Chapitre 39 : Retour aux sources

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 Je me sentais las, égarée dans mon propre chaos. Comment intégrer tout mon passé d’un seul coup ? Comment parvenir à comprendre mon grand-père, et à lui pardonner ? Je pris une profonde inspiration, la tête enfouie dans mes mains. J’écoutais les remous de l’eau du petit bassin, déboussolée.

 En y réfléchissant attentivement, la seule personne qui me devait la vérité était bien Avorian, et non les Orfiannais que j’avais pu rencontrer : ils ne connaissaient probablement pas tous les éléments de mon passé. Arianna apparaissait à notre demande pour combattre et nous sauver, se volatilisant l’instant d’après. Comment aurait-elle pu me révéler de telles choses ? Elle n’en avait pas eu le temps, ni l’occasion. Elle devait certainement respecter sa décision, et penser que c’était à lui de me parler de mon identité. Même chose pour Swèèn. Il savait bien qu’un jour ou l’autre, mon grand-père m’expliquerait tout. Sa délicatesse et son amitié pour lui le rendait compréhensif, patient, et témoignait de leur confiance mutuelle. Il pressentait que les choses se feraient en temps voulu.

 Quant à Shirin, je n’avais guère passé beaucoup de temps avec elle. Elle ne pouvait pas me balancer à notre rencontre : « Bonjour Nêryah, j’ai aidé ta mère à accoucher, puis elle est morte sous mes yeux… son deuxième enfant avec elle ! Du coup, j’ai été ta nourrice pour te sauver de la faim. Bienvenue parmi nous ! ».

 Elle avait préféré profiter de ces instants précieux pour m’enseigner son savoir-faire en cuisine, en confectionnant de délicieux pains ensemble, et savourer nos retrouvailles par des moments simples. Quelle plus belle preuve d’amour ?

 Toutes ces personnes avaient connu la bataille de près, combattus avec dignité, perdus leurs proches. Pour Avorian, sa nation entière. Comment parler d’une telle tragédie, d’emblée ? Nous étions constamment assaillis par les êtres des ombres et les Métharciens.

 Il était temps que je prenne mes propres décisions. Depuis mon arrivée sur Orfianne, Avorian me guidait à travers les routes. Je devais poursuivre les traces d’Eynarah. Honorer sa volonté. Me libérer de toute emprise pour enfin renaître.

 En attendant la Grande Conjonction – il nous restait encore deux bonnes phases – j’allais entamer mon propre pèlerinage. Je ne ressentais pas spécialement le besoin de faire un « deuil », puisque je n’avais absolument aucun souvenir de ma famille.

 Il me fallait retourner sur les terres de mes ancêtres, au Royaume des Guéliades, pour méditer auprès de l’arbre sacré, tout comme ma mère l’avait fait. Lui seul pouvait me guider avec justesse. Je désirais vraiment en parler au Grand Sage et aux Gardiens ; consulter également Arianna et Swèèn. Je ne pouvais plus continuer ainsi. Pour être en pleine possession de mes capacités, je devais sonder mon identité profonde, apprendre à me connaître au-delà du rôle que l’on m’attribuait sur Orfianne.

 Et j’avais l’intuition, tenace, que seul l’arbre sacré pourrait m’y aider.

 Alors que je relevais la tête, j’entendis quelqu’un approcher. Kaya et Orialis venaient me rejoindre, des neybos à la main.

– Tu as faim ? me lança Kaya en s’approchant.

– Pas vraiment, mais merci d’avoir pensé à mon estomac.

 Je consentis malgré tout à croquer dans le fruit qu’elle me tendait.

– Nêryah, j’ignore ce qui se passe, mais sache que nous sommes là, et que si tu as besoin de parler, ou de quoique ce soit, tu peux compter sur nous, me dit doucement Orialis, le visage peiné.

– Merci infiniment les filles, vous êtes extraordinaires. Je vais avoir du mal à vous exprimer ce qui m’arrive alors… j’aimerais que vous lisiez ce livre. Vous comprendrez tout. Il parle un peu de notre histoire à tous. Il y a des éléments te concernant, Kaya.

 Mon amie Komac posa les fruits sur le rocher et prit délicatement le livre d’Eynarah, comme s’il s’agissait d’un trésor. Je préférais qu’elles sachent la vérité.

– Je dois parler à Orion. Quand vous aurez fini la lecture, je vous ferai part de ma décision.

 Les deux jeunes femmes échangèrent un regard, intriguées.

 Je ne leur laissai pas le temps de m’interroger. Je me levai promptement pour me diriger vers le Royaume.

 Alors que je le cherchais dans la salle de cérémonie, vide de tous ses occupants de la veille, ce fut le Sage qui me trouva. Il entra d’un pas mesuré, un sourire bienveillant se dessinant sur ses lèvres.

– Eh bien, ma petite Nêryah ! Je me suis senti comme « appelé ». Je perçois ce que tu traverses.

 Il n’était pas « le Grand Éclairé » pour rien ! Comme s’il avait lu dans mes pensées, Orion ajouta :

– La purification m’a relié à chacun d’entre vous. Et je peux aisément sentir qui entre ou ressort de mon Royaume. Sacré Sèvenoir… il a bien fait de venir te voir. Quelle personne insaisissable !

– Vous connaissez Sèvenoir ? m’étonnai-je.

– Oh oui ! Ne me demande pas de te révéler son identité, il le fera de lui-même, et je ne voudrais surtout pas trahir sa confiance. C’est quelqu’un de bon.

 Le Sage m’adressa un regard doux, plein de compassion. Devant mon silence, il poursuivit :

– « La Vie, c’est la quête de soi-même », n’est-ce pas ?

