Chapitre 34 : L’église de Sèvenoir

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 Je posai le livre, tremblante. Évidemment… Avorian leur avait effacé la mémoire à cette époque-là. Sijia ne devait pas se souvenir d’Eynarah, car si c’était bien ma mère biologique, il fallait qu’elle oublie cette histoire, et m’élève comme sa propre fille.

 Mon cœur cognait fort dans ma poitrine. Je portai mon regard à l’ouverture ronde de ma chambre et respirai profondément pour tenter de me calmer. Il faisait nuit noire. La boule de lumière installée au plafond éclairait parfaitement ma chambre.

 Je poursuivis ma lecture, à la fois choquée et avide de connaître la suite du récit d’Eynarah :


« Depuis cette incroyable rencontre, je suis restée plusieurs phases sur la Terre, en compagnie de Sijia, de son compagnon Olivier, et de son frère Jian. J’ai passé mon temps à voyager avec ce dernier, qui n’a pas d’épouse. Et cela m’arrange bien. Je suis profondément amoureuse de lui. C’est un être incroyable. J’ai l’impression qu’il vient d’Orfianne, et se sent aussi étranger que moi sur cette planète. Nous nous comprenons, au-delà des mots. Nous nous aimons d’un amour puissant, qui dépasse tout ce que j’avais pu imaginer.

Mais je n’oublie pas l’origine de ma venue ici : protéger mon peuple, sauver ma planète. J’entreprends la « mission » que m’a donné notre arbre vénéré. Avec Jian, nous parcourons le monde pour tenter de trouver une réponse. Je découvre d’étranges modes de transports : les « trains », les « avions », les « voitures ». Et il y a même des bateaux, comme sur Orfianne !

Nos vaisseaux Noyrociens sont bien plus silencieux que leurs « avions », et surtout, ils ne polluent pas. Ils nous transportent en un rien de temps à l’autre bout d’Orfianne. Sur Terre, tout est plus lent, moins magique et sale ! Les machines souillent, encrassent leur planète. À la longue, la nature ne survivra pas, je le sens bien. Les Terriens se mettent eux-mêmes en danger.

Nous cherchons les sages de cette planète pour leur parler, demander leur aide. J’ai conscience que si je passe trop de temps ici ; mon peuple risque de disparaître. Je dois faire vite !

Malgré mes efforts, je sens bien que mon visage « d’ange » attire l’attention. Ce monde est bien loin de l’image candide que je m’en étais faite. Les humains souffrent de guerres, de maladies, parfois du manque d’hygiène et de nourriture, du froid. Orfianne est, au contraire, un monde paisible, harmonieux, où chaque peuple s’entend à merveille, se partage équitablement les terres, sans jamais remettre en question l’ordre établi. Je me rends compte que ce monde que j’idéalisais tant est en perdition.

Comment sauver deux planètes ? Nos mondes sont étroitement liés. À l’image de Jian et sa sœur jumelle Sijia : si l’une des planètes souffre et meurt, son alter égo sombrera avec elle. C’est en venant ici que je l’ai réellement compris. »


 Je relevai la tête. Ma vision se troubla.

Sijia… Olivier… mes chers parents adoptifs, m’avez-vous réellement oubliée, aujourd’hui ? De quoi Jian est-il mort ? Qu’a-t-il bien pu se passer ?

 Mes yeux papillonnaient. Je voulais en lire davantage, mais je tombais de sommeil. Je décidai de me coucher, et de continuer ma lecture demain matin, à tête reposée. Cela me faisait déjà trop d’éléments importants à intégrer. Mais parviendrai-je à m’endormir, avec tous ces questionnements qui tourbillonnaient dans ma tête à une vitesse affolante, et toutes ces émotions contradictoires ?

 Je m’allongeai, en rêvassant à tout ce que je venais d’apprendre.

 Abrutie par la lecture, le sommeil m’emporta.

 L’aube faisait pâlir le ciel. La lumière du jour m’éveilla. Les yeux ensommeillés, je cherchai le livre à tâtons sur la petite table, de peur qu’il ait disparu pendant la nuit. Je le sentis sous mes doigts. Je partis me laver et m’habiller hâtivement, trop pressée de reprendre la lecture là où je l’avais laissée.

 Je retrouvai ma page :


« Les sages des différents pays sont unanimes : les humains doivent transcender leur ombre, ouvrir leur cœur pour émettre des pensées simples, pures, dénuées de colère. Nos deux mondes seront ainsi sauvés. Ces grands maîtres clairvoyants connaissent notre planète, grâce aux visions qu’ils reçoivent dans leurs méditations. Ils savent que nos yeux physiques ne nous donnent accès qu’à une seule dimension du monde. Mais notre cœur peut atteindre toutes les autres. Je sens que mon temps sur Terre s’achèvera bientôt. Le sort de mes amis commence à s’estomper. Je ressens les lourdes fréquences Terrestres, et cela me fait souffrir, chaque jour un peu plus.

J’ai décidé de braver tous les interdits. Je retourne sur Orfianne, avec Jian. Grâce au pouvoir de la Pierre des Guéliades, je vais le prémunir des vibrations de ma planète. Il pourra vivre quelque temps avec moi. Peut-être pour une phase seulement.

Je dois retourner auprès de mon peuple. J’en suis la Gardienne. Je veux présenter Jian aux Orfiannais, afin qu’ils comprennent qu’il existe des humains extraordinaires.

Il ne faut pas exterminer leur race. »


 Je tournai la page, anxieuse.

« Mon sort fonctionne. Nous arrivons sur Orfianne.

Ma famille n’a pas compris mon départ. Je suis partie trop longtemps. Mon père ne veut plus me parler… J’ai ramené un humain.

