Chapitre 24 : Les Gardiens d’Orfianne

11 minutes de lecture

 Alors que je m’éveillai tout juste après une nuit agitée, Orialis entra dans ma chambre, le sourire aux lèvres.

– Nêryah ! Réveille-toi ! C’est le grand jour ! Il faut nous préparer !

 Je m’étirai dans le lit, encore engourdie. Me jugeant sans doute trop lente, mon incorrigible amie défit mes draps soyeux, et commença à farfouiller dans l’armoire pour me trouver une « tenue de cérémonie ».

– Nous nous réunissons dans quelques heures avec tous les Gardiens, ajouta-t-elle d’un ton sérieux. Nous sommes d’abord conviés à un petit-déjeuner sur le balcon du hall.

– Mmmh…, marmottai-je.

 Je m’extirpai du lit douillet et partis me laver pendant qu’Orialis s’affairait à me choisir la plus belle robe. Les yeux ensommeillés, je ne fis même pas attention à comment elle était habillée.

 L’eau fumante du bain m’aida à émerger. Mes idées se bousculaient. Ces nouvelles rencontres… les Gardiens… Ils me paraissaient tous si jeunes. La plupart de leurs prédécesseurs avaient péri lors de la grande bataille. Nous étions tous inexpérimentés inquiets, un peu perdus dans nos rôles de Gardiens. Orialis avait reçu une excellente éducation, et ce, dès son plus jeune âge pour assumer ce rôle. J’avais déjà vu Asuna à l’œuvre, quelle puissance ! Et Kaya semblait également se débrouiller avec brio. Mais qu’en était-il des deux autres ?

 Il fallait absolument que je parle à Avorian avant le grand moment. J’ignorais ce que j’étais censée faire.

 Une fois sortie du bain, enroulée dans ma serviette, je découvris une Orialis métamorphosée : elle portait une robe violette, cintrée à la taille, dont le large décolleté mettait en valeur les jolies courbes de sa poitrine. Deux rubans s’échappaient de son corsage échancré. La jupe lui longeait les jambes et s’ouvrait sur un côté jusqu’à mi-cuisse.

 Comme à son habitude, elle arborait ses bracelets dorés autour des poignets. Dans l’un d’eux se dissimulait la Pierre de Vie des Noyrociens.

– Ouah ! Tu es vraiment charmante ! m’exclamai-je.

– Merci ! À ton tour de te faire belle. La Gardienne des Komacs est en train de faire une beauté à Asuna, ajouta-t-elle avec un grand sourire.

– Kaya ? Elle s’occupe d’Asuna ? Super !

 J’imaginais la pauvre petite Moroshiwa entourée d’une multitude de rubans, perdue dans une robe trop somptueuse pour elle. Elles s’étaient seulement rencontrées hier, et mon amie Komac prenait déjà soin de la jeune Asuna. Cela ne m’étonnait guère. Kaya possédait un fort instinct maternel.

 Orialis me tendit une tenue en un tissu proche de la soie, couleur bleu-argenté. Je retournai dans la salle de bain pour l’enfiler. De longues manches transparentes laissaient les épaules dénudées. Le haut et le bas du bustier se terminaient par un ruban doré, resserrant l’orée de ma poitrine et le bas du ventre. La jupe fendue sur le côté s’entrouvrait sur une jambe. J’observais quelques perles et broderies sur ce textile léger, agréable à porter. Une ceinture pailletée en forme d’accolade enjolivait ma taille. Je nouai mes cheveux à l’aide de rubans, glissant quelques perles.

 Je fis coulisser lentement la porte opaque. Orialis m’observa avec des yeux ronds, la bouche entrouverte d’admiration.

– Oh ! Tu es somptueuse, Nêryah.

 Cela faisait une éternité que je m’étais faite belle ! Je marchai jusqu’au miroir de l’armoire.

Un peu trop maigre, c’est sûr, mais jolie quand même dans cette robe de princesse ! considérai-je mon reflet.

 Je pivotai d’une pirouette grâcieuse vers Orialis, la mine réjouie. Elle jubilait, les mains jointes, comme si elle s’apprêtait à applaudir.

– Tu ne t’es pas coiffée, remarquai-je. Tu permets que j’essaie quelque chose ?

– Je t’en prie ! Avec plaisir !