 Cette phrase… la gitane, ou plutôt, la fée métamorphosée en gitane me l’avait dite, sur Terre.

– Je viens justement d’apprendre d’où je viens, qui je suis. Grâce au livre de ma mère, Eynarah.

– Connaître son identité permet d’aller de l’avant, et surtout, de mieux se comprendre. Sèvenoir tient profondément à toi, et semble plus à l’aise avec les mots que notre cher Avorian. Il a pu lever les barrières du passé, ce qui n’est pas encore le cas de ton grand-père. Personne ne peut forcer quelqu’un à guérir de ses blessures s’il n’est pas prêt. Ni lui demander de parler s’il n’en est pas encore capable.

– Oui… Je comprends bien où vous voulez en venir. Mais moi j’ai besoin de réponses, d’y voir plus clair sur mon destin. J’ai besoin de retourner sur les terres de mon peuple, de me ressourcer auprès de l’arbre sacré. Je sens que j’ai quelque chose à faire là-bas. Quelque chose qui me dépasse.

– Tu as parfaitement raison de te fier à ton intuition ! Et je ne peux qu’approuver ta quête de vision là-bas, c’est une excellente initiative. En accomplissant toi-même ta transformation intérieure, tu seras prête pour la Grande Conjonction. Prends Swèèn avec toi, envolez-vous vers les terres des Guéliades. Vous ne devez pas abuser de volatilisation : tu n’es pas complètement Orfiannaise. Ce procédé est encore plus dangereux pour toi que pour quiconque. Revenez avant la Convergence des planètes ; vous avez encore du temps. L’arbre ne peut s’ouvrir qu’à toi, tout comme la Pierre de Vie des Guéliades. Je compte sur toi, jeune Gardienne. Tu as ma bénédiction !

– Mais… et pour le Gardien disparu ?

– Oh, ne t’en fais pas pour cela. Les pièces vont enfin pouvoir s’assembler.

 Moi qui avais peur que ma décision ne soit pas comprise, que l’on me retienne ici pour préparer la prochaine fusion des Pierres, j’en demeurai pantoise.

 Kaya et Orialis avaient achevé la lecture du livre d’Eynarah. La jeune Komac en était particulièrement bouleversée : le récit de ma mère avait ravivé en elle de vieux souvenirs refoulés.

 Je leur annonçai mon souhait de retourner auprès de l’arbre sacré de mon peuple et leur demandai d’expliquer ma décision aux autres Gardiens. Leur raconter l’essentiel afin que nous puissions garder cette « osmose » tant attendue pour la prochaine fusion des Pierres. Je n’avais pas le cœur à le faire. Je n’étais pas encore prête à me dévoiler sans avoir moi-même intégré ces révélations.

 En guise de réconfort, les gestes tendres de mes deux amies remplacèrent les mots. Je leur accordais une totale confiance, et elles me le rendaient bien.

 Un peu plus tard, je m’en ouvris à Swèèn et à Arianna, qui se doutaient déjà de la teneur de ma démarche.

– Ce sera un honneur pour moi de t’y conduire, m’assura Swèèn.

– Si tu as besoin de mon aide, utilise un pétale de la fleur ! me rappela Arianna.

 Je les remerciai chaleureusement.

 Quant à Avorian, il m’évitait. Sans doute par culpabilité.

 Alors que je préparais mes bagages dans ma chambre, Kaya vint me retrouver. Une délicieuse odeur l’accompagnait. Elle m’annonça, ses bras chargés de pains tous chauds :

– J’ai pu utiliser les cuisines du Royaume pour te faire la recette de Shirin.

 Elle m’adressa un sourire espiègle. L’émotion me submergea. Je fondis en larmes, à fleur de peau, profondément touchée par cette délicate attention. Je me répandis en « merci, merci, merci ! C’est merveilleux, adorable, merci ! ».

– Ils pourront se conserver un moment, m’assura-t-elle. Orialis et Asuna t’ont préparé plein de biscuits et de fruits secs. Tu as de quoi tenir !

 Émue par tant de bienveillance, je pris tendrement Kaya dans mes bras.

 Je la regardai droit dans les yeux, puis sortis en trombe de ma chambre, courus dans le couloir pour rejoindre celle d’Orialis, Kaya sur mes talons. J’entrai et la trouvai assise sur son lit, le livre à la main. Sa chambre ressemblait en tout point à la mienne, mais les draps et les rideaux du lit étaient verts.

 Je m’assis à côté de la Noyrocienne et l’enlaçai chaleureusement.

 Orialis me tapota dans le dos. Elle me rendit le livre, le regard sérieux.

– Pourquoi Sèvenoir a-t-il tenu à trouver le livre de ta mère ? Il cherche à t’aider, c’est certain. En fait, je commence à me demander si ce n’est pas lui, le Gardien des Ênkelis. Cela expliquerait beaucoup de choses. Nous venons d’ouvrir sa Pierre, peut-être l’a-t-il senti ?

 Il faisait en effet partie de ce peuple mystérieux.

– Je me pose cette même question. Cela expliquerait déjà pourquoi le Royaume l’a laissé entrer. À croire qu’il refuse son rôle de Gardien. En tout cas, il m’a rendu un grand service.

– Et tu dis ne jamais avoir vu son visage ? commenta Kaya.

 Je repensai à ce fameux soir, dans ma chambre. J’aurais pu. Quelque chose m’avait retenu. Un lien indéfinissable qui faisait que je ne voulais surtout pas le trahir, ni briser ma promesse.

– Non. Jamais, confirmai-je.

– J’espère que l’arbre sacré t’apportera les réponses dont tu as besoin, me souhaita la Komac.

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