Chapitre 33 : Un voyage impossible

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 Je promenai mon regard dans la salle. J’eus une telle envie de me baigner que je regrettai de m’être habillée.

 Asuna et Neymraad étaient adossés à un arbuste. La petite Moroshiwa tenait la main du Gardien dans les siennes. Elle semblait prendre soin de lui. Je les trouvais vraiment touchants, puis me demandai si, malgré leur différence d’âge, Asuna n’était pas un peu amoureuse de Neymraad. La même réflexion que pour Orialis et Nayan refit surface : que donnerait un métissage entre une Moroshiwa et un Ênkelis ? Sérieusement, me rabrouai-je, il faut vraiment que j’arrête de vouloir mettre en couple tous les gens que je croise !

 Tous les Orfiannais participaient à la grande assemblée dans la salle de cérémonie. Nous attendions avec impatience la décision du Sage.

– Nêryah !

 Mon tourbillon de pensées s’interrompit avec l’arrivée d’Ishaam, toujours aussi rayonnant malgré la gravité de la situation.

– Viens manger, ça va te changer les idées ! m’invita le gourmand de service.

 Orialis, Kaya et Nayan piochaient déjà dans les nombreux plats dressés sur une longue table blanche, installée sur un côté de la salle.

 Avorian, Swèèn et Arianna participaient à la réunion. J’avais tant de questions à leur poser à propos d’Eynarah ! Je ne comprenais pas pourquoi ils m’avaient caché l’histoire de cette incroyable Gardienne. Je me sentais soudainement mise à l’écart, avec cette douloureuse impression d’avoir été dupée. J’en éprouvais du ressentiment ; mais je préférais poursuivre ma lecture avant d’engager les hostilités.

 Kaya me fit signe d’approcher par un geste de la main.

– Goûte-moi ça, c’est délicieux ! s’exalta-t-elle en me tendant une sorte de petite brioche.

 Je mordis dedans, fermant les yeux de bonheur en ressentant de la confiture couler dans mon palais. Je laissai échapper un « mmmh ! ». J’entrai dans le paradis gustatif. Cette petite douceur me réconciliait avec la vie.

– J’en veux une deuxième !

 Ishaam lâcha un rire moqueur.

– Ces neybos sont juteux ! Prenez-en, nous recommanda Nayan.

 Sur ces mots, il s’approcha d’Orialis pour lui en tendre un. Elle se mit à rougir, puis attrapa délicatement le fruit. Leurs regards timides, leurs gestes maladroits m’amusaient. J’en revins – encore – à ma réflexion sur cet apparent cloisonnement des peuples d’Orfianne. Pouvaient-ils se mélanger entre eux ? Que donnerait un accouplement entre deux espèces ? Était-ce physiologiquement possible ? Malgré ma curiosité, je m’abstins d’évoquer ce sujet délicat.

 Après avoir dégusté fruits, légumes et pâtisseries, je retournai dans ma chambre, prétextant le besoin de me coucher. En traversant la salle, je vis qu’Asuna allait et venait au buffet pour apporter de la nourriture à Neymraad. Il avait probablement besoin d’être seul, et qu’on ne lui pose aucune question.

 Je remontai l’escalier en compagnie de Kaya. Elle balayait les portes du couloir d’un regard somnolent, l’air épuisé. Je l’accompagnai jusqu’au pas de sa porte et lui souhaitai un bon repos.


 Enfin seule dans mon lit, je saisis le livre sous mon oreiller, m’installai confortablement pour reprendre ma lecture. J’observai un instant le ciel par la fenêtre ronde de ma chambre. Le soleil déclinait, mais je voyais encore assez pour pouvoir lire.


« Ça y est, je suis sur Terre. Nous avons réussi. Je me trouve… dans une forêt. Nous avions besoin de l’énergie d’un vieil arbre pour parvenir jusqu’à cette autre dimension. Vite… je couvre soigneusement mes cheveux de mon foulard. Je dois absolument préserver mon identité. Je regarde autour de moi…

Personne. Je suis seule. Terriblement seule. Avec ma Pierre argentée.

Par Héliaka, qu’ai-je fait ? Qu’est-ce qui m’a pris d’abandonner mon peuple ? Arianna, Swèèn, Naïa et Aelys me font confiance, mais je n’ai absolument aucune idée de ce que je vais faire ici ! Je suis effrayée, désemparée ! Pourtant, l’arbre m’a dit de venir, et de réaliser l’impossible.

Où suis-je ?

J’entends des voix… dois-je me cacher ?

Non.

Je suis censée les rencontrer. Leur parler.

