Chapitre 30 : Dans la chambre de Nêryah

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 Pas celle de la chambre, mais à la porte de ma salle-de-bain !

 Je cachai ma poitrine, un peu paniquée.

– C’est toi, Orialis ?

 Pas de réponse.

– Kaya ? Asuna ?

 Silence. Rien.

Bizarre.

 Je m’arrachai du bain, à contre-cœur, et m’enroulai d’une grande serviette beige. Mon rythme cardiaque s’accéléra. Je coulissai lentement la porte d’un geste tremblant.

 Mon cœur fit un bond. Même deux ! Je retins ma respiration, presque choquée. La main posée sur le battant, je regardai l’intrus avec de grands yeux ronds, incrédule. Mon corps tout entier frissonna de stupeur.

 Que faisait-il ici ? Comment était-ce possible ? Et pourquoi au moment où je prenais un bain ?

 Ce masque… si reconnaissable, un corps élancé, caché par de sombres capes.

 Sèvenoir se tenait face à moi, silencieux, immobile, comme en attente d’une quelconque réaction de ma part.

 Je reportai mon regard sur son masque, complètement blanc, hormis quelques traits noirs qui partaient de l’emplacement des yeux, descendaient en s’arrondissant au niveau des joues. Comme à son habitude, une large houppelande recouvrait sa tête, tandis que des gants sombres dissimulaient ses mains. On ne pouvait rien deviner de lui.

– Nêryah… Je suis tellement heureux de te retrouver, enfin !

 Je demeurais figée, décontenancée par sa présence. Après un instant de silence, il ajouta :

– Te voir ainsi en pleine santé me comble de joie.

 Je le considérai de la tête aux pieds, le souffle court.

– Comment êtes-vous entré ici ? Le Royaume est infranchissable !

– Le Royaume de Cristal agit de lui-même, et ne se ferme pas aux personnes bien intentionnées…

– Il laisse entrer les cœurs purs, me remémorai-je à haute voix.

– Il faut croire que le mien n’est pas si sombre que cela.

 Des larmes se mirent à couler sans raison. Je me sentais à la fois soulagée de le voir et profondément triste. Mélancolique. Nous restâmes ainsi au pas de la porte à nous scruter, interdits. Puis Sèvenoir sécha mes larmes en passant doucement ses pouces sur mes joues.

– Merci encore une fois d’être venu dans l’antre de l’Ombre pour nous aider à fuir, et d’avoir combattu nos ennemis à nos côtés.

 Il s’écarta pour me laisser passer, et sortit quelque chose d’un pan de sa cape. Complètement perdue, j’allai m’asseoir sur mon lit, hébétée, prenant soin de bien resserrer ma serviette autour de moi.

 Il se plaça en face de moi mais garda une certaine distance, comme pour m’apprivoiser.

– J’ai mis du temps à le trouver. Je savais qu’il existait, m’annonça-t-il en me tendant un livre.

 Sèvenoir avança d’un pas lent, mesuré, se pencha au niveau du lit et attrapa ma main pour y déposer le livre. J’observai sa couverture faite d’une matière végétale marron, et la tranche de ses pages jaunies.

– Je l’ai trouvé dans le monument sacré, bâti en l’hommage des Terriens. L’é-gli-se, prononça-t-il en français.

 C’est moi qui lui avais appris ce mot, la fois où il m’avait enlevée dans l’église aux étranges statues.

– Tu y découvriras toutes les réponses à tes questions, poursuivit-il. Elle a laissé ses pensées dans ce livre. Quelle personne incroyable…

– Qui donc ?

– Eynarah…

 Sèvenoir s’assit à côté de moi sur le matelas.

 Le regard dans le vague, confondue, je tentai de formuler une réponse :

– Merci… d’être venu me voir. Et… même si je n’y comprends rien, merci pour ce cadeau.

– Ferme les yeux, me somma-t-il.

– Pardon ?

– Ferme tes yeux, et promets-moi de ne pas les ouvrir.

 J’avais envie de lui faire confiance. J’obtempérai. Allait-il enfin me montrer son visage ? Je l’espérais, secrètement. Il aurait été si facile d’ouvrir les yeux, ne serait-ce qu’un court instant. Mais je ne pouvais pas le trahir.

– N’oublie pas ta promesse... Garde tes paupières closes.

– Je n’ai rien promis, répondis-je en souriant, les yeux toujours fermés.

– Alors promets-le moi.

 J’entendis le son de sa véritable voix pour la première fois ; sans son masque.

 Son timbre était encore plus chantant, plus doux que d’ordinaire. Aucune entrave ne le brisait.

– Je le promets.

– De toute façon, je sens très bien ce qui se passe en toi. Tu es la seule personne en qui j’ai confiance. Jamais tu ne me duperas, n’est-ce pas ? voulut-il vérifier.

 Je discernai un soupçon d’inquiétude dans sa voix. Non, je ne pouvais pas abuser de sa confiance. Il avait raison d’avoir foi en moi.

 Mais… Mon Dieu ! J’avais terriblement envie d’entrouvrir les yeux. J’allais peut-être enfin savoir à quoi il ressemblait, enfin découvrir cet être mystérieux, qui demeurait à mes côtés depuis le début, et ce, surtout dans les moments difficiles. Alors que la tentation était trop grande et que j’allais probablement rompre cet engagement tacite, je sentis sa main se poser sur ma joue. Ses doigts caressèrent délicatement mon visage. Je frissonnai. Je ressentais sa peau… pour la première fois. Sèvenoir avait retiré ses gants.

 Comme j’aurais aimé briser mon serment ! Juste une minuscule petite seconde !

 Mais il m’entoura de ses bras, me serrant contre lui, comme pour me faire oublier cette pensée entêtante. La surprise fut telle que je manquai d’ouvrir les paupières. Je les gardai scellées.

 Ses mains pressaient mon dos, mes épaules, en des gestes affectueux.

 Ouf ! Ma serviette de bain semblait tenir en place !

 Je me laissai aller à son contact, curieusement apaisant. Je sentis… la douceur de son visage contre le mien, et de l’humidité. Des larmes devaient également glisser le long de ses joues. Sa peau ne semblait nullement entravée d’une quelconque cicatrice qu’il aurait voulu cacher derrière ce masque. Pas de cloque, ni de signe de brûlure… mais au contraire un faciès lisse, imberbe, agréable au toucher.

– Nêryah… ma chère Nêryah, murmura-t-il, la voix chargée d’émotions.

 Je ne pouvais résolument pas briser ma promesse. Je voulais juste goûter pleinement à cet instant voluptueux.

 Il s’éloigna.

– Merci d’avoir tenu ta promesse. Je sais que je peux compter sur toi.

– Je… j’ai cru pendant un instant que vous alliez m’embrasser, confessai-je, mes joues en feu, les yeux toujours clos.

– Nêryah, jamais au grand jamais je ne volerai le baiser d’une dame sans sa permission. Et encore moins alors que je lui demande de garder les yeux fermés…

 J’entendis un bruit furtif, et perçus qu’il n’était plus là.

 J’ouvris les paupières.

 Personne.

 Il venait de se volatiliser, encore une fois.

 J’avais presque l’impression d’avoir simplement rêvé ce moment.

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