Chapitre 43 : La cité des Moroshiwa

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 Les rayons du soleil me picotaient les yeux. J’avais dû m’assoupir ; le jour pointait à l’horizon. Les Limosiens n’avaient pas quittés les cieux. Ils survolaient à présent la canopée d’une forêt aux arbres gigantesques. Je reconnus de suite celle des Myrias.

 Asuna rayonnait. Bien accrochée au pelage de Sana, son regard s’illuminait sous le spectacle des séquoias géants, qu’elle connaissait depuis toujours.

 Nous pénétrions enfin le domaine des Moroshiwas. Bientôt, la jeune Gardienne retrouverait Imaya. Nous décidâmes qu’Asuna et sa Limosienne resteraient dans leur village pour profiter de leurs retrouvailles. Swèèn et moi allions rejoindre, seuls, les terres des Guéliades. Nous avions prévu de venir les chercher à notre retour.

 Après une trentaine de minutes de vols, je discernai des constructions au sommet des arbres. Je découvris avec émerveillement la fameuse cité, vue directement des cieux, cette fois. Je me souvins de notre arrivée, là-bas, avec Avorian. Nous marchions sur les sentiers, et les habitations se situaient à une telle hauteur que nous n’avions même pas remarqué que la citadelle aérienne des Moroshiwas se trouvait juste au-dessus de nous.

 Chaque arbre abritait une multitude de terrasses suspendues sur leurs branches. Elles s’agrémentaient de bassins et de fleurs. Les Limosiens se posèrent sur l’une d’elles. En observant les bacs remplis d’eau, je me rappelai du système ingénieux de gouttières déversant les trop-pleins d’une cuve à l’autre, qui s’écoulaient ensuite le long du tronc, jusqu’aux racines de l’arbre-maison. Un cercle vertueux pour assurer sa pérennité.

 Des Moroshiwas s’attroupèrent autour de nous. Asuna les avait prévenus de notre arrivée par télépathie. Tous étaient vêtus de feuilles tressées, de fleurs et de fibres végétales. Une splendide femme aux yeux jaune-or s’avança. Sa longue chevelure végétale composée de larges feuilles ovales et lobées recouvrait ses épaules. Je reconnus immédiatement Imaya.

 Asuna bondit de sa Limosienne pour sauter dans les bras de sa mère, cachant son visage dans sa poitrine pour respirer son odeur. J’entendis Imaya fredonner une douce mélodie. Elle berça sa petite, bien serrée contre elle. Elles n’échangèrent pas un mot.

 Nous fûmes chaleureusement accueillis. On nous apporta de nombreux plats à base de fruits et de végétaux. Je pus même prendre un bain. Dans une eau froide, bien-sûr.

 Hélas, nous ne pouvions pas rester plus longtemps. Les Moroshiwas, si généreux, nous offrirent un supplément de provisions. Nous gourdes remplies d’eau, Swèèn et moi repartîmes après le petit-déjeuner nous envoler vers les terres de mon peuple.


 Nous approchions du royaume des Guéliades, territoire vide, anéanti par les Modracks au moment de ma naissance. Comment me connecter à l’arbre sacré, m’ouvrir à ses images, ses réponses ? J’imaginais qu’il fallait se mettre dans un état méditatif, proche de la transe. Grâce à ma mère adoptive chinoise, Sijia, j’avais l’habitude de méditer, de pratiquer les arts martiaux tels que le Taï Chi et le Qi Gong. Il fallait sans doute se relier à Orfianne, comme pour pratiquer la magie.

Les exercices de préparation d’Avorian vont m’être utiles.

 Nous arrivions enfin !

 Mon royaume…

 Je n’en croyais pas mes yeux. La dernière fois, nous avions quitté des terres désolées, composées d’arbres calcinés dans un sol nu, dénué de toute végétation.

 Sous les premières lueurs du jour, je découvris avec stupéfaction un paysage féérique, aux couleurs chatoyantes, d’une végétation luxuriante. Des arbres au feuillage foisonnant, des fruits en abondance. Des fleurs par milliers tapissaient la terre. Sur les collines vertes serpentaient des ruisseaux. J’observais les rayons du soleil apposer une touche d’ambre sur ce splendide panorama. Ils créaient des reflets multicolores sur les points d’eau.

 Et surtout, nos terres étaient désormais peuplées. D’innombrables Fées – que j’avais prises pour des papillons – voletaient d’un arbre à l’autre, mais aussi des oiseaux de toute espèce, et de petits animaux ressemblant à des écureuils, avec une queue en panache d’un roux flamboyant.

– C’est incroyable ! Nos terres se sont métamorphosées… en si peu de temps ! m’exclamai-je, ravie.

