La lionne

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  • Un million de têtes, hein ? se moque Marcelle. Tu crois pas que tu as dépassé un peu les bornes ?
  • Tu les as comptées ?

Je m'extrais à mon tour d'entre les roches protectrices. Quelques bonnes tapes sur mes hardes font tomber plusieurs centaines de grammes de sable. Mes cheveux sont blancs de poussière, ma peau aussi.

  • J'ai soif... fais-je pour couper court à toute nouvelle méchante remarque.
  • Pas que toi, c'est sûr, répond-elle. On devrait profiter du temps qu'il nous reste avant la nuit pour ramasser de quoi faire un feu, t'en penses quoi ?

Voilà qu'elle me demande mon avis, maintenant ! Etonné, mais content, j'opine d'un simple coup de tête.

  • Parfait, reprend-elle, alors cherchons du bois ou tout ce qui voudra bien prendre feu.
  • J'ai faim, aussi.
  • On ira faire quelques courses au super-marché demain matin, si tu veux, glousse-t-elle.
  • Impec. Je t'offrirai quelques roses !

Elle rit doucement. Le changement est stupéfiant...
Marcelle part vers le Sud, comptant trouver ce qu'elle cherche. Peut-être que les zèbres ont retourné assez le sol pour en faire émerger de vieilles branches enfouies sous le sable ? Pour ma part, je pique à l'Est, non sans prendre soin de repérer les lieux, de peur de me perdre si l'obscurité venait à tomber plus vite que prévu. La chance ne nous abandonne pas. Il ne nous faut que quelques minutes pour rassembler assez de bois mort pour la nuit entière. Marcelle se fait un devoir d'allumer le feu. Quelques instants plus tard, nous sommes face à face, séparés par les flammes bienfaisantes qui nous réchauffent alors que la température chute rapidement.

  • Ces pays chauds ne méritent leur nom que le jour, non ?
  • Ouais... répond-elle, les yeux perdus vers le ciel.

Elle semble absente, comme absorbée par je ne sais quelles idées. Elle regarde le ciel, les étoiles. La voûte noire se perce un peu plus de points brillants à chaque minute qui passe. Intrigué, je lève aussi les yeux. Il y a toujours ces milliers d'étoiles, brillantes comme jamais.

  • Si on avait été dans l'hémisphère nord, j'aurais pu nous guider un peu, fais-je doucement.
  • Parce que là, tu pourras pas ?
  • Nan. Essaie de trouver la Grande Ourse, tu verras... On ne peut la voir que dans l'hémisphère nord. Ici, je ne reconnais aucune étoile.
  • Pas la peine de chercher, j'ai jamais su, de toute façon, fait-elle. Et puis, je me fous bien se savoir ou se trouve le Nord, en fait. Il nous suffira de suivre les traces du troupeau, non ?

Elle a raison, bien sûr. Seulement, j'aurais bien aimé pouvoir lui montrer que l'écrivaillon de merde savait deux-trois choses intéressantes et qui auraient pu nous servir. Tant pis ! Ce sera pour une prochaine fois.
On n'a rien à se dire, ce soir. Le silence s'installe, seulement coupé par les crépitements discrets des branches en train de flamber.

  • Tu crois qu'on aura assez de bois pour la nuit ? lui demandé-je.
  • Sais pas ! On verra.
  • Je te demande ça, parce que je connais un truc qui nous permettrait de rester au chaud jusqu'à l'aube...
  • Oh là ! Calme-toi, bel étalon ! Si tu t'approches d'un pas, je te refais la tronche !

Je soupire en levant les yeux au ciel.

  • Je ne pensais pas à ça, patate !
  • Ah non ? Alors, explique-moi.
  • Facile. On creuse un trou dans le sable, on étale toutes les braises au fond, on recouvre d'une première couche de sable, ensuite on place une couche de branches sèches, encore une couche de sable, et on roupille dessus toute la nuit.
  • Et si on n'est pas cuits avant le lever du soleil, on a tout gagné ? renifle-t-elle avec méfiance. Tu sais, j'aime pas trop ton idée de me faire dormir sur des braises... Jamais aimé les brûlures, en ce qui me concerne.
  • Je t'assure que ça marche ! D'ailleurs, si tu ne veux pas profiter de mon astuce, moi je vais me creuser un petit lit douillet...

Et je joins le geste à la parole. Enfin, je vais pour le faire, parce que Marcelle tourne brusquement la tête sur sa gauche, m'intimant le silence de sa main. Surpris, je me fige comme un automate à court de ressorts. Mon coeur bat déjà à la vitesse de la lumière. La peur est une ennemie qui ne me quitte jamais très longtemps.
De son autre main, elle dirige lentement un index vers la nuit, c'est-à-dire, juste derrière elle...

