Un petit cigare ?

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On a bouffé. Comme des porcs.
Pas très glorieux mais quand la faim impose sa loi, plus rien ne compte. Et surtout pas les conventions de la bonne société. On se lèche les doigts dégoulinant de graisse, on claque du bec de satisfaction et, quand il ne reste plus guère que deux carcasses savamment rongées, on rote de bonheur.

Je ne lui accorde pas la moindre attention. Cette femme est ma plus mauvaise rencontre depuis des années. Je maudis le sort de m'avoir accordé ce phénomène de foire en plein désert. J'en arrive à regretter ma solitude, c'est dire.

Et je suis persuadé qu'elle pense exactement la même chose de moi, voire en termes encore plus méchants. Je sais que je ne suis pas une perle, ma femme me le rappelle à la moindre occasion, mais quand même, je ne pense pas mériter les commentaires qu'elle m'envoie sans cesse. Et pourquoi m'avoir poursuivi et rattrapé pour m'infliger un tel traitement ?

Je reste songeur sur le sable rouge. Les moustiques bourdonnent autour de nous, fascinés par les relents odorants de notre repas. Que va-t-il se passer, après ? Le soleil descend rapidement et enflamme le ciel une dernière fois avant de passer le relais à la lune qui, elle, n'en foutra pas une de la nuit. Bucolique, certes, mais cela ne me rassure pas des masses pour la suite. Je suis un mec simple qui a besoin d'une voie à suivre.

Alors, je commence déjà à réfléchir un programme pour demain. Il faut absolument sortir de cet endroit vide de vie. Le problème est que je suis bien incapable de choisir une direction. Je pourrais aller droit devant, comme les deux jours précédents, mais l'expérience s'est avérée douloureuse... Que faire ? M'en remettre au hasard, ou compter sur un signe céleste ?

  • Bon, maintenant, on va roupiller ! Ces volatiles étaient excellents et rien n'est meilleur qu'un peu de viande blanche. C'est ce que me disait ma connasse de diététicienne à longueur de temps. Toi, mon gaillard, tu vas te tenir à distance, ok ? Disons que le feu sera la frontière que tu n'as pas le droit de franchir cette nuit. Bien compris ?

Je la regarde, ébahi. Comment cette amazone peut-elle imaginer que me viendrait l'envie de la sauter ? Finalement, j'éclate de rire.

  • Pas de problème, mon général ! Vous tiendrez cette position, pendant que je resterai dans ma tranchée !

Je pense qu'elle a perçu le ton sarcastique de ma réponse. Son mépris n'en paraît que plus grand.

  • Et demain ? fais-je d'un ton innocent.
  • Demain, on se lève avant le soleil, mon gars. Comme ça, on pourra profiter d'un peu de fraîcheur. Et direction plein Est. Pour ta gouverne, le matin c'est simple : l'Est se trouve là où se lève le soleil.
  • Impec ! Comme ça, si on se trouve séparés, je saurai dans quelle sens ne pas aller...
  • Pas question qu' on se sépare, mon bonhomme. D'abord, tout seul tu n'aurais pas la moindre chance de survivre plus de deux ou trois jours. Même si tu m'as pas l'air de valoir un coup de cidre, il reste évident que nous devons rester ensemble, le temps de retrouver la civilisation. Je peux pas dire que ça m'enchante, mais la raison prévaut toujours sur les sentiments. Et je suis une femme très raisonnable. Donc, on reste ensemble pour le moment.
  • Les choses sont merveilleusement simples avec une femme comme vous, ma chère madame. Je ne suis pas plus ravi que vous d'avoir à vous supporter encore, mais comme c'est pour la bonne cause, je ferai des efforts pour supporter vos stupides sarcasmes. Une fois revenus à la civilisation, comme vous dites, je me ferai un plaisir de vous botter le cul.
  • Faudrait pouvoir lever la jambe assez haut pour ça, mon petit bonhomme, rétorque-t-elle sans s'émouvoir. En attendant, silence. Si vous ronflez cette nuit, je vous botterai le cul sans attendre, moi.
  • Je ne vous souhaite pas une bonne nuit, fais-je près d'exploser de colère.
  • M'en fous.

Je remets quelques morceaux de bois dans le feu. Je vais avoir besoin de sa chaleur pour m'aider à passer la nuit... J'aurais bien fumé un cigare, quand même.

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