Chapitre 42 : La forêt ténébreuse

5 minutes de lecture

 Le lendemain, nous survolâmes la forêt ténébreuse. Le sortilège des Limosiens avait fonctionné : nous avions passé une nuit reposante. En observant les arbres tortueux en contrebas, je me souvins de notre traversée périlleuse, dans le noir complet. Grâce à son don de nyctalopie, Swèèn nous avait admirablement guidés. L’Ombre était malgré tout parvenue à nous séparer. Je ressentis un poids sur mon cœur en songeant à notre allié Métharcien, espion parmi ces gigantesques créatures, qui avait péri pour nous sauver. Juchée sur Sana, la petite Asuna me regarda droit dans les yeux, inquiète. Je secouai la tête pour me reprendre et inspirai profondément l’air frais et humide de ce ciel nuageux.

 Swèèn gardait une bonne stabilité dans son vol. Il m’informa que nous allions poursuivre la route cette nuit, pour ne pas risquer de croiser l’Ombre dans la forêt.

– Tu vas tenir le coup, sans pause ?

– J’en ai vu d’autres, petite plume ! Tu ne pèses rien, mais tu t’inquiètes trop ! plaisanta-t-il.

 Je lui ébouriffai le poil d’une main en riant.

– Swèèn ! s’écriai soudain Sana.

D’autres vaisseaux Métharciens, prévint la voix double de mon Limosien dans mon esprit.

 Les lions ailés s’enfoncèrent dans les ténèbres des bois sinueux, slalomant avec adresse entre leurs larges branches entremêlées. J’allumai une petite sphère dans ma main pour éviter les ramés aux feuilles touffues. Les Limosiens finirent par se poser en territoire ennemi. À peine avaient-ils mis pieds à terre qu’une multitude de masses sombres approchaient. Je pouvais les percevoir à la lueur de ma boule lumineuse.

– Des êtres des ombres ! m’écriai-je, alarmée.

 Alors qu’elles allaient inévitablement nous atteindre, quelque chose attira leur attention. Elles s’immobilisèrent d’un coup. Une autre ombre, immatérielle, à peine plus haute que moi, avec deux lumières rubis serties dans les ténèbres en guise d’iris glissait sur le sol obscur, les dépassant une à une pour nous faire face.

– Ta présence ne passe pas inaperçue, Nêryah…

 Asuna bondit de sa Limosienne pour faire barrage, en position de combat. L’Ombre flotta à quelques centimètres de la terre, puis s’arrêta devant la jeune Gardienne. Cette dernière éveillait déjà ses spores dorées, les faisant léviter autour d’elle. Elle plaça ses bras en avant, et les billes scintillantes chargèrent d’un coup l’entité obscure, enveloppèrent son corps immatériel.

 Pendant ce temps, Swèèn et Sana battirent leurs ailes argentées sans discontinuer. Le phénomène produisit une sorte de brouillard grisâtre qui s’installa autour de nous quatre, à la manière d’un vaste bouclier protecteur. En effet : les amas sombres, aussi nombreux soient-ils, ne parvenaient pas à pénétrer notre armure magique.

– J’adore cette magie de la nature ! commenta l’Ombre, nullement impressionnée. C’est fascinant. Jeune Moroshiwa, j’aurais bien besoin de tes talents pour venir sur Terre…

– Ma première démonstration ne vous a-t-elle pas suffi ? Vous voulez encore goûter à mon pouvoir ? tançai-je.

– Tu oublies que tant que les Terriens sont en vie, je demeure immortel… Ce sont eux qui m’ont créé. Notre but est le même… rejoignez-moi pour cette noble cause ! Préservons ensemble cette planète, si pure, si paisible, et leurs habitants !

– Si vous désirez tant nous protéger, pourquoi envoyez-vous vos troupes de Métharciens assiéger nos peuples ? Cela n’a pas de sens ! déclara Asuna, les poings serrés.

– Ils refusent de me donner leur Gardien et leurs Pierres de pouvoirs. J’en ai besoin pour les protéger ! Mais tu as raison, mes guerriers font du zèle et ne respectent pas mes ordres. Mon but est de nous débarrasser des Terriens, mes vils créateurs, et de disparaître avec eux. Je ne veux pas nuire aux habitants d’Orfianne. Sache que tous les Métharciens ne sont pas sous mon commandement… bon nombre d’entre eux vous attaquent de leur plein gré !

