Chapitre 35 : La grande bataille

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« Nous avons peur de mourir. C’est pour cela que j’ai dû enchanter ce livre. Puisse mon enfant comprendre mes erreurs, et me pardonner un jour !

Depuis quelques phases, Orfianne est en grand danger. Notre Royaume subit des assauts démesurés. Les monstres sont sortis de leur tanières. Tous. Désormais, ils attaquent en dehors des forêts et viennent jusqu’à nos cités. Tous les peuples sont concernés.

Jian est désespéré. Comment sauver Orfianne ?

Mon ventre s’arrondit…

Mon peuple endure le plus de représailles.

Nous sommes des Guéliades, et nous sommes craints.

Pourtant, comme le répètent Arianna, mais aussi mon père et ma grand-mère, précédente Gardienne de la Pierre de Vie, nos pouvoirs ne servent qu’à embellir le monde. Façonner notre splendide royaume, lui donner vie. Soigner les animaux blessés. Protéger Orfianne. Créer de magnifiques jardins.

Nous sommes un peuple pacifiste. Jadis, nous avons érigé le Royaume de Cristal dans les cieux, grâce à la découverte des propriétés extraordinaires de ce minéral si particulier, qui n’est pas soumis aux lois de la pesanteur.

Nous savons bâtir ; pas détruire.

Nous ne savions pas nous défendre…

Nous avons appris.

Mon père passe son temps à enseigner l’art du combat aux Guéliades, faisant d’eux des guerriers aux pouvoirs redoutables.

« Nous n’avons pas le choix », se justifie-t-il.

La menace touche toute la planète.

De nouveaux monstres prennent vie. On les appelle les Modracks ; ils sont terrifiants. Ils flottent dans les airs, comme des fantômes. Je les trouve tellement lugubres, avec leurs longues capes sombres qui dissimulent à moitié leur horrible visage à la peau violette, et surtout, leurs trous béants à la place des yeux.

Face à la puissance des Modracks, nous sommes contraints de devenir des soldats.

Nous tentons de nous remettre des combats précédents. Mais cette trêve n’est que de courte durée. Nous en avons conscience. Notre trop grande bonté nous a mis en danger.

Les Sages demandent à tous les gardiens de se réunir pour faire fusionner les Pierres de Vies. Nous pensons que c’est la seule solution.

Je m’y emploie avec les Gardiens, de toutes mes forces, de tout mon cœur... Mais nous échouons. Nous persistons pendant plusieurs jours... Rien ! Les porteurs des Pierres de Vie sont à bout de force. Nous devons essayer autre chose, garder notre précieuse magie pour défendre nos peuples.

Je vais bientôt accoucher. Mes parents nous emmènent, Jian et moi, chez la reine des Fées, pour assurer notre protection. Le Royaume des Guéliades n’est plus un lieu sûr.

Je suis Gardienne de la Pierre. Je dois rester pour les sauver !

Mon ventre me fait tellement mal. Cet enfant hybride va naître dans un monde dévasté par les peurs des Terriens, dans un contexte de guerre. Je voulais tout sauf ça pour lui.

Et le pire restait à venir…

Cela fait quelques jours que nous sommes cachés au village des Fées. La plupart d’entre elles sont déjà sur le front, avec Arianna, prêtes à attaquer.

J’ai un terrible pressentiment. J’entends la voix d’Arianna dans ma tête le confirmer. Notre royaume est en perdition. Je décide de retourner chez moi par Transgèneur. Avec la Pierre, j’en ai les capacités, même dans mon état. Jian insiste pour m’accompagner.

Ça y est, nous y sommes.

Tout est détruit. Je suis arrivée trop tard. Par ma faute, les terres de mes ancêtres ont été anéanties. Tout est gris, vide. Pas un arbre. Une partie de mon peuple a été décimée par les Modracks. Leur pouvoir semble illimité. Ma famille est en vie. Mais Hélia, la Grande Sage, épouse d’Orion, est morte en protégeant mon peuple.

Mon père me regarde d’un air grave. Il voit Jian, désemparé.

Face à l’horreur, certains peuples venus nous aider décident de fuir nos terres, voyant que notre cause est perdue, pour défendre leur propre Royaume. Nous ne pouvons que les comprendre. Eux aussi sont attaqués. Nous sommes tous… en voie de disparition. Parce que j’ai refusé d’annihiler les Terriens. Parce que je suis tombée amoureuse de l’un d’entre eux.

J’ai été si présomptueuse de croire que j’allais pouvoir faire quelque chose… À cause de mon orgueil, mon peuple n’a pas survécu !

Les Ênkelis ne sont pas venus. Les Noyrociens tiennent comme ils peuvent. Les Moroshiwas tendent des pièges aux Modracks grâce à leurs illusions magiques. Les Ewaliens sont dépassés. Les Komacs sont restés ; fidèles, courageux.

Nous nous préparons à notre fin.

La dernière bataille des Guéliades. »

 Je ne pouvais plus continuer la lecture. Je fondis en larmes. Quelle tragédie ! Je compris enfin pleinement le silence d’Avorian. Cette douleur, lancinante, qui l’empêchait de parler. Comment avais-je pu être si égoïste ? Toutes ces colères, ces larmes d’ignorance que j’avais versées. Je n’avais jamais saisi à quel point cette guerre avait été horrible. Je comprenais la colère des Orfiannais vis-à-vis des humains. Je la ressentais en moi !

