Croix du Sud

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Le silence est revenu. Total, puissant. Pesant. Les choses sont allées si vite que je suis encore pétrifié de surprise et de terreur. Je cogite à tout va : nous venons d'échapper à la mort. Je prends conscience de l'insignifiance de mes jours dans ce monde. Je réalise à quel point ma vie ne tient qu'au bon vouloir d'un sort qui pourrait très vite devenir défavorable, voire fatal.
Les yeux perdus dans le vide, je ne comprends rien de tout ce qui m'arrive. Je suis dépassé par les évènements, incapable de contrôler la peur qui me fait trembler de tout mon être.

Heureusement, je ressens la chaleur du corps de Marcelle contre moi. Elle est toujours évanouie, lovée au creux de mes bras et la chaleur de sa peau me rappelle à la vie. J'ai un premier geste pour tenter de la réveiller, peut-être pour confirmer qu'elle n'est pas morte, mais, en l'observant un peu, je constate qu'elle semble enfin se reposer un peu. Ses traits sont plus détendus, son souffle est lent et régulier. Sa longue chevelure en bataille ajoute un peu de douceur à son visage habituellement sévère. Je ne peux pas m'empêcher de caresser sa joue, comme pour la bercer.

La dépouille de la lionne gît à quelques pas de nous, la gueule grande ouverte, deux énormes plaies sur le flanc. Ses yeux sont restés ouverts et elle semble encore nous convoiter avec voracité. C'est vrai que nous sommes deux intrus dans ce décor naturel qui n'a rien prévu pour deux êtres nés et élevés dans les grandes villes du monde civilisé. Je sais que nous devons nous éloigner rapidement de ce cadavre qui ne manquera pas d'attirer tous les charognards. Nous ferions deux proies supplémentaires faciles pour les hyènes, les vautours et les autres carnassiers du coin. Pourtant, je veux laisser à Marcelle quelques instants de repos. Et puis, j'avoue que j'aime bien la sentir entre mes bras. Il est évident qu'elle risque de me couvrir d'insultes, voire de me gifler, mais je m'en fous pas mal. L'instant est précieux, au moins pour moi. Il redonne un peu de sens à toute cette folie.

Je lève les yeux au ciel et j'admire toutes ces constellations que je ne connais pas. J'ai de maigres connaissances en astronomie, simplement acquises lors de crises de curiosité de ma vie de mec sans ambition. Je cherche parmi tous ces points brillants une des rares constellations que je sais identifier depuis toujours. Ici, pas de Grande Ourse. Pas de Grande Ourse, alors pas d'étoile du Nord. Nous sommes dans l'hémisphère sud, et je n'en sais pas grand chose. Je ne connais que la Croix du Sud. Pas de bol, c'est la plus petite et l'une des plus difficiles à repérer. Je tente quelques instants de la trouver mais j'abandonne rapidement. Et puis, pourquoi faire, en fait ? Alors, j'admire la densité du ciel. La Voie Lactée est là, offerte pour un spectacle inoui, tel que je l'avais jamais observé.

C'est un craquement sec près de nous qui me fait sortir de mes rêveries. Je me fige, serre un peu plus Marcelle contre moi, comme pour la protéger. Mais ce n'est qu'une fausse alerte. La terre vit, elle aussi, et elle se repose la nuit. La chaleur résiduelle des journées de fournaise se dissipe petit à petit, contractent tout ce qui a bien pu se dilater pendant les fortes chaleurs du jour. Ce bruit inopportun me réveille entièrement. Il est temps de faire le constat de la situation, me dis-je intérieurement. Quel est-il ?

D'abord perdu tout seul dans un monde inconnu ; ensuite rattrapé par une femme inconnue, elle aussi. Française, comme moi. Point commun inattendu mais qui facilite au moins nos échanges, même si ceux-ci sont d'abord frappés par la rudesse du ton de Marcelle. Egarés à deux dans un désert hostile, privés d'eau, de vivre, de soin, de repos. Et, alors que la logique allait enfin débarrasser le monde de notre présence inutile pour remplir la panse d'une lionne affamée, deux énormes détonations ont retenti pour nous sauver. Pour nous sauver, mais l'espace d'un instant seulement... Parce que, pour la fin de ce constat temporaire, je sais maintenant que deux mecs, visiblement des chasseurs, sont à nos trousses pour nous faire la peau.

Pourtant, et contre toute logique, mais qu'est-ce qui est logique depuis quelques jours pour moi ? la présence de ces deux êtres humains, parlant français eux aussi, me rassure. Mieux encore : ces deux-là ont ce qu'il nous manque cruellement depuis maintemant trois jours. De l'eau ! Et sûrement de quoi manger, voire de quoi nous guérir. Alors les choses prennent soudain une autre tournure.

Deux chasseurs à la poursuite de deux proies désarmées...
Comment vais-je faire pour en faire deux chassés à leur tour puisqu'ils ne savent visiblement pas que je viens de découvrir la raison de leur présence dans ce trou paumé ? Un sourire me vient, presque carnassier. J'ai faim et eux, probablement bien équipés, persuadés que nous sommes encore loin, vont devenir mes proies, mon unique objectif de survie. Déjà, je me mets à penser à tout ce que je pourrais bien faire pour les liquider. Moi qui, jusqu'à maintenant, n'avais jamais imaginé devenir un assassin, je me régale à l'avance de me lancer dans l'aventure.
J'en frémis d'une rage primaire, sauvage.

Après tout, ne suis-je pas, moi aussi, de la race des super-prédateurs de ce monde ? A moi de faire en sorte de ne pas mourir. Je m'engage sur le sentier de la guerre, un éclair de folie dans les yeux, un sourire meutrier aux lèvres et la faim au ventre, meilleur gage de mon envie de survivre...

Ma vie vient de reprendre un peu de sens.
Et Marcelle ouvre un oeil. Il faut que je lui explique tout ce qu'il vient d'arriver.
Mon ange-gardien est mon meilleur atout !

A suivre...


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