– Pourquoi ne comprenez-vous pas qu’en supprimant les Terriens, vous allez rompre l’équilibre des deux planètes ? continua la jeune Moroshiwa.

 Ses spores continuaient de paralyser l’Ombre qui ne bougeait plus d’un pouce.

– Je reste persuadé que d’autres formes de vies prendront leur place. Après une période de chaos, les choses rentreront dans l’ordre. Orfianne sera enfin sauvée ! L’alliance entre les deux mondes n’est pas seulement faite avec les êtres humains ; elle existe grâce aux autres règnes : la nature, les animaux, mais aussi des êtres immatériels que les Terriens ne voient pas avec leurs yeux physiques.

 Hors de question d’être retardés dans notre quête. Je pris le temps de ressentir l’énergie d’Orfianne et me connectai à ma Pierre de Vie. Sa lumière argentée s’échappa immédiatement des interstices de mon sac. Je lançai un faisceau lumineux contre l’Ombre, galvanisée par la magie du joyau. Swèèn et Sana se joignirent à moi. Ils crachèrent leur large rayon. Notre adversaire, immobilisé par la magie d’Asuna, reçut nos assauts simultanés de plein fouet.

 L’Ombre se courba sous l’impact.

– Je ne vous veux aucun mal… susurra-t-elle.

 Elle ne se défendit pas. Mais les entités sombres, elles, continuaient de vomir leurs nuées dévastatrices. Notre bouclier géant leur faisait écran.

 Poussée par une soudaine intuition, je décidai d’invoquer la force de l’arbre sacré. Même à distance, il pouvait m’aider. J’imaginai mes pieds aux creux de ses racines, comme pour puiser dans son énergie. Je me sentis arbre à mon tour ; la sève semblait monter le long de mes jambes. Elle jaillit de mes mains. Des faisceaux dorés sortirent de chacun de mes doigts, sans discontinuer. Ils percutèrent l’Ombre, toujours paralysée par les spores d’Asuna. Face à ce déferlement de puissance, la créature se volatilisa une nouvelle fois.

 La dorure de mon nombril luisait dans les ténèbres de la forêt. Curieusement, je ne me sentais pas vidée par ce combat.

– Grimpez, vite ! nous ordonnèrent les Limosiens.

 Si l’Ombre était partie, les êtres déchus, eux, attaquaient toujours notre bouclier.

 Asuna et moi bondîmes sur les lions ailés. À peine agrippées à leur crinière, ces derniers regagnèrent les cieux à la vitesse de l’éclair. Les esprits sombres ne semblaient pas pouvoir voler, et encore moins supporter la lumière du jour. Mais le soleil déclinait déjà.

 Nous rasions la cime des arbres pour ne pas attirer l’attention d’éventuels vaisseaux spatiaux. Nous restions aux aguets, surveillant les cieux et les contrebas, pris au piège entre les entités du chaos et les Métharciens.

 En fin de journée, les nuages s’écartèrent pour révéler le ciel étoilé.

 Nous ne pouvions pas nous permettre de nous poser. Il allait falloir voler de nuit, comme l’avait indiqué Swèèn ce matin. Je craignais pour la fatigue de nos fidèles compagnons.

 Nous approchions enfin de la forêt des Myrias. Asuna semblait s’être endormie sur Sana. Comment parvenait-elle à se relaxer, moi qui guettais sans cesse nos arrières, si inquiète à l’idée d’y voir apparaître un vaisseau, ou surgir un monstre ?

 Et pourtant, mes yeux commencèrent à papillonner. Cette atmosphère étrangement tranquillisante mêlée à la sensation de bercement me donnait presque envie de m’assoupir contre le pelage moelleux de Swèèn. Dans le silence du crépuscule, je m’abandonnais à la douce sensation d’apesanteur, empoignant fermement sa crinière. Ses ailes aux plumes argentées battaient majestueusement dans le firmament. Je contemplais les astres, petites perles étincelantes illuminant la toile bleu-marine. Tout était calme, paisible. Comme si le danger n’avait tout simplement jamais existé. Je me demandais ce que pouvait manigancer l’Ombre, tapie dans son royaume obscur.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Ayunna ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0