Chapitre 41 : Paysage enneigé

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 Le paysage était à couper le souffle. Juchée sur mon noble Limosien, j’observais les grands lacs bordés de résineux en contrebas, surplombés par les montagnes enneigées. Le temps ensoleillé embellissait ce somptueux tableau et apportait une nitescence particulière. Des milliers de paillettes semblaient clignoter dans les bassins. Malgré la splendeur des lieux, je ne me sentais pas à l’aise dans les airs. Swèèn volait bien plus vite et plus haut que lors de mon premier vol, sur les terres des Guéliades. Je me sentais nauséeuse, le ventre noué, le cœur serré.

 Asuna paraissait clairement plus détendue que moi au beau milieu des cieux. Elle pratiquait depuis toujours la lévitation. Son peuple flottait quotidiennement dans des bulles translucides pour rejoindre la cime des arbres, là où ils bâtissaient leurs incroyables cités.

 Quelques heures plus tard, nous fîmes une pause au bord de l’eau, grignotant un peu du pain de Kaya. Mes amies m’accompagnaient d’une certaine manière. Elles prenaient soin de moi.

 J’ignorais si ce voyage allait m’apporter des réponses. J’étais partie sans réfléchir, de manière impulsive, alors que nous devions absolument nous entraîner à la fusion des Pierres. Je commençais à douter de ma décision. Cette fois, Avorian n’était plus là pour me guider. La présence d’Asuna me réconfortait, et donnait du sens à mon voyage. La petite Moroshiwa parlait peu, comme à son habitude. Elle m’offrait néanmoins son beau sourire, impatiente à l’idée de retrouver sa mère.

 « Tu as le courage de faire un premier pas vers ton destin, la vie se chargera du reste », me répétait Swèèn pour m’encourager. Sana, la douce Limosienne, se montrait particulièrement maternante avec nous. Elle nous demandait sans cesse si nous n’avions pas trop froid, faim ou soif, si nous avions besoin d’une halte. Je me sentais pleine de gratitude.


 Notre première nuit dans l’igloo – que nous avions façonné tous ensemble – se passa bien. Asuna et moi dormîmes roulées en boule contre les pelages tous chauds de Swèèn et de Sana. Notre feu magique, alimenté par le pouvoir des Limosiens, remplit merveilleusement sa fonction. Je m’éveillai, le corps réchauffé, étonnée de voir les flammes encore vives au petit matin. Je savais qu’il était inutile de s’inquiéter pour la jeune Gardienne : son métabolisme résistait parfaitement au froid glacial.

 Nous reprîmes le vol après un petit-déjeuner frugal. Je demandai à Swèèn et à Sana s’ils ne se sentaient pas trop fatigués de leur première journée et s’ils supportaient notre poids sur leur dos. En guise de réponse, ils se mirent à virevolter dans les airs. « Vous êtes toutes deux aussi légères que des plumes ! » assura Swèèn. Je lui criai de cesser immédiatement ses acrobaties s’il ne voulait pas me voir échouer sur la neige.

 Alors que je commençais tout juste à m’habituer à la sensation d’apesanteur, à apprivoiser peu à peu mon vertige, les Limosiens virèrent brusquement sur la gauche puis descendirent en piqué.

– Que se passe-t-il ?

– Un vaisseau Métharcien, droit devant nous ! nous alerta Sana.

 Les deux lions ailés se posèrent sur la terre ferme, entre les résineux. Nous espérions que leurs larges branches nous dissimulent de l’ennemi. Je pris Asuna contre moi, levant les yeux vers le ciel. Je guettais le vaisseau spatial, stupéfaite.

 Le vaisseau en forme de triangle aplati se déplaçait lentement dans les cieux, tellement bas qu’il semblait frôler les monts enneigés. C’était impressionnant.

 Deux ailes légèrement recourbées vers le bas prolongeaient ses extrémités. Sa matière d’un bleu-gris luisant reflétait le ciel et les quelques nuages. La navette devait bien faire une dizaine de mètres de haut sur sept de longueur. Pas étonnant puisque les Métharciens mesuraient plus de deux mètres.

– Ils patrouillent. Ils doivent certainement penser que notre petit groupe n’a pas encore atteint le Royaume de Cristal, avança Swèèn.

Eh bien ils ont un train de retard ! m’exprimai-je spontanément en français, le mot « train » n’existant pas en Orfiannais.

– Qu’est-ce que tu as dit ? s’interrogea Asuna d’une petite voix.

– Excuse-moi, je parlais toute seule en langue Terrienne. En tout cas, ils ne sont pas discrets pour des pisteurs.

