L’histoire d’Eynarah me hantait. Le récit de ma propre mère. Elle avait séjourné sur Terre, tout comme moi, défié les lois d’Orfianne… Pourquoi Avorian ne m’avait-il jamais parlé de sa propre fille ? C’était incompréhensible. J’avais raison de penser qu’il me taisait la vérité depuis le début. Il veillait pourtant si bien sur moi !

 Pourquoi Sèvenoir tenait-il à ce que je connaisse ma véritable identité ? En y réfléchissant, l’homme masqué avait tenté plusieurs fois de parler de mon passé.

 Peut-être que finalement, je me trompais d’ennemi.

 Je me suis toujours demandée qui est Sèvenoir ; à cause du masque, de son charisme. Alors que la véritable question que j’aurais dû me poser est : qui est réellement Avorian ?

 Sèvenoir disait juste : je venais de trouver toutes les réponses à mes questions dans ce livre.

 Voilà pourquoi je ressemblais autant à mes parents adoptifs. Pour une raison toute simple, que je n’avais même pas envisagée. Nous faisions partie de la même famille. Sijia était ma tante. Jian, son défunt frère jumeau, mon véritable père, un être humain. Un homme extrêmement courageux, qui, par amour, s’était sacrifié pour sa bien-aimée.

 J’étais capable de survivre sur Terre parce que j’incarnais les deux espèces, formant à moi seule un être hybride. Le tout premier ! J’aurais dû m’en douter. On me le répétait sans cesse : « aucun Orfiannais ne peut vivre sur Terre ».

 Je représentais donc une passerelle entre les deux mondes. Je pouvais réellement vivre et agir dans les deux. Je comprenais mieux mon importance aux yeux des représentants Orfiannais. Moi seule pouvais accomplir l’inconcevable sur Terre, et devenir l’intercesseur pour sauver nos planètes.

 Avorian m’avait menti, effrontément. Baladée avec de belles paroles. Effacé la mémoire des miens.

 Mes parents, même dans leur mort, m’avaient donné le plus beau des exemples. En assumant leurs choix, jusqu’au bout, ils avaient réalisé l’impossible. En affrontant leurs ainés, leurs traditions, ils avaient réussi l’exploit de réunir deux planètes, par cette union interdite.

 Je savais ce qu’il me restait à faire.

 J’enroulai ma ceinture dorée autour de ma taille et y plaçai le livre, contre ma hanche. Je sortis de ma chambre, traversai le long couloir pour atteindre l’escalier de cristal.

 « Nêryah ! », entendis-je. Je me retournai. Orialis trottinait vers moi.

– J’allais justement te voir. Je crois que l’Assemblée s’est enfin terminée hier soir, me dit-elle. Mais… tu en fais d’une tête ! Que se passe-t-il ?

– Excuse-moi, Orialis, mais là, j’ai quelque chose d’urgent à faire, je t’expliquerai plus tard…

– As-tu besoin de mon aide ? Je sens que c’est quelque chose de sérieux…

 Elle percevait mon amertume.

– Oui, justement, c’est grave. Merci. Je vais me débrouiller. Désolée, je dois vraiment parler à Avorian, je te rejoins ensuite avec Kaya, d’accord ?

– Je… je vais prendre mon petit-déjeuner avec Nayan. Prends le temps qu’il te faut. Je suis avec toi…

 Elle me regarda d’un air attristé, sembla hésiter, puis me serra dans ses bras.

 Je la laissai faire et me dégageai d’elle d’un mouvement brusque, malgré moi. Je m’élançai d’un pas raide dans l’escalier. Je sentis ses yeux posés sur moi jusqu’au bout des marches. Je faillis rater la dernière, le cœur en rage, les poings serrés.

 Dans la salle au bassin, quelques Ewaliens plongeaient dans l’eau. J’humai les parfums que dégageaient les végétaux, disposés autour de la piscine, histoire de me calmer. Un peu plus loin, je repérai Neymraad, adossé à un arbuste. La tête basse, il semblait perdu dans ses pensées.

 Le pauvre, ce n’est vraiment pas facile pour lui d’endurer tout ça !

 Mais ce n’était pas ma priorité.

 Asuna venait d’ailleurs le rejoindre. L’adorable petite Moroshiwa lui souriait. Décidément, elle ressemblait à un ange. À croire qu’elle était la réincarnation d’Hélia !

 En me dirigeant vers le hall d’entrée, je croisai Swèèn et Arianna.

 Parfait.

– Où est Avorian ? m’enquis-je.

– Dans le jardin, me répondit Swèèn. Tu as mangé ce matin ?

– Pas encore. Qu’est-ce qui s’est décidé pendant la réunion ?

– Le Sage et les représentants se sont mis d’accord pour tenter une nouvelle union des Pierres lors de la Grande Conjonction, m’annonça le Limosien. Nous nous préparerons d’ici là.

– Il nous manque un Gardien, soulignai-je.

– Même sans sa présence, avec l’énergie générée par l’alignement des planètes, la fusion opérera, m’informa Arianna. Les planètes seront si proches que la magie agira dans les deux mondes. Cette purification aidera également les Terriens. S’ils trouvent enfin la paix dans leurs cœurs, leurs pensées n’affecteront plus notre monde. C’est du moins ce que nous espérons. Entre temps, nous apporterons notre aide aux peuples assiégés.

 Mon regard allait de l’un à l’autre, le visage crispé. Arianna sourcilla, désarçonnée par mon attitude. Je leur devais une explication.

– Swèèn, Arianna… je viens d’apprendre une multitude de choses sur mon identité. Je dois parler à Avorian. Je ne comprends pas son silence.

 Mes deux amis s’échangèrent un regard, l’air contrit. La Fée avisa le livre que je portais à ma ceinture. Je lus dans ses yeux qu’elle avait compris.

– Nêryah. Avorian t’aime profondément, me confia-t-elle. Ne sois pas trop dure avec lui. Il a vu son peuple disparaître sous ses yeux, sa famille. Il a tout fait pour les sauver. J’ai combattu à ses côtés. Je comprends tellement son désarroi, son sentiment d’impuissance face à un tel désastre… On n’en guérit jamais vraiment.

– Je… je ne sais pas quoi dire.

– Courage, Nêryah ! Fais ce qui te semble juste ; aie confiance en toi ! Tu as tout mon soutien, ainsi que celui d’Arianna, m’encouragea Swèèn.

– Nêryah, le Royaume de Cristal est un lieu de paix. Ne l’oublie pas, m’avertit la Reine des Fées. Prends le temps de ressentir son énergie.

 Je leur fis un signe de tête pour les remercier, puis fonçai droit au jardin, la gorge nouée.