Chapitre 40 : L’envol de Nêryah

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 Je m’éveillai, la boule au ventre. J’appréhendais de voyager « seule » avec Swèèn.

 Sans Avorian. Mon guide de toujours.

 Je me sentais à la fois triste et soulagée de ne pas l’avoir encore revu. C’était une drôle d’impression. Qu’allait-on pouvoir se dire, face à face ? Me dissimulait-il encore quelque chose ?

 Je me lavai rapidement, puis m’habillai d’une jolie robe fuchsia.

 À partir de demain, plus de coquetteries, mais des vêtements chauds et confortables pour affronter la neige.

 Je nouai mes cheveux lorsqu’on frappa à ma porte. Je la fis doucement coulisser.

– Avorian, prononçai-je d’un ton las.

 Il me dévisagea longuement, l’expression intense. Il semblait choisir ses mots avec soin dans sa tête, sans doute par peur de me froisser. Devant mon regard interrogatif – pour ne pas dire, impatient –, il se lança :

– Nêryah… je voulais t’apprendre à construire un abri de glace à l’aide de la magie, commença-t-il, penaud. Et du feu aussi. Vous allez devoir affronter une à deux nuits dans la montagne. Tout dépendra de la vitesse de vol de Swèèn. Il n’a pas pour habitude de transporter des gens.

 Malgré ma colère, toujours présente, je ne pouvais m’empêcher d’être touchée par cette attention.

 Je l’examinai de haut en bas, comme si je le voyais pour la première fois, silencieuse. Cet homme… aux grands yeux gris et au visage si doux, était mon grand-père.

Mon grand-père.

 Sa peau parfaitement lisse, imberbe, et ses traits aux lignes pures lui donnaient l’apparence d’un ange. Seuls ses cheveux blancs mi-long, lui arrivant à la nuque en mèches recourbées, rappelaient son âge avancé.

 Un être intemporel.

 Avorian semblait tout connaître, à l’image d’un vieux sage. Mais il ignorait et sous-estimait parfois ses propres sentiments.

 Il ne portait pas le deuil sur son visage, ni les séquelles de cette tragédie – en apparence, du moins. Son expression demeurait paisible, malgré tout ce qu’il avait enduré. Seul son regard trahissait une immense peine.

– Swèèn est capable de le faire, non ? rétorquai-je. D’ailleurs, je vous ai observé et aidé, je connais déjà le procédé. Vous êtes venu pour me présenter vos excuses, j’imagine.

– Je ne peux pas demander ton pardon. Je ne le mérite pas. Je t’ai voilé la vérité parce que je voulais te préserver. Je n’imaginais pas ta force d’esprit ni ta persévérance. Je m’en suis rendu compte trop tard.

– Vous vouliez surtout vous protéger de votre propre attachement pour moi, et de la peur de me perdre, répliquai-je. C’est égoïste. Vous pensiez le faire pour m’épargner, alors qu’en réalité, il s’agit juste de vous, et de vos propres tourments. Vous n’en êtes pas guéri.

 Son expression figée et ses yeux agrandis m’indiquèrent que ma remarque l’avait touché de plein fouet. Il resta un moment silencieux, puis finit par dire :

– Tu es… tout le contraire de moi. Tes paroles ne sont que sagesse et vérité, à l’instar d’Eynarah. Tu m’as percé à jour, comme d’habitude. Je comprendrais que tu ne souhaites plus me voir.

 Je l’observai d’un air las, lâchant un long soupir.

– Avorian, vous avez passé votre temps à veiller sur moi, à maintenir le feu dans le désert puis dans les igloos pour que nous ayons chaud, sacrifiant votre santé par la même occasion. À me défendre au péril de votre vie. Vous vous méprenez !

 Le mage ouvrit ses lèvres, désarçonné. J’avançai d’un pas pour me placer si proche de lui que je pouvais distinguer ses pupilles se rétracter, puis se dilater. Il semblait complètement perdu. Noyé dans son désespoir.

– Mon cher Avorian, vous vous sentez seul depuis si longtemps que vous n’en avez même plus conscience.

 Je vis quelques larmes s’échapper de ses yeux. Il finit par répondre :

– Comment parviens-tu à si bien lire en moi ?

– Comment puis-je ignorer quelque chose d’aussi visible ? l’interpellai-je.

 Le mage ferma les yeux.

– Tu n’as plus besoin de moi, murmura-t-il, comme s’il avait besoin d’ancrer ce constat amer en lui. C’est moi qui recherchais depuis toujours ta présence. Nêryah, peu importe que nous soyons tous les deux un peu perdus ; tu as raison de m’en vouloir, d’être fâchée. Mais je voulais t’encourager dans ton choix. Rejoins notre arbre sacré, je sais qu’il t’apportera ses visions, et peut-être même une solution pour faire fusionner les Pierres. J’ai foi en toi, ma chère petite-fille.

 Il s’en alla sur ces mots. Je soupirai, à la fois allégée et surprise par cette conversation. Je me sentais soulagée qu’Avorian valide ma décision. J’étais pour le moment incapable de l’appeler « grand-père », ni de pleinement le réaliser. Je ressentais encore trop de rancœur.

 Je me dirigeais vers l’entrée sur Royaume. Asuna accourut vers moi, l’air paniquée.

– Asuna, que se passe-t-il ?

– Emmène-moi.

– Quoi ?

– Tu vas forcément passer par la cité de notre peuple. Emmène-moi avec toi. S’il te plaît. Je veux voir maman ! me pria-t-elle.