– Ils ne cherchent pas à l’être. C’est de l’intimidation, déclara Sana.

 Nous attendîmes que la menace passe avant de reprendre la voie des airs.

– Surveille nos arrières, ils risquent de revenir, indiqua la Limosienne à son comparse.

 Nous volâmes assez proches du sol pour ne pas trop attirer l’attention. Je pivotais sans arrêt, regardant au loin, angoissée à l’idée d’être pourchassée par ces monstres.

 Nous arrivâmes indemnes à l’orée du bois ténébreux, à la fin de cette deuxième journée. Une fois le royaume des ombres traversé, nous accéderions à la forêt des Myrias, là où se trouvait la cité des Moroshiwas.

 L’Ombre m’avait kidnappée ici-même. Allait-elle ressentir notre présence ?

 Swèèn et Sana se posèrent enfin. Nous fîmes halte pour la nuit dans cette même plaine où nous avions dormi à l’aller.

 Asuna et sa Limosienne entreprirent de construire une cabane pour la nuit. La jeune Gardienne usait de son pouvoir de lévitation pour soulever les branches, les faire voler dans les airs, puis les assembler intelligemment pour fabriquer les parois.

– N’est-il pas un peu dangereux, voire complètement insensé, de s’arrêter à l’endroit même où nous avions été attaqués ? demandai-je à Swèèn en me dégourdissant les jambes. Il faut vraiment être fou pour faire ce genre de chose !

– Tu as tout à fait raison : il faut vraiment être sot pour revenir au même endroit. C’est justement pour cela que nous le faisons.

 Le Limosien me sourit de tous ses crocs.

– Ah… je vois… Nous avions fait pareil dans les souterrains de l’Ombre en vous attendant, toi et Avorian, me rappelai-je. Le dernier endroit auquel penserait l’ennemi…

– Nos adversaires nous surestiment, plaisanta Swèèn.

 Je ne pus réprimer un petit rire nerveux.

– Alors, on se dit bonne nuit ? continua-t-il d’une voix mielleuse.

– Non ! Non ! paniquai-je. De toute façon il faut manger.

– Je veille sur toi ma petite Nêryah. Tout se passera bien.

– N’empêche que la dernière fois, c’est moi qui ai mis K.O l’Ombre. Pas toi, petit Limosien de pacotille ! le taquinai-je.

 Sans prévenir, le lion ailé se jeta sur moi. Il me plaqua au sol avec ses grosses pattes, me lécha le visage. Je gesticulai dans tous les sens : « Non ! Non ! Pitié ! Arrête ! C’est dégoutant ! ». Asuna et Sana s’arrêtèrent dans leur fastidieuse construction pour regarder nos chamailleries, interloquées.

 Devant mes supplications, Swèèn battit des ailes en bondissant sur le côté.

 Je me relevai chancelante, le visage barbouillé de bave.

– Il va vraiment falloir que je te construise une brosse à dent ! lui lançai-je.

 Je farfouillai dans mon sac en grognant pour prendre de quoi me nettoyer le visage, frottai ma peau vigoureusement.

– Évite de recommencer ! Il n’y a pas de point d’eau pour se laver ici, tu exagères !

 Sur ces mots, je partis aider les autres à terminer la cabane.

– Tu es sûr qu’on est en sécurité ? m’angoissai-je en revenant vers Swèèn.

 Il me regarda d’un air malicieux :

– Non. C’est pour cette raison que Sana et moi venons de créer un champ protecteur autour de nous – pendant que tu te soulageais, ma chère.

 Devant mon air ombrageux, il ajouta :

– Toi, tu es la Gardienne de la Pierre. Et moi, je suis ton Gardien. D’accord ? Détends-toi maintenant.

 Nous dînâmes en silence dans notre abri. Asuna avait trouvé quelques racines et baies aux alentours. Alors qu’il faisait nuit noire, elle nous éclaira en laissant échapper quelques spores dorées de son corps. Ces dernières voletaient lentement autour de nous, à la manière de petites lucioles.

 Nous dévorâmes des pains préparés par nos amies restées au Royaume de Cristal. Leur saveur levurée me réconforta.

 Swèèn se coucha nonchalamment, comme si nous étions en vacances. Sa tranquillité me rassurait. Sana semblait bien plus tendue que lui. La joie que je lisais sur le visage d’Asuna, si heureuse à l’idée de retrouver sa mère, me réchauffait le cœur. Elle éteignit ses spores magiques une à une. Leur douce lumière avait créé une ambiance poétique tout au long de la soirée.

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