Chapitre 26 : Genèse

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 Le grand moment arriva.

 Des créatures à la physionomie singulière vadrouillaient dans le Royaume. Chaque nation arborait le vêtement cérémoniel propre à sa culture. Je pus ainsi admirer toutes sortes de tenues, pour mon plus grand plaisir. Comme à l’accoutumée, les Moroshiwas s’habillaient de plantes et de fleurs. Les Ewaliens portaient des tissus d’un bleu qui rappelait la mer. Leurs cheveux se paraient de perles et de coquillages nacrés, ornements de toute beauté.

 Nous arrivâmes à la grande salle de réception, là où j’avais discuté avec Neymraad pour la première fois. La pièce s’ouvrait sur une large terrasse, donnant l’impression d’être en lien direct avec l’extérieur, voire même de toucher le ciel. De jolis mandalas colorés en forme de rosaces et de pétales de fleurs de lotus réhaussaient le plafond en arches, finement sculpté. Fleurs et plantes grimpantes s’enroulaient autour de chaque pilier. Ces décorations printanières me firent immédiatement penser à une salle de mariage.

Quel endroit somptueux ! m’émerveillai-je.

 Les Orfiannais entraient au compte-goutte, prenait place entre les colonnes. Swèèn gardait l’entrée et surveillait chaque nouvel arrivant.

 Le Sage nous attendait sur le vaste balcon. Un sourire aérien flottait sur son visage serein. Son corps diffusait une douce lumière, auréolé. Impossible d’en détacher les yeux ! Un mouvement dans l’air détourna pourtant mon attention : Arianna traversait la salle d’un vol grâcieux pour venir se placer à côté d’Orion.

 Avorian m’adressa un sourire rassurant. Il était avec Merwên, le père de Kaya.

 Une fois les représentants des différents peuples installés, le Sage prit la parole :

– Pour la première fois depuis des cycles, toutes les dynasties d’Orfianne se retrouvent, et les Pierres de Vie sont enfin rassemblées. Que ce jour marque la fin des ténèbres, et la renaissance des deux mondes. Voici la genèse des Pierres de Vie : du néant de l’Univers naquit deux planètes jumelles ; deux mondes se côtoyant sur des plans distincts, pouvant se réunir lors des grandes conjonctions. La prochaine convergence aura lieu dans quelques phases d’Héliaka. Ce phénomène planétaire rarissime nous donnera la possibilité d’agir sur Terre. Ce sera notre unique chance de ramener l’équilibre.

 Un silence religieux régnait. Le Sage observa un instant l’assemblée, comme pour appuyer ses paroles, puis poursuivit son discours :

– Les Pierres de Vie se manifestèrent bien avant la naissance des peuples d’Orfianne. Selon la légende, elles seraient nées de la fusion de la planète Terre avec sa jumelle, lors de la toute première conjonction. À l’image de deux sœurs, les planètes se sont entraidées. Les Fées apparurent en même temps qu’elles. Leur capacité à traverser les dimensions ont fait d’elles les Gardiennes des mondes et de ses habitants. Elles sont la magie même.

 Orion tourna légèrement la tête, porta son regard sur Arianna. Il lui sourit tendrement, comme pour lui rendre hommage. La reine des Fées inclina son buste, animée par cette grâce naturelle qui enveloppait chacun de ses gestes.

 Devant la foule attentive, le Sage reprit :

– De ces Pierres illustres naquirent nos peuples. La Pierre dorée créa les Noyrociens, elle façonna leurs antennes pour leur permettre de se nourrir de la lumière solaire, la plus pure des énergies. De la Pierre bleue naquirent les Ewaliens. Elle leur conféra le pouvoir de vivre à la fois sous l’eau et sur la terre ferme, avec la capacité de se transformer à leur guise. La Pierre de Vie verte engendra les Moroshiwas, peuple de la forêt intrinsèquement lié à la magie d’Orfianne. Elle leur octroya le pouvoir d’invisibilité et de lévitation. La Pierre rouge des Komacs sommeillait dans les déserts. Elle conçut ce peuple à son image, la peau couleur sable, et les rendit robustes à tous les éléments. Les Ênkelis et les Guéliades formaient au départ un seul et même peuple. Leur Pierre de Vie était alors d’un blanc immaculé. Le jour où cette nation se scinda en deux, la Pierre se brisa et changea de couleur, à l’image de leur scission. Elle prit une teinte violette pour les Ênkelis et les lia à l’élément air. L’autre moitié se rehaussa d’une parure argentée, qui rappelle le pelage des gardiens des Guéliades : les Limosiens. Elle les alimenta de la plus puissante des magies.