  • J'ai entendu quelque chose, souffle-t-elle. On dirait que c'était juste à quelques pas.
  • J'entends rien.

Je chuchotte, de peur de briser le silence et notre sécurité.

  • Par contre, je sens...
  • Ouais, moi aussi ! Viens, on retourne sous les pierres... Prends une branche en feu et quelques autres, on ne sait jamais.
  • Une bestiole ?
  • Je crois... Allez, grouille !

Marcelle attrape une branche enflammée, et elle fait quelques pas prudents devant elle. La nuit ne cède qu'un tout petit peu de terrain : les flammes n'éclairent plas plus loin que deux ou trois mètres, ce qui ne lui convient visiblement pas.

  • Dépêche-toi, murmure-t-elle.

Retourner sous les pierres ne m'a pas pris plus de quelques secondes. J'y suis déjà, alors qu'elle me demande encore de m'y rendre !
Et soudain, j'aperçois deux billes rouges et brillantes, serrées l'une contre l'autre, à quelques mètres de Marcelle. Je comprends immédiatement.

  • Marcelle ! Ecoute-moi et ne fais pas de gestes brusques. On a un visiteur tout près de nous, tu comprends ? Alors, tu gardes ta branche bien devant toi et tu recules vers moi, tout doucement...
  • Je l'ai vu, me répond-elle, soudain angoissée. C'est un lion, ou un truc de ce genre.
  • Merde... Ces bêtes-là vivent en groupe ! Viens vite te planquer sous les pierres !
  • Attends, faut que je ramasse quelques branches de plus ! Le feu le tiendra à distance.

Je la vois se baisser pour grapiller encore un peu de bois mais, désespéré, je distingue à présent la silhouette puissante d'un félin en maraude, vraiment trop près de nous. Un méchant feulement s'élève dans la nuit.

  • Marcelle, bordel de merde ! Grouille-toi de revenir !
  • J'arrive... me répond-elle.

Elle recule tout doucement, consciente que sa vie ne tient qu'à un fil. Le fauve n'est plus visible, caché par la nuit, mais son odeur forte nous entoure, nous cerne, nous emprisonne.

  • C'est une lionne, ajoute Marcelle. Je l'ai vue, elle a l'air jeune. Si ça se trouve, elle s'est paumée, elle aussi. Ou alors, elle est peut-être blessée ou malade pour être seule.
  • Si elle est seule ! Et si elle est blessée, elle n'en est que plus dangereuse !

Et puis tout va très vite. Le temps passe la surmultipliée et tout s'enchaîne sans que ni moi, ni Marcelle, ne puissions y faire quoi que ce soit. On entend le fauve qui feule de plus en plus près, puis c'est sa course qu'on entend sans savoir d'où elle arrivera. Marcelle, pétrifiée, reste plantée comme un pieux dans la vase ! Alors, d'un bond, je sors de notre planque et je la bouscule, la plaquant au sol près de l'âtre, pendant qu'elle et moi apercevons la longue et puissante lionne qui se jette vers nous.

Elle va nous bouffer !

La lionne n'est plus qu'à une dizaine de mètres et elle arrive sur nous à toute allure. d'un dernier bond dans les airs, elle s'élève, gueule grande ouverte, et s'apprête à nous dévorer. Paniqués, nous ne pouvons plus que nous serrer l'un contre l'autre, moi priant, elle vociférant je ne sais quelle palanquée d'insultes carabinées ! Je vais mourir, merde !

Ben non...
Une détonation rententit à l'ultime seconde, claquant dans le silence de la savane et se répercutant à l'infini dans l'écho de la solitude ! Et une seconde détonation suit la première, couvrant les gémissements douloureux de la lionne qui s'effondre juste à nos pieds !
Eberlués, nous ne savons pas quoi faire pendant quelques longues secondes. D'ailleurs, Marcelle en profite pour s'évanouir dans mes bras. La bête est morte ! Pas Marcelle. La lionne est morte !
Et j'entends soudain une voix brailler dans la nuit :

  • Je l'ai eue, putain ! En plein vol ! Balaise, non ?

Et une autre voix répond, plus sérieuse :

  • Et les deux autres, tu les vois ?
  • Non, mais s'ils ne sont pas trop cons, ils sont partis depuis longtemps !
  • On va fouiller pour voir.
  • Non, Tom. On n'a pas assez de matos pour faire face à d'autres lions, ce soir. On reviendra demain à l'aube.

Le Tom en question ne répond pas tout de suite, semblant réfléchir.

  • T'as raison ! lâche-t-il finalement. Et puis, de toute façon, autant leur laisser un peu d'avance. La chasse n'en sera que meilleure ! Allez, on rentre !

Merde...
Après l'ange-gardien virago, voilà qu'on aurait aussi deux autres démons au cul ?

A suivre...


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