Chapitre 31 : Eynarah

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 Sèvenoir parvenait donc à se téléporter hors du Royaume. Son pouvoir dépassait ce que j’avais pu imaginer. Il pouvait ressentir ma présence et me retrouvait toujours… cela me paraissait fou !

 Ce livre, si précieux aux yeux de Sèvenoir, allait certainement m’apporter des réponses, et me permettre de découvrir qui était cette fameuse Eynarah. Ce nom m’évoquait quelque chose… Je n’arrivais pas à savoir quoi.

 Je l’ouvris précautionneusement, en observai l’écriture fine, fluide, parfaitement régulière et équilibrée, en caractères violets.

 Je pouvais comprendre chacun des signes et les traduire instantanément en phrases. C’était bel et bien le langage Orfiannais. On me l’avait enseigné dans mon enfance, lors de mes nombreux voyages-éclairs sur Orfianne.

 Je caressai la page joliment griffonnée et entamai ma lecture, avide de savoir ce que cet ouvrage recelait :


« Je m’appelle Eynarah, j’ai 32 cycles[1]. Je suis une Guéliade.

J’ai créé ce livre par un procédé magique pour que la prochaine Gardienne de la Pierre comprenne mes choix.

Et ne reproduise pas mes erreurs.

Les lettres se forment au gré de mes pensées. Cela continuera ainsi jusqu’à ce que je ne puisse plus en formuler.

J’aime la Terre. Mon père est un passionné de cette étrange planète et de tout ce qui touche aux Terriens.

Depuis toute petite, il me parle des humains, de leurs légendes, de leurs constructions étonnantes. C’est fascinant. Il m’a décrit leurs monuments sacrés, leur étrange façon de vivre, leur évolution à travers les « siècles », comme ils disent là-bas. Je suis devenue une véritable spécialiste de la Terre, tout comme lui.

Mon plus grand rêve est d’y aller un jour, pour découvrir ce monde incroyable.


Malheureusement, ce sont ces mêmes humains qui créent le chaos sur Orfianne. Nous traversons un désordre sans précèdent, depuis quelques cycles. Les Terriens ont un immense pouvoir. Celui de créer, matérialiser quelque chose par le biais de leurs pensées, leurs paroles, leurs gestes, et même leurs émotions. Mais ils ne le savent pas... Leurs plus belles aspirations prennent forme en ce qu’ils appellent « la chance », « la réussite ». Ils ne comprennent pas que la chance en tant que telle n’existe pas. Le concept de « réussite » ne veut rien dire non plus. Ce sont bien eux qui créent, apportent tout cela dans leur vie, par leurs pensées, leurs intentions. Tous leurs malheurs, les « lois des séries » comme ils disent, viennent d’eux également. De leurs doutes. Leurs peurs. Leur ignorance.

Orfianne et la Terre sont jumelles. Le pouvoir des humains est si puissant qu’il se matérialise aussi dans notre monde. Leurs mauvaises pensées, leurs émotions chaotiques prennent le dessus. Des êtres informes surgissant de nulle-part arrivent sur notre belle planète. Ils détruisent la nature. Et si nous les approchons, ils s’en prennent à nous. Pour le moment, ils se terrent dans les sombres forêts, dans le creux des rochers. Nos peuples sont en sécurité.

Pour combien de temps ?

Nous ne savons pas comment réagir. Certains peuples d’ici, comme les Métharciens, pensent qu’il faut exterminer les Terriens. Selon eux, leur race est en perdition. Nous ne pouvons rien faire pour eux, ni pour sauver notre propre monde. La seule solution serait donc l’annihilation des humains. Cette horrible décision scinde nos différentes communautés, en créant une grande polémique sur Orfianne. Le Sage et la Sagesse du Royaume de Cristal veulent tenter quelque chose, tout en préservant la paix sur nos deux mondes. Nous ne savons pas si cela sera réalisable.

Je reste persuadée, tout comme eux, que nous devons protéger les deux planètes, ainsi que leurs habitants. Nos mondes sont jumeaux. Si nous détruisons la race humaine, cela aura de terribles répercussions ici, puisque tout est lié. Je pense savoir pourquoi les Métharciens ne comprennent point cela. Ils ne sont pas originaires d’Orfianne. Ils sont venus il y a des cycles, à bord de grands vaisseaux. Leur planète était en train de mourir. Ils coexistent avec nous depuis si longtemps qu’ils se sont parfaitement intégrés à notre monde. Mais ils se mélangent peu aux autres peuples et vivent dans les contrées reculées de notre planète. On ne les rencontre presque jamais.


Que faire contre des monstres ?

Ma grand-mère m’a transmis tout son savoir. La Pierre m’a choisie comme successeur, et ce, dès ma naissance. Je m’entraîne depuis que je suis enfant. Je sais comment l’ouvrir, je sais l’utiliser.