 Fascinée par la genèse des peuples d’Orfianne, je pris conscience à quel point ils étaient reliés aux éléments de la nature. Leur physionomie et leurs pouvoirs bien distincts provenaient donc des Pierres de Vie. Celles des Ênkelis et des Guéliades constituaient en réalité deux fragments d’un même joyau.

Voilà pourquoi ma Pierre a réagi au contact de Neymraad !

 La sienne avait probablement brillé en présence de sa jumelle.

Cela signifie que la Pierre des Ênkelis peut s’ouvrir à moi. Neyrmaad et moi sommes en réalité les Gardiens d’une seule et même Pierre, divisée en deux parties ! Dans ce cas, je me demande si son joyau peut s’emboîter au mien…

– Ces joyaux extraordinaires créent la Vie, continua le Sage. Ils ne sèment pas la destruction. Lors de la grande bataille, il y a environ dix-sept cycles de cela, les Modracks ont été vaincus par les pouvoirs extraordinaires des Guéliades, des Fées, des Limosiens, et des Gardiens qui leurs sont venus en aide. Les Pierres de Vie n’ont fait qu’accentuer leurs dons durant les combats. Leur véritable nature est d’amplifier l’énergie des élus, mais aussi d’apporter la Vie elle-même, tout en la protégeant.

– Elles ne peuvent donc rien faire contre les monstres générés par les Terriens ? s’indigna un Noyrocien dans l’assemblée.

– Si. Mais d’une façon singulière… que nous pouvons difficilement contrôler. Nous n’y sommes parvenus qu’une seule fois, il y a quelques phases seulement : en redonnant vie à des terres dévastées, les êtres des ombres y régnant ont totalement disparu. Ils n’ont pas supporté la puissance de l’énergie vitale.

 Face à cette révélation, les Orfiannais échangèrent quelques regards surpris et murmures feutrés.

– Chers peuples d’Orfianne, je vous annonce que les terres des Guéliades ont été guéries ! Nous avons une nouvelle Gardienne. Grâce à la magie des Pierres d’Orialis, de Nêryah, et aux pouvoirs de Swèèn, d’Avorian et d’Arianna, le royaume des Guéliades est à présent fertile, débarrassé des êtres des ombres. Cette prouesse est une première.

 Toute l’assemblée exprima sa joie en soupirs de soulagement : « Oh… quelle merveilleuse nouvelle ! ». Orialis et moi nous regardâmes d’un air gêné, les joues roses. Cela nous faisait tout drôle d’entendre le Sage lui-même raconter nos exploits. Les autres Gardiens nous congratulèrent discrètement, d’un petit mot ou d’un signe de tête. Mais pour le Noyrocien mécontent, cela ne suffisait pas. Il fronça les sourcils et s’emporta :

– Le pouvoir des Pierres ne s’active donc qu’après la destruction ?

 Je comprenais ses craintes. Orialis venait de nous expliquer au repas combien son peuple subissait continuellement les assauts de nos ennemis.

– La Vie renaît toujours après une période de chaos, répondit simplement le Sage.

– Vous êtes notre Grand Sage, et votre parole est sacrée. Mais cela signifie-t-il que nous ne pouvons sauver nos terres qu’après leurs dévastations, et non prévenir de lourdes pertes ? s’enquit un Ênkelis. Alors qu’en est-il de nos peuples ?

– C’est bien là le mystère du cycle de la Vie, qui implique aussi la Mort ; une Loi de l’Univers que personne ne peut enfreindre ni déjouer. Mais rassure-toi, nous pouvons faire bien plus que cela. La fusion des Pierres crée un fluide magique prodigieux, qui repoussera les émotions cristallisées des êtres de la Terre. Nous devons agir dans la paix et la compréhension, non dans la lutte. Nous n’avons pas assez prêté attention à nos frères Terriens, à leur souffrance. Elle s’exprime sur notre planète pour rappeler notre lien gémellaire. C’est un appel au secours, sous forme symbolique. Il est temps que nous prenions ce lien indéfectible en considération, que nous fassions preuve de compassion, et que nous les aimions…

 Un bruit sourd s’éleva de la foule : les Orfiannais échangèrent quelques mots entre eux, consternés. Certains paraissaient choqués par les propos du Sage.

Notre seul salut est de sauver l’humanité ! ponctua ce dernier.