Un humain que j’aime !

Mais bien que cela soit contraire aux règles, cet amour entre nous est bien réel.

J’accompagne Jian pour rencontrer nos différents peuples. Je leur explique que les humains doivent rester en vie, que nous trouverons une solution. Jian leur parle, formule des excuses extrêmement touchantes, au nom de toute l’humanité.

Malheureusement pour nous, certains Orfiannais ne voient pas la chose du même œil. Ils nous écoutent, tentent de comprendre. Selon eux, je suis Gardienne de la Pierre de Vie, je ne peux pas aller et venir sur Terre ainsi, à mon gré, et encore moins ramener un Terrien. Ils disent que nul ne doit tenter de changer son destin. Ils voient là un mauvais présage, et pensent que les choses vont empirer à cause de ce choix, car je détourne le pouvoir de la Pierre pour un humain. Au lieu de rétablir la paix et l’ordre, cette décision tourmente l’harmonie du Royaume des Guéliades.

Pour moi, ce ne sont là que superstitions.

Une grande polémique commence à s’installer. Ceux qui veulent préserver les Terriens, accepter Jian, contre ceux qui veulent détruire cette race dangereuse et trop puissante. C’est pourtant cette controverse qui crée des conflits, et non Jian !

Lui et moi souhaitons poursuivre nos efforts. Nous voulons symboliser ce lien possible entre la Terre et Orfianne. Je m’en ouvre à notre arbre sacré. Je médite longuement auprès de lui, en compagnie de Jian, cette fois. Notre maître nous ouvre son cœur, sa voix. Il nous dit de persévérer, de faire confiance à nos sentiments, à nos prémonitions. Lui seul possède le discernement nécessaire.

L’arbre sait. Il ne s’égare pas dans ses émotions. Alors je l’écoute. J’ai conscience que ce choix entraîne un renoncement total à mon passé, à tout ce que l’on attendait de moi, en tant que Gardienne.

Je suis reniée de mon peuple.

Mais je l’accepte.

Car j’ai choisi la voie de l’intuition, de la nature, la plus grande des Gardiennes.

Nous décidons de nous marier, pour symboliser cette union. De façon Terrienne. Nous le faisons pour apporter l’espoir, avec ce message : « Les humains ne sont pas tous pervertis, et ils peuvent aussi changer. Nous pouvons vivre en symbiose avec eux. »

Bien entendu, peu d’Orfiannais approuvent cet amour interdit.

Mes amis, Aelys, Swèèn, Naïa et Arianna nous soutiennent. En l’honneur des monuments Terriens, et pour marquer ce symbole fort, nous décidons de bâtir ensemble une église. Nous y célébrerons notre cérémonie là-bas, à notre façon.

Arianna et Swèèn unissent leur magie à la mienne pour construire notre sanctuaire, à l’image des édifices que l’on trouve sur Terre. Un jeu d’enfant ! En l’honneur de mes amis, et de leur aide, je décide de sculpter leur effigie, afin qu’elles reposent dans mon église. La magie des Guéliade sert avant tout à cela : façonner, embellir, construire, guérir.

Jamais occire.

La cérémonie est simple. Juste mes amis, ma famille qui accepte à contre-cœur cette idée. Ils souhaitent néanmoins être présents pour ce grand jour, et je les en remercie. Même si mes parents ont du mal à me comprendre, je reste leur fille bien-aimée ; nous sommes et resterons toujours liés. Nous avons beaucoup dialogué depuis mon retour. Tout comme moi, ils désirent sauver les deux planètes. Cependant, ils n’approuvent pas le fait d’avoir amené Jian ici. Parce que c’est dangereux pour lui, et pour la paix entre les peuples d’Orfianne. Finalement, ils ont raison quelque part : je sépare et divise les autres avec ce choix. J’en ai conscience, et cela me brise le cœur. Moi qui voulais rassembler nos deux planètes !

Tous les Orfiannais sont désormais au courant de cette union. Le message est passé. Le symbole perdurera. Peu importe ce qui se passera.

Notre mariage a été un pur moment de grâce, une percée de soleil à travers les nuages. Nous poursuivons notre projet d’unir les deux planètes, voyageant, prêchant pour la voie du cœur, et non celle de la destruction. La magie fonctionne sur Jian. Il parvient à vivre sur Orfianne durant quelques phases avec moi. C’est extraordinaire ! Bien au-delà de ce que nous avions espéré.

Et nous avons réalisé l’impossible, l’impensable, l’interdit, le blasphème, le parjure, la malédiction suprême.

Je suis enceinte d’un Terrien !

Je porte l’enfant de mon bien-aimé Jian. Sans le savoir, je réalise une vieille prophétie, oubliée sur Orfianne. Celle dont l’arbre avait parlé.

Celle qui sauvera les deux mondes. »


 J’en avais la tête qui tourne. Cela expliquait tout. Absolument tout ! Pourquoi je ressemblais à Sijia physiquement, pourquoi je supportais si bien les vibrations de la Terre. Pourquoi le Grand Sage tenait tant à me rencontrer. J’étais… l’enfant impossible. J’avais les pouvoirs d’une Orfiannaise, mais ne cicatrisais pas instantanément à cause de mon ascendance Terrienne. Je pouvais vivre sur les deux planètes. Avorian m’avait retrouvée sur le champ de bataille, encore bien au chaud dans le ventre de ma mère. Ce qui supposait qu’Eynarah était bien restée sur Orfianne, et morte pendant cette guerre. Mais quelque chose dans cette histoire m’échappait. Bouleversée, les yeux embués de larmes, je poursuivis ma lecture.

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