 J’allai dans la salle de bain pour m’asperger le visage d’eau fraîche, puis retournai sur mon lit, les yeux et le nez humides :


« Arianna a tenté de cacher Jian dans la forêt, avec l’aide des Moroshiwas.

 Dans quelques jours, je vais donner la vie…

 Au prix de tant de morts.

 Nous sommes des Guéliades. Nous utilisons nos pouvoirs de manière pacifique.

 Nous avons dû nous entraîner à combattre, à user de la magie d’Orfianne pour détruire, réduisant ainsi à néant nos valeurs les plus chères.

 Arianna et Swèèn sont à mes côtés, sur le champ de bataille. Les Modracks arrivent. Je les vois planer, au loin. Leur sombre cape flotte comme un drapeau mortifère, annonçant l’imminent massacre. Rayons de lumière et nuées noires s’entremêlèrent. Je me concentre, me protège d’un puissant bouclier. Je le fais pour mon enfant. Je m’ouvre à ma Pierre de Vie. Devant moi, autour de moi, mes semblables tombent. Ma famille tombe. Ma mère… succombe. Arianna, les Fées et les Limosiens ne parviennent pas à repousser nos ennemis. Et la plupart ont rejoint le Royaume de Cristal pour le protéger.

Les Fées disparaissent, une à une. Je ne peux rien faire. Je dois rester « en paix » pour que la Pierre déploie son pouvoir. Je n’ai pas le choix.

Cela ne peut pas fonctionner. Je suis ravagée par la tristesse, les larmes. Je vois les derniers Guéliades, mon père et… Jian ! Que fait-il ici ?

Un Modrack me prend en chasse, vomissant ses nuées noires. Mon bouclier ne tient pas. Mon enfant va mourir si je ne fais rien… et…

« Je n’ai peut-être pas de pouvoir… mais je peux faire ÇA ! »

Jian s’est jeté contre mon ventre. Le rayon mortel du Modrack vient de l’atteindre, et le perfore de part en part.

Le sang jaillit sur... »

 Je me sentais incapable de poursuivre. Je vis la scène comme si elle se déroulait, au ralenti, devant moi. Le rayon du Modrack arrivant lentement jusqu’à Eynarah. Jian en train de bondir pour servir de rempart, sauver sa bien-aimée, son enfant. Puis s’écrouler sur cette terre étrangère, inerte.

« Je suis en état de choc. Mon regard se fige. Je ne peux rien contrôler. Jian est mort en se sacrifiant pour nous. Je hurle au désespoir. Et de cette colère ultime naît mon plus grand pouvoir. Je flotte au-dessus de la bataille. Les Modracks n’ont pas laissé de survivants. Mon père est couché, une mare de sang autour de son corps inanimé. Est-il mort, lui aussi ? Je vois ma mère, si pâle. La vie l’a quittée, elle aussi. Les Komacs, les Noyrociens… tous nos alliés sont morts. Je devrais peut-être m’éteindre, moi aussi ?

Arianna le sent. Elle me crie au loin : « Eynarah, tu portes en toi la vie ! »

La vie ? Je ne vois que la mort autour de moi !

Les Fées du Passage arrivent déjà, indifférentes face à nos tourments. Elles emmènent les corps des défunts, mais n’agissent pas.

Arianna a raison. Leur sacrifice ne sera pas vain. Je sauverai les autres peuples.

Je rassemble toute mon énergie pour capter celle d’Orfianne. La Reine des Fées, Swèèn et moi sommes les seuls survivants. Heureusement, ma chère Aelys est partie aider son peuple, les Moroshiwas. Elle doit être en vie.

Mes deux alliés comprennent mon intention et me suivent. Ensemble, nos pouvoirs s’unissent. Contre toute attente, la Pierre de Vie décide enfin de nous aider. Au moment où il ne reste plus rien !

Les quatre rayons fusionnent pour ne plus former qu’un seul. Le tourbillon de lumière s’abat sur les Modracks. Aucun d’entre eux n’est épargné. Tous succombent sous l’effet de cet éclat magique, cette volonté de vivre, coûte que coûte.

Tous. Sauf un, qui décide de disparaître. Le roi des Modracks. Nous l’avons simplement blessé.

Je suis dans les airs, et d’en haut, je vois mon père remuer un bras.

Il est en vie !

Swèèn me prend sur son dos pour me redescendre auprès de lui. Nous commençons à lui prodiguer des soins, avec Arianna. Je ressens une présence derrière moi. Sombre, néfaste. Quelques secondes plus tard, mon propre corps se met à saigner. Je ne comprends pas. Arianna hurle. Je me retourne. Le roi des Modracks… Je suis gravement blessée, et il s’en prend à la Reine des Fées. Swèèn est déjà à terre, couvert de plaies. Le roi nous a attaqués, alors que nous étions en train de soigner l’un des nôtres !

Je perds trop de sang. Beaucoup trop.

Mon bébé ! Arianna ! Père ! Mère ! Swèèn ! Jian ! Je…

Je sombre. »

 Des torrents de larmes mouillaient les pages du livre. J’arrêtai la lecture, inconsolable. Je partis à nouveau dans la salle de bain et plongeai la tête dans l’eau froide. Je voulais expulser toute cette tristesse, cette rancœur, ce désespoir qui me rongeaient de l’intérieur.

 « Je ne peux pas la laisser comme ça ! » gémis-je. Il fallait que je lise. Même si c’était insoutenable.

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