 Vive la coquetterie ! Je rassemblai ses beaux cheveux verts en chignon. C’était bien évidemment une tâche délicate et fastidieuse à cause de ses antennes, qu’il ne fallait surtout pas tordre par mégarde. Je compris à cet instant pourquoi elle laissait toujours sa chevelure détachée.

 Après quelques efforts, mon travail porta ses fruits : le chignon lui allait à ravir.

 « Est-ce terrien ? me dit-elle. C’est plutôt pas mal pour de simples humains ! ».

 Sa remarque m’amusa beaucoup. Je lui appris le mot en français : « chignon », car bien que j’excellais dans leur langue, ce mot n’existait manifestement pas en Orfiannais.

 Quelqu’un frappa à la porte.

– Avorian ! exultai-je en ouvrant, soulagée de le voir enfin.

 Il était vêtu d’un long yukata gris-perle en satin, noué par une large ceinture anthracite.

– Nêryah ? Est-ce bien toi ? Je ne te reconnais plus ! Tu es… envoûtante ! s’exclama-t-il avant de se tourner vers mon amie. Oh ! Et cette coiffure, Orialis, comme c’est charmant ! 

– Merci ! Nêryah m’a peignée ainsi.

 Le chignon réhaussait divinement son beau visage ovale, et faisait ressortir l’éclat de ses yeux gris-jaunes.

 Voyant que ma porte était entrouverte, quelqu’un se permit d’entrer.

 C’était Kaya, accompagnée d’Asuna. Elles étaient ravissantes. Fidèle à la coutume, Kaya avait opté pour une tenue rouge-brique, tout à fait typique de sa région. Le haut aux longues et larges manches recouvrait uniquement sa poitrine. Sa jupe ressemblait à celle d’Orialis, mais se fendait des deux côtés. Cette tenue seyait à merveille son corps voluptueux et galbé. Ses cheveux sombres s’échappaient d’un bandeau vermeil, ce qui accentuait délicieusement son air espiègle.

 La charmante petite Asuna s’avérait tout aussi radieuse. Une couronne de fleurs blanches ornait sa tête. Et sa chevelure végétale était soigneusement nouée en de jolies tresses. Elle portait une robe vert-foncé qui s’accordait harmonieusement à sa peau couleur jade.

 Je présentai Kaya à Orialis. Je lui avais déjà raconté ma rencontre avec les Komacs. Elle pouvait enfin les voir en personne.

– Comme vous êtes magnifiques ! nous flatta la jeune Komac.

– Vous êtes splendides toutes les deux, répondis-je.

 Kaya se rapprocha de moi pour me souffler à l’oreille :

– Alors ? Tu as vu la métamorphose d’Asuna sous mes doigts experts ? Coiffure, jolie robe, et… du rose sur ses lèvres ! Tellement rare pour une Moroshiwa !

– Ma-gni-fique, la congratulai-je.

 Kaya se pavanait en riant, manifestement fière d’elle.

– Pour le rouge à lèvres, il a fallu sacrément insister, s’expliqua Kaya d’un haussement d’épaules.

Tu m’étonnes…, pensai-je, connaissant de mieux en mieux Asuna et sa timidité.

– D’ailleurs, tiens, prends ce maquillage, ajouta-t-elle.

 Elle me tendit deux minuscules contenants en terre. L’un abritait une pâte rouge, l’autre une poudre dorée. Elle me donna ensuite un bâton tout fin. Cela me rappelait des souvenirs. Notre séjour dans le désert avec les Komacs, le raffinement de Kaya, sa façon de m’encourager à me sentir belle, bien dans mon corps, à m’accepter et m’apprécier. Une véritable sœur, très généreuse, à l’instar d’Orialis.

 Je me plaçai de nouveau devant le miroir pour tracer un trait au crayon auburn juste au-dessus de mes cils, prolongeant avec finesse la forme de mes yeux, et poudrai mes paupières du fard assorti aux rubans et à ma ceinture. Je teintai mes lèvres de pourpre. Une fois cette mise en beauté terminée, je me retournai pour faire face aux autres, mains sur les hanches. Devant mon expression irritée, mes compagnons de route haussèrent les sourcils, perplexes.

– Voyons, tu es magnifique maquillée ainsi ! interpréta Kaya, pensant que mon reflet ne me satisfaisait pas.