 Pour une fois, ses grands yeux jaunes exprimaient une intense tristesse. Asuna avait beau être incroyablement sage pour son jeune âge, elle n’en demeurait pas moins une petite fille.

Et un enfant a besoin de sa maman.

 Je pris ses mains dans les miennes, les serrant avec vigueur, comme la culture Moroshiwa indiquait de le faire dans un serment.

– C’est d’accord, tu viens avec moi, et on trouvera Imaya, lui promis-je solennellement.

 J’avais rencontré sa mère dans la forêt de Lillubia.

 Son visage s’éclaira, elle soupira de soulagement.

– Je vais la contacter et lui demander d’aller à la cité pour notre venue.

– Parfait. La télépathie fonctionnera si loin ?

– Avec le pouvoir d’Orion et de ma Pierre, oui.

– Nous ne pourrons pas rester longtemps, juste une nuit, tu en as conscience ? la prévins-je.

– Bien-sûr ! Merci infiniment, Nêryah ! Tu es la grande sœur dont j’ai toujours rêvé.

 Ses paroles me touchèrent droit au cœur. Les joues empourprées, nous allâmes voir les Limosiens pour demander qu’un des leurs nous accompagne. Je ne voulais pas que Swèèn s’épuise à nous porter toutes les deux.

 « Merveilleuse idée ! », me dit ce dernier, toujours jovial. « La cité des Moroshiwas offrira une escale agréable dans notre voyage ! »


 Nous prîmes la route le lendemain.

 Après un dernier bain au somptueux Royaume de Cristal, j’optai pour un pantalon souple, ample, et un pull bien chaud. Je tressai mes cheveux. Mon sac magique recueillait tous mes bagages en restant minuscule, léger – merci, la magie des Fées. Vêtements, provisions à profusion grâce aux filles, eau, matériel de nécessité y logeaient et ne pesaient rien sur le dos de Swèèn.

 Tout le monde s’était réuni pour nous souhaiter bonne chance : les quatre Gardiens, Orion, Merwên, Ishaam, Arianna et Avorian. Nous nous trouvions dans le grand hall du Royaume, prêts au décollage. Le Sage ouvrit le portail en arche ornée d’or et de pierres précieuses.

 Je pris place sur le dos de Swèèn, sous le regard plein d’entrain de mes amis. J’accrochai mon bagage magique derrière moi, tandis qu’Asuna grimpa avec agilité sur Sana, sa Limosienne. Elle ne possédait pas de crinière, et sa voix féminine attestait de son genre.

– Soyez prudents ! nous lança Orialis.

– Nos pensées sont avec vous ! ajouta Kaya.

– Et vos provisions aussi ! complétai-je en riant. Merci ! Votre pain va vraiment nous réconforter.

– J’aurais aimé pouvoir t’accompagner et voir de mes propres yeux la régénération de nos terres, dit doucement Avorian.

 Je réalisais pleinement à quel point cela comptait pour lui.

– Quand tout sera fini, nous irons ensemble, promis-je à ce dernier.

 Je nous sentais en voie de réconciliation. Ce voyage permettrait de prendre du recul.

– Revenez-nous saines et sauves ! nous dit Nayan.

– On mettra tout en œuvre pour retrouver le Gardien des Ênkelis en attendant votre retour, assura Neymraad.

 Je me sentis impressionnée par son abnégation. Il était clair qu’en prenant la place du Gardien, Neymraad ne voulait que le bien d’Orfianne, de ses peuples. C’était à cette fin qu’il avait tenté d’ouvrir la Pierre des Ênkelis, et non pour usurper qui que ce soit.

– Tu vas nous manquer Nêryah, se plaignit Ishaam, d’un ton exagérément larmoyant.

– Bon voyage, jeune Gardienne ! Tu as fait un choix éclairé, me félicita Orion. Prends bien soin d’Asuna.

 Il ouvrit ses bras en un geste ample, comme pour me donner un peu de sa force. Son auréole étincelait autour de lui.

– N’oublie pas le pouvoir de la fleur… et n’hésite pas à demander de l’aide aux Fées que tu croiseras, me préconisa Arianna.

 Merwên m’adressa un signe de tête. Tout le monde approuvait ma décision et me soutenait. Je me sentais pleine de gratitude.

 Swèèn décolla sous un tonnerre d’encouragements. Cela me faisait tout drôle de quitter la petite troupe, et de m’envoler sur un lion ailé. Une forte sensation de vertige me saisit le ventre. Mon estomac se retourna, provoquant un haut-le-cœur. Il fallait me réhabituer au voyage dans les airs.

 Nous survolâmes le magnifique Royaume en forme d’étoile, frôlant ses tours de cristal finement ciselées, sa bâtisse et ses somptueuses coupoles. Les rayons du soleil produisaient de jolis reflets arc-en-ciel sur le quartz si pur. J’ouvris la bouche, émerveillée, puis la referma aussitôt. Le vent était glacé !

 Le Limosien m’informa que si tout se déroulait bien, nous en aurions pour environ une petite semaine de vol. Cela me paraissait tellement court et surprenant, nous qui avions marché si longuement depuis le royaume de Guéliades. Les Métharciens puis l’Ombre nous avaient sérieusement retardés à l’aller.

 J’avais tellement hâte de retrouver l’arbre sacré. J’espérais qu’il m’apporte une vision, comme pour Eynarah.

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