Le sort d’Arianna et de Swèèn est puissant. Il décode chacune des langues Terriennes pour me les traduire instantanément. Et je peux leur répondre dans leur langue, automatiquement. Les voix se rapprochent.

« Jian ! Jian ! Tu marches trop vite ! »

 Je reposai le livre, stupéfiée.

 J’en avais le souffle coupé. Jian était le nom du frère jumeau décédé de ma mère adoptive Terrienne, Sijia. Une simple coïncidence ? Avec ce prénom Chinois ? Impossible.

 Et surtout, si c’était bien le même Jian… il était vivant !

 Je repris la lecture, le cœur battant.

« J’aperçois le « Jian » en question, et je suis hypnotisée par sa beauté. Il a les yeux étrangement bridés, c’est si beau. Je n’avais jamais rien vu de pareil. Des cheveux lisses, noirs, un visage fin, la peau couleur miel, l’allure digne. Je me sens transpercée de toute part. J’ai chaud. Je ne m’attendais pas à éprouver de telles choses ! Je n’y comprends rien. Une seule certitude émerge en moi : je veux aller lui parler. Apprendre à le connaître. Rester avec lui. Ce que je ressens est… plus puissant que le pouvoir de la Pierre. Cela me submerge, me foudroie !

Par Héliaka… Il m’a vue ! Il s’approche ! Oh… derrière lui, je vois une Terrienne ! Elle est si belle… ses longs cheveux ondulés descendent en cascade sur son dos. Elle lui ressemble comme deux gouttes d’eau. Elle est jeune, elle aussi. Cette Terrienne doit être sa sœur.

Par Héliaka ! Ils viennent vers moi !

– Bonjour ! me disent-ils en chœur, avec un grand sourire.

Le sort continue de fonctionner. Je les comprends, et ne ressens aucune douleur due aux vibrations de la Terre. Tout va bien. Ils ont l’air si gentils, si accueillants ! Je dois leur répondre, dans leur langue. Les mots se forment d’eux-mêmes dans ma tête. Quelle magie incroyable !

– Bonjour, je ne suis pas d’ici, je me suis perdue, pourriez-vous m’aider ?

Je suis surprise par mes propres intonations. Quel drôle de langage ! C’est vraiment disgracieux.

Les deux Terriens se regardèrent, comme s’ils échangeaient des pensées. La jeune femme me répond :

– Bien-sûr, que vous arrive-t-il ? D’où venez-vous ? Comment pouvons-nous vous aider ?

– Je… C’est une longue histoire. Je m’appelle Eynarah. Je viens d’un autre monde. Notre planète est en danger. Nous avons besoin d’aide.

Les deux Terriens me dévisagent. La fille dit à l’autre que je dois être « folle », ou atteinte d’une maladie incurable. Ce terme, « folle », n’existe pas sur Orfianne. Je ne parviens pas à le traduire dans notre langue. Cette notion m’est totalement inconnue, mais je comprends la portée de leurs mots, grâce aux leçons de mon amie Aelys, alors je leur montre... Je dévoile la Pierre, sa lumière. Elle brille ! Alors que nous sommes sur Terre ! Quelle chance ! Cela m’arrange, car mes propres pouvoirs ne se déclenchent pas ici. Notre magie naît de la force d’Orfianne. La Terre ne prête manifestement pas sa force.

En utilisant la Pierre devant eux, les deux humains me regardent différemment. Ils sentent que je dis peut-être la vérité. Je leur montre une autre réalité. Cela les déconcerte, mais ils m’écoutent. J’enlève mon foulard, dévoile ma chevelure naturellement bleue. Ils semblent époustouflés par ma beauté, alors que pour moi, ce sont eux qui sont magnifiques. La jeune femme s’appelle Sijia. Elle et Jian sont jumeaux, d’où cette ressemblance frappante. Nous avons très peu de jumeaux sur Orfianne. Et encore moins parmi les Guéliades. Les Noyrociens en ont, les Komacs aussi, parfois. Mais cela reste rare. »


– Maman ! Papa ! Jian ! criai-je dans ma chambre, posant brusquement le livre sur mon drap.

 Avorian m’avait dissimulé la vérité. Une fois de plus. Il s’agissait bien de Sijia, ma mère adoptive Terrienne. Et de son frère jumeau que je n’ai jamais connu, décédé avant ma naissance. On ne m’avait donc pas déposée dans cette famille par hasard, mais parce qu’Eynarah, qui était peut-être bien ma mère biologique, les avait rencontrés… sur Terre !

 Pourquoi mes parents Terriens ne m’avaient-ils rien dit ? La réponse se formula toute seule dans ma tête.

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