mêmes, nous connaitrions une série « d’incidents » fâcheux ! Heureusement que nous sommes dans l’ascenseur. Avec l’alarme, les portes se sont hermétiquement verrouillées. Il nous suffit d’appuyer sur le bouton pour repartir vers la surface à la seconde où on touchera le sous-niveau 67.

Sharks saisit le poignet de Sessenta avant qu’il ne puisse appuyer sur le bouton de retour d'urgence. La force de préhension était tellement puissante que le vieil amiral tomba à genoux sous le coup. Le regard de Sharks était devenu haineux.

_ Une petite minute, Amiral. Combien y a-t-il de personnes au sous-niveau 67 ? Quels moyens ont-ils pour évacuer ? L’eau est en train de monter dans le dôme et dans une minute, nous allons y arriver alors faîtes vite pour répondre.

Le ton cassant de Sharks réactiva la peur du vieux soldat. Il ne voyait plus Sharks mais juste une ombre ténébreuse et deux yeux bleux et haineux qui le fixaient intensément. L’entrejambe du vieux combattant commença à s’humidifier. Fou de terreur, il commença à parler.

_ En ce moment, il y a 23 techniciens dont le sous-lieutenant Fifty et… il n’y a que le tube de cet ascenseur qui sert de régulation à la pressurisation du dôme. L’autre sortie est l’ouverture du dôme pour faire sortir les vaisseaux après conception mais pour cela, il faut entièrement le noyer… Mais ne vous inquiétez pas, il y a un local dans lequel se trouve une cinquantaine de combinaison de plongée avec oxygène et système de régulation de la pression. Mes hommes ne sont pas en dang…

Sharks coupa encore l’Amiral.

_ Vous voulez parler des débris de combinaisons qui flottent autour du dôme depuis la première explosion ?

Sharks lâcha Sessenta pour que celui-ci regarde au dehors. Effectivement, les blanches combinaisons Aquanautes, célèbres dans toutes la Fédération, pour leur efficacité ainsi que leur élégant design étaient toutes détruites et virevoltaient dans le ballet des bulles d’une des failles du dôme. Les Shinobidos étant déterminés à provoquer la terreur parmi les techniciens, ils avaient logiquement visé les tenues de plongée et laissé le tube de l’ascenseur pour leur permettre de s’en sortir. Mais si l’Amiral repartait avec l’ascenseur sans embarquer les techniciens, il les tuerait aussi sûrement que s’il leurs tirait une balle dans la tête.

_ De toute façon, Sharks, vous ne pouvez pas ouvrir la porte. Cette cage d’ascenseur est un vase communiquant. La moindre fissure va provoquer la montée des eaux dans le tube jusqu’à la surface à une vitesse inimaginable.

_ Et c’est précisément pour ça que vos techniciens seront devant la cage avec des outils pour l’ouvrir. Leur seule chance est d’utiliser le vase communiquant pour profiter de la montée des eaux et ainsi atteindre la surface.

_ Mais il n’aurait qu’une chance sur mille de survivre à la décompression !

Sharks leva le ton d’une octave.

_ C’est ça ou une remontée en apnée de six kilomètres de profondeur ! Et là, il n’y a aucune chance de survie ! Alors nous allons ouvrir cette porte et tenter de sauver ces 23 personnes !

Sessenta n’en menait pas large. Il se trouvait enfermé avec un homme qui allait risquer leurs vies pour des gens qu’il ne connaissait même pas. Pour le soldat de carrière qu’il était, le concept était difficilement imaginable. Malgré tout, il restait un détail technique que Sharks ne pourrait pas surmonter.

_ Vous pouvez croire ce que vous voulez, Capitaine, mais il vous restera le problème de la porte. Une fois verrouillée, c’est une pression de plusieurs tonnes qui s’exerce sur ces battants. Un être humain normal ne pourrait pas les ouvrir sans assistance mécanique.

Sharks commença à faire des étirements et à assouplir ses muscles.

_ Fort heureusement, aujourd’hui, je n’ai pas eu le temps de faire mes exercices au complet. Je suis donc en pleine forme. Cela dit, pour « plusieurs » tonnes, je vais devoir m’y mettre sérieusement…

_ Vous êtes fou !

_ Pas tant que ça. Ecoutez les bruits qui se répercutent à travers la structure. Vos hommes sont en train de forcer sur les portes étanches. Je ne serais pas seul à forcer. Au fait, tant que j’y suis, pourriez-vous utiliser le gadget à votre ceinture pour mettre en place un champ de force autour de la cage d’ascenseur ?

Tous les dirigeants de la Fédération étaient équipés d’un champ de force personnel. Le mécanisme se portait à la ceinture comme un étui de revolver et était configuré pour ne faire passer que des faibles vélocités. Ainsi, même en mission diplomatique, la personne équipée pouvait approcher d’autre personne tout en étant protégée d’un quelconque attentat. Sharks avait depuis longtemps observé qu’un simple meurtrier armé d’un couteau était plus efficace qu’un sniper à distance avec ce dispositif.

_ Comment ? … C’est classé top-secret !

_ On n’en est plus là, Amiral. Mais si vous voulez un conseil, lorsque vous voulez conserver quelque chose de secret, évitez de le montrer de façon trop évidente. Vous avez activé votre champ à la seconde où la porte de mon Roller-Blade s’est ouverte sur le tarmac. Bien trop tard, si c’était de moi que vous aviez peur… et bien inutile si j’avais dû vous tuer.

Le jeune capitaine se retourna sur la porte et cessa définitivement de s’intéresser à cet Amiral issue de la vieille école et qui représentait une bonne partie de ce qui n’allait pas dans l’armée : l’égoïsme de ne penser qu’à soi, la lâcheté qui l’empêchait de risquer sa vie pour ses hommes, l’orgueil de penser qu’il était bien plus important. Sharks planta ses doigts dans les interstices de la porte d’ascenseur et se concentra de toutes ses forces. Il fallait ouvrir la porte d’un seul coup ou l’eau s’infiltrerait trop avant que le champ de force n’analyse cela comme une intrusion dangereuse. Sessenta se dépêcha de régler son dispositif. Lançant un cri guttural sous l'effort surhumain, Sharks ouvrit la porte brusquement, faisant hurler le métal et révélant l’autre côté où vingt-deux personnes terrifiées attendait de voir si leur collègue allait aboutir à quelque chose avec son pied-de-biche et des outils hydrauliques.

Trempée, de l’eau jusqu’aux genoux, l’homme enleva les lunettes de soleil qu’il portait, révélant des yeux au bleu tellement dilué qu’ils en étaient presque blancs.

_ Et ben ça, c’est pas banal. S’exclama-t-il, surpris…

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