Exactement le contraire du discours de l’Ombre qui prône l’extermination des humains ; race qu’elle juge pervertie jusqu’à la moelle…

 Merwên s’avança pour prendre la parole.

– Orion, tu es mon frère, et tout comme Arianna je reconnais en toi la réincarnation de l’âme du Grand Éclairé. J’ai une foi inébranlable en ta sagesse. Cependant, avec tout mon respect, nos « chers frères Terriens », comme tu dis, ont exterminé une nation entière ! Mais également Hélia, notre Grande Éclairée, ton épouse ! J’étais là lors du massacre des Guéliades. Les miens ont été attaqués… en grande partie assassinés ! Tout comme les Ênkelis, et tant d’autres encore ! Depuis dix-sept cycles, le phénomène perdure. La fusion des Pierres n’a jamais opéré jusqu’à présent. Nous devons être certains que leur union repoussera les êtres des ombres, et ce, définitivement !

– J’entends et comprends ta colère, mon frère, lui répondit Orion. Imaginons que la fusion se réalise : les esprits sombres seront repoussés, les terres, regénérées. Bien ! Mais pour combien de temps ? Tant que nous n’allons pas à la racine du problème, les esprits réapparaîtront, un jour ou l’autre.

 Les Orfiannais murmuraient, se jaugeant du regard, interpellés par les dernières paroles d’Orion. Il avait raison. Il fallait absolument trouver et régler la source de nos ennuis : les causes profondes, et non les conséquences.

 Avorian fit un pas en avant pour se tenir aux côtés de Merwên :

– Si l’humanité n’est pas guérie, ses émotions se cristalliseront dans notre monde, encore et encore.

– Oui, elles reviendront forcément après quelques cycles, approuva la Noyrocienne que nous avions saluée au bassin.

– Voilà pourquoi certains pensent que la seule solution durable est d’exterminer les êtres humains, souligna Merwên.

– En effet, l’Ombre, par exemple, souhaite détruire la race humaine. Ce raisonnement oublie cependant une chose essentielle…

 Le Sage sonda l’assistance du regard en prononçant ces derniers mots.

– Orfianne et la Terre sont jumelles, compléta Arianna. Si l’une décline, l’autre sombrera irrémédiablement avec elle. Si les Terriens sont détruits, et ce, par leurs propres frères… alors nous mourrons avec eux.

– Nous sommes reliés à l’espèce humaine, que nous le voulions ou non, renchérit le Sage.

– Mais nous avons juré de ne pas intervenir dans les affaires terrestres, nous avons promis de ne plus accélérer l’évolution des Terriens ! rappela l’Ênkelis, le regard implacable.

 Je saisis à quoi il faisait allusion. J’avais appris chez l’Ombre que les Ênkelis s’étaient jadis mélangés aux Terriens, créant l’espèce que nous connaissons aujourd’hui. Je réalisai qu’ils l’avaient fait pour les transformer, dans le but de se prémunir de leurs émotions corrompues. Par la suite, ils avaient fait le serment de ne plus s’occuper des humains, qu’ils considéraient comme leurs pantins, ni de se mêler à eux. Avec le temps, les deux planètes s’étaient éloignées énergétiquement parlant. Leurs vibrations devinrent tellement distinctes qu’aucun Orfiannais ne put revenir sur Terre… jusqu’à mon arrivée. J’étais la seule à pouvoir accomplir ce miracle, et cela demeurait encore à ce jour inexplicable.

– Seule la magie interviendra. Pas nous, trancha Arianna. Le pouvoir des Pierres décidera de ce qui est le mieux pour nos deux planètes. Nous devons nous y soumettre, croire en ce pouvoir ancestral qui nous a créés, et garder confiance.

– Nous avons donc une solution, mais nous ne savons pas ce qu’elle produira exactement ? résuma l’Ênkelis.

– C’est bien là tout l’enjeu, admit le Sage. Peuples d’Orfianne, comprenez-vous notre position ? Les Pierres de Vie préserveront nos terres, nos peuples, mais de manière ponctuelle. La Grande Conjonction nous permettra de communiquer avec les Terriens, et peut-être même de venir sur Terre. C’est notre unique chance de sauver les deux mondes. Que ceux qui sont en faveur de cette proposition posent leur main sur le cœur.

 Je scrutai l’auditoire, décrivant un mouvement circulaire de ma tête. Petit à petit, chacun posa sa main sur sa poitrine.

 Les peuples d’Orfianne consentirent à la proposition du Sage.

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