La Pierre de Vie et son Gardien ne forment qu’un. Ou plutôt, doivent à tout prix ne former qu’un !

Ouvrir une Pierre de Vie, c’est avant tout ouvrir son cœur. Ne plus émettre de pensées. Juste… entrer dans un état méditatif, sentir une connexion profonde avec elle.

Mais lorsque le danger se présente, faire le vide en soi devient un art, une maîtrise extrêmement difficile à mettre en place.

Ma Grand-mère me le répète sans cesse : La fonction première d’une Pierre de Vie est de donner la Vie, d’où son nom.

Faire renaître…

Pas détruire.


Orion, le Sage d’Orfianne, est de cet avis. Il veut tenter une union des Pierres pour rétablir l’équilibre, et non détruire.

C’est la première fois qu’un Komac gouverne Orfianne. Cela fait maintenant une dizaine de cycles qu’il règne avec son âme-sœur Hélia, une douce Ênkelis que j’apprécie beaucoup.

Mais les représentants des dynasties sont dépassés. Certains demandent à leur Gardien de se tenir prêt, de tuer ces monstres, à l’aide des Pierres de Vie. Pour ces chefs de clans, les êtres sombres sont l’antonyme de la création. Tout comme les Métharciens, ils sont donc persuadés que les Pierres les détruiront, puisque les monstres menacent la Vie elle-même.

Ils se trompent…

Ma grand-mère a raison.

Ces monstres sont une forme de vie, quoiqu’on en dise. Une création bien vivante des êtres humains de la Terre.

Aucune Pierre ne pourra nous sauver.

Je crois qu’il faut plutôt aller sur Terre, et parler aux humains.


Notre royaume est magnifique. Sa nature, foisonnante. Contrairement aux Noyrociens, nous vivons dans une région vallonnée, avec de belles forêts peuplées de Fées. Notre palais est blanc comme la neige, il symbolise la pureté. Il existe sur nos terres un endroit sacré. Un arbre magique, à qui l’on peut se confier. Cet être vénérable nous donne des visions lorsque nous ne parvenons plus à ouvrir nos cœurs. Je suis certaine que cela pourra m’aider. Pendant une journée et une nuit entière, par une nuit où Héliaka se montre ronde et rousse, j’ai médité au creux des racines de notre arbre Maître. C’est quelque chose que nous faisons souvent dans notre culture. Nous nous recueillons auprès de lui lorsque nous nous sentons perdus, ou lorsque nous devons prendre une grande décision.

Je me suis abandonnée à lui, je l’ai écouté. Je me suis ouverte, en faisant taire mes pensées.

La vision que m’a offert ce vénérable était claire. Limpide. J’ai vu la planète Terre, les humains. Je m’y suis vue, leur parler, voyager dans de nombreux « pays[2] », comme ils disent, là-bas. J’ai entendu sa voix végétale me dire : « Tu dois aller sur Terre. Tu réaliseras la plus ancienne des prophéties. Toi, Eynarah… tu réaliseras l’impossible ! »

Je ne pouvais que suivre l’injonction de notre arbre sacré. En tant que Gardienne et protectrice de mon peuple, j’ai décidé d’aller sur Terre. Je n’en ai parlé à personne. Il nous est impossible d’y survivre. Mais je sais comment faire. Je vais utiliser le pouvoir de la Pierre pour passer d’un monde à l’autre, et pour modifier mes énergies, afin qu’elles s’adaptent. Je vais rencontrer les humains… leur parler.


Je réaliserai l’impossible. Et je sais qui pourra m’aider. Swèèn, mon fidèle Limosien, et ma grande amie Arianna : la reine des Fées. »


 Je marquai une pause dans ma lecture. Je n’arrivais pas à croire ce que j’étais en train de lire. Je n’étais donc pas la seule Orfiannaise à être allée sur Terre ! Cette femme du passé relatait exactement ce que nous vivions encore aujourd’hui, dans les deux mondes.

 Swèèn et Arianna connaissaient Eynarah ! Ils ne m’avaient pourtant jamais parlé d’elle.

 C’était donc elle, la fameuse statue que j’avais découverte dans l’église où Sèvenoir m’avait emmenée, lors de mon arrivée sur Orfianne. Pourquoi avait-elle laissé un livre là-bas ?

[1] Rapporté à une échelle Terrienne, cela ferait 19 ans. Les Guéliades vivent plus longtemps que les humains.

[2] Rappel du tome 1 : Orfianne n’est pas divisée en pays. Cette notion n’existe même pas dans leur langue. Elle forme un seul continent unifié, où les peuples se côtoient, avec de nombreuses îles. La Planète Orfianne est majoritairement constituée d’eau.

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