– La magie des Pierres est puissante, me rappela le Limosien. Donne-moi quelques instants, je dois prévenir Orion que nous sommes bien arrivés.

 Alors que je m’apprêtais à répondre, j’aperçus droit devant nous notre arbre sacré. Le majestueux banian, avec ses innombrables racines, énormes, enchevêtrées, et un feuillage volumineux que je ne lui connaissais pas. Il s’imposait comme le véritable maître de ces lieux.

 À peine mis-je pied à terre qu’une bonne vingtaine de Fées nous encerclèrent.

– Swèèn ! Nêryah ! Soyez les bienvenus, nous accueillit une fée à la peau verte, vêtue d’un voile jaune. Nous vous attendions avec impatience. Arianna nous a contactées. Elle défend le royaume des Noyrociens. Nous allons vous escorter.

– Merci, chères hôtesses, dit poliment Swèèn.

– L’Ombre nous a attaqués dans la forêt ténébreuse, il faut rester prudents ! J’espère qu’elle ne viendra pas jusqu’ici, m’inquiétai-je.

– L’arbre nous protège, et l’Ombre craint la lumière, me rassura une fée orange, aux petites ailes semblables à celles de libellules.

 Je contemplai l’arbre maître et ses multiples petits troncs, époustouflée par sa prestance. Il devait bien mesurer trente mètres de haut.

– Et… pour le dernier Modrack ? Que fait-on s’il nous surprend ici ? réalisai-je.

– Nous ne pensons pas que le maître des Modracks soit resté sur ces terres. Nous ne l’avons jamais revu depuis la grande bataille.

– Est-il encore en vie ? Où peut-il bien se cacher depuis tout ce temps ?

– Nous supposons qu’il est parti se ressourcer loin d’ici, dans un endroit où il peut pleinement recevoir les émotions des terriens.

– Pour revenir plus fort, j’en ai bien peur ! compléta une fée violette.

– Où se trouverait cet endroit particulier ?

– Nous l’ignorons. Cela peut être aussi bien dans la forêt de Lillubia que dans les terres du Nord, ou même sur les îles. Certains lieux sont encore sous l’emprise des ténèbres.

 Nous avions traversé la forêt de Lillubia lors de notre voyage vers le Royaume de Cristal, et en effet, certaines parties demeuraient chargées d’énergies négatives, tout comme la forêt ténébreuse que nous venions de survoler.

– Tu crois que j’ai quand même le droit de manger avant de me mettre en méditation ? m’adressai-je à Swèèn, affamée.

 Ce dernier s’esclaffa de sa voix double.

– Évidemment ! On ne sauve pas le monde le ventre vide ! répliqua-t-il.

– Tu veux dire : pour sauver le monde, il faut avoir les dents propres !

 Les Fées nous regardèrent avec des yeux ronds, perplexes. Je me mis à rire en allant cueillir des fruits aux arbres environnants. Je demandai à l’une d’entre elles s’ils étaient comestibles. Comme je le supposais, ils s’avéraient parfaitement digestes, et riches en vitamines.

 Une fois mon déjeuner fini, je m’accordai le plaisir d’aller me laver dans le ruisseau le plus proche. Je choisis un endroit intime, entouré d’arbres et de rochers. Je posai des vêtements propres sur un gros galet, déjà réchauffé par les rayons du soleil, et pris le temps de nettoyer mes cheveux. J’avais besoin de me sentir totalement purifiée pour ma cérémonie avec l’arbre.

 Je m’habillai d’une tunique verte aux rebords dorés avec un sarouel marron, tressai mes cheveux, puis rejoignis Swèèn. Ce dernier affichait un pelage flamboyant : il venait lui aussi de faire sa toilette dans le ruisseau, un peu plus loin.

 Je m’avançai à pas mesurés vers le banian, une pointe d’appréhension dans le ventre. L’arbre allait-il me parler ? Comment m’ouvrir à sa guidance ?

 Quelques Fées m’observaient, attentives. Cela me mettait encore plus mal à l’aise. Moi, la dernière Guéliade, unique Gardienne de la Pierre de Vie, j’ignorais la façon de procéder.

 Je m’assis en tailleur au creux des racines. Je fis quelques respirations, fermai mes paupières pour me mettre en état de recueillement. Je chassai mes pensées, mes inquiétudes, tentai de calmer mon mental préoccupé. La force de l’arbre sacré m’y aidait. J’inspirai profondément, expirai lentement. Je sentis l’énergie de l’arbre me pénétrer par les pieds, puis remonter petit à petit tout le long de mon corps, jusqu’au sommet de la tête.

 J’aurais dû m’en douter : je n’avais rien à faire, ni à chercher. Sa force venait simplement de me transpercer. Je ne pouvais même pas lutter.

 Et la première chose que je vis fut bien la dernière à laquelle je m’attendais.

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