Chapitre 29 : Porté disparu

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– Cela ne pouvait pas marcher, intervint une voix que je connaissais bien.

Je me retournai face à l’assemblée. Avorian s’avançait vers Orion.

– La Pierre pouvait s’ouvrir, les deux peuples ne formaient qu’un seul, se défendit le Sage.

Orion avait-il rappelé la genèse de nos peuples pour une raison bien précise ? Souhaitait-il nous inculquer quelque chose à travers elle ?

– Neymraad n’est pas le Gardien des Ênkelis. Même avec toute sa bonne volonté, c’était impossible, persista Avorian.

 Au moins, je n’étais pas la cause de cet échec. Mais cela ne me soulagea qu’à moitié.

 Tous les yeux étaient rivés sur le pauvre Neymraad. Les Orfiannais échangeaient quelques commentaires, complètement perdus face à cette révélation.

– Cela fait plus de seize cycles que notre Gardien a disparu, pendant la grande bataille, intervint une femme Ênkelis aux cheveux mauves d’une voix glaciale. Il est présumé mort ! Neymraad est le seul être qui parvienne à animer notre Pierre ! Il est notre nouveau Gardien !

 L’Ênkelis appuyait chacun de ses mots de façon virulente, comme on enfoncerait des aiguilles dans la peau.

– La Pierre réagit, certes, mais ne s’ouvre pas à lui, prononça Avorian d’un ton solennel.

– Face à la situation actuelle, nous devions tenter quelque chose, répondit Arianna. Les Gardiens devaient absolument s’entraîner dans des conditions optimales. Si nous avions révélé cette information, la connexion entre les Pierres n’aurait même pas eu lieu.

– Notre peuple a été décimé, tout comme les Guéliades ! protesta la même femme Ênkelis. Nous avons été injustement accusés de ne pas avoir été là pour les sauver, alors que nous étions dispersés, condamnés à disparaître ! Nous sommes parvenus à vaincre nos ennemis… mais à quel prix ? Il restait si peu des nôtres, réfugiés dans les contrées du Nord. Personne ne nous est venu en aide. Personne ne s’est enquit de notre état. Notre Gardien lui-même a fui ! Alors que nul ne s’inquiétait de notre sort, Neymraad, lui, nous a rassemblés en une nation unifiée. Il nous a sauvés ! Malgré son jeune âge, il a déjà réalisé tant de prouesses ! Sans lui, il ne resterait rien de notre peuple. À nos yeux, c’est bien lui notre nouveau Gardien ! La Pierre s’illumine à son contact ! Quelle plus belle preuve exigez-vous ?

– Elle s’illumine, certes. Mais Neymraad est-il parvenu à l’utiliser ? interrogea Avorian.

– Non, en effet, répondit cette fois le désigné, les joues rosies. Arianna et Avorian disent vrai. J’ai fait tout mon possible pour préserver la dynastie des Ênkelis. La Pierre semble réagir, mais ne s’ouvre pas totalement. Avec la présence des autres Gardiens, et surtout celle de Nêryah, je pensais sincèrement que la fusion pouvait opérer. Notre Gardien est porté disparu, je n’avais d’autre choix que d’essayer. J’ai eu l’accord de notre Grand Sage en amont… et je l’en remercie !

– Neymraad, nous honorons ta bravoure, ta noblesse de cœur. Tu as fait cela pour Orfianne, pour ses habitants, tu n’as pas à te justifier, le rassura Orion.

– Qu’allons-nous faire, à présent ? Attendre la Conjonction ? s’impatienta le Noyrocien irrité.

 L’auditoire écoutait attentivement le débat, ne sachant plus à quel saint se vouer. Je ressentis une vague d’anxiété. Le visage d’Orialis reflétait la tristesse. Celui de Kaya, une sorte de résignation ; forte, en toutes circonstances. Mon cœur fit un bond. Asuna était en train de disparaître ! Ses contours devinrent fantomatiques. Elle utilisait malgré elle son pouvoir d’invisibilité tant elle se sentait gênée. Nayan, quant à lui, serrait les poings et la mâchoire. Mais nous ne pouvions pas nous plaindre : Neymraad était la cible de tous les regards, de toutes les attentions.

– Céder au découragement dès la première tentative compromet toute idée de réussite, philosopha Orion. Rassurez-vous, rien n’est encore perdu. La purification des Gardiens au Royaume de Cristal était une étape nécessaire, tout comme ce grand rassemblement, qui permet de nous unifier dans une décision commune. Il leur fallait un entraînement à la fusion.

 Les représentants des nations d’Orfianne s’échangèrent des regards nerveux, commentaient discrètement les décisions du Sage.

 Comment faire face à toutes les attaques simultanées que subissaient les Orfiannais, sans la fusion des Pierres ? La convergence des planètes allait-elle solutionner le problème ou au contraire, l’aggraver, et apporter la déchéance sur Orfianne ?

– Les Gardiens ont besoin de repos, déclara Arianna.

– Que les représentants de chaque peuple se tiennent prêts à délibérer, ordonna Orion. Nous devons décider ensemble quant à la façon de repousser nos ennemis, en attendant l’ultime fusion des Pierres.

 Swèèn nous fit signe de le suivre. Sur les pas du Limosien, nous traversâmes l’allée en sens inverse, les multiples regards inquiets des Orfiannais posés sur nous. Nous marchâmes lentement jusqu’à la sortie de la salle de cérémonie, le cœur lourd, les épaules chargées d’un nouveau poids, encore plus pesant que le précédent.

 Arianna et Orion avaient beau nous tranquilliser, nous pensions intimement que nous avions échoué.


 Nous regagnâmes chacun notre chambre, silencieux ; trop abattus pour pouvoir évoquer ce qui venait de se passer. Orialis, Kaya, Asuna et moi décidâmes de nous retrouver plus tard. Nous avions besoin de digérer posément toutes ces nouvelles informations. Arianna avait raison : la cérémonie nous avait épuisés. Un peu de repos nous aiderait à y voir plus clair.

 Je n’arrivais pas à croire ce que je venais d’entendre. Toutes ces révélations au sujet de Neymraad me déconcertaient. Quel héros aux yeux des Ênkelis ! Sa personnalité me fascinait. Et en même temps, cela expliquait bien des choses… son comportement timide, réservé, ses regards inquiets, son entretien avec Orion sur le balcon, la veille. Il se sentait comme un imposteur avec la Pierre de Vie, mais son désir d’aider Orfianne demeurait plus fort. Quelle remarquable volonté ! Le Sage lui avait donc donné une chance, sachant qu’il fallait absolument tous nous purifier.

 Je m’en allai prendre un bain, l’esprit embrumé. Là aussi, tout comme chez Avorian, il suffisait de poser ma main sur le rebord de la baignoire en pierre naturelle pour que l’eau chaude arrive et la remplisse à la température souhaitée : un sort très utile créé par les Fées, impossible à réaliser pour nous, simples humanoïdes.

 Je me délaissai dans l’eau bien chaude. Mes pensées, qui au départ se bousculaient dans ma tête, se calmèrent rapidement. L’eau clapotait doucement sur les rebords de la baignoire, créait un mouvement métronomique lent, cadencé, qui me plongea dans la somnolence. Assoupie par les vapeurs chaudes, je perçus un drôle de bruit sourd, répétitif. Il devint fort, incisif. Je sursautai.

 On frappait à ma porte.

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