 Je fis un pas en avant, l’air indigné.

– Bon, c’est bien gentil ce défilé avec nos jolies tenues de cérémonie, mais moi, je ne sais absolument pas comment me servir de ma Pierre !

– Tout se passera bien, tempéra Avorian. Il n’y a rien à faire, justement. Ouvre-toi à la Pierre de Vie, son pouvoir agira à travers toi.

 Je sortis notre joyau argenté en forme de losange de mon sac. Je l’examinai sans bouger :

– Comment ça, ouvre-toi ?

 Avorian hocha la tête en souriant, allongeant son bras devant lui, comme pour m’inciter à manipuler notre Pierre de Vie. Je l’effleurai puis resserrai mes doigts autour d’elle. La Pierre s’illumina alors légèrement au contact de mes paumes.

– Tu vois, elle s’active déjà, rien qu’en te concentrant un peu ! me rassura Orialis, tout enthousiaste.

 Elle joignit ses mains. Ses yeux rieurs m’apaisaient.

– Tu as la réponse, Nêryah. S’abandonner à notre Pierre est la clé, renchérit Kaya. Il suffit de se laisser envahir par son énergie, tout simplement.

 Je considérai la Komac, admirative. Ils me répondaient tous de la même manière que Neymraad.

– Comment fais-tu pour te sentir si sereine, et te faire belle, alors que ton peuple est en ce moment même en grand danger ?

– Nêryah, ces derniers temps nous avons perdu de valeureux guerriers. Nous subissons les assauts des êtres des ombres. Je suis aux premières loges ! Se lamenter et broyer du noir ne nous aidera en aucune façon. Garder le sourire, profiter de chaque instant de paix se révélera bien plus utile. Honorer son corps, sa beauté, en font partie. Cela n’enlèvera rien à mon peuple. C’est la philosophie d’Orfianne. Quoiqu’il advienne, nous continuerons à vivre le plus sereinement possible, à demeurer joyeux, persévérants. Nous rendons grâce à la nature, à ce que la vie nous offre. Tu peux voir les choses et les vivre de deux façons : en étant sombre, négative, à l’image des êtres des ombres engendrés par les émotions humaines les plus brutales, ou en adoptant une vision claire, pure et belle du monde. Cela relève du sacré !

– Pardon, tu as totalement raison. En prenant soin de nous, de notre esprit, nous aurons plus de chances d’aboutir à la fusion des Pierres. Je pense encore trop de façon Terrienne.

 Asuna s’approcha timidement. Elle plaça ses mains sous les miennes, observant le joyau argenté au creux de mes paumes.

– Ton cœur fleurit ! Tu es une bonne Gardienne, me réconforta la fillette.

 Un sourire affleura mon visage. Je les remerciai en inclinant la tête, puis rangeai la Pierre de Vie dans ma ceinture en taffetas. Alors que j’allais demander des précisions à Avorian concernant la cérémonie, Swèèn entra dans ma chambre – je n’avais toujours pas refermé la porte –, la démarche nonchalante. Nous le suivîmes du regard, interloqués. Il s’installa sur mon lit, l’air de rien, prenant ses aises, et étira ses longues ailes argentées. Devant nos visage surpris, presque offusqués, il haussa ses épais sourcils, l’air de dire : « Et alors ? ».

 Orialis et moi échangeâmes un regard, à deux doigts d’éclater de rire. Swèèn était tellement grand – plus haut qu’un lion Terrien – qu’il occupait tout le matelas.

– Eh bien, que de divines beautés réunies ! lança-t-il fièrement de sa couche.

 Je m’apprêtais à le câliner, mais ce n’était pas fini ! J’entendis des pas derrière la porte. Ishaam entra à son tour, le visage rayonnant, succédé de Nayan. Tous arrivaient au compte-goutte dans ma chambre comme on entrerait dans un moulin.

– Mais…, commençai-je, à court de mots.

– Bien, je crois que je vais vous laisser entre jeunes personnes, annonça Avorian en se frayant un passage parmi les intrus.

 Il me lança un regard compatissant avant de disparaître. Un peu perdue, je saluai brièvement les nouveaux arrivants, puis demandai à Swèèn de me laisser « une petite place » pour m’assoir à ses côtés. Je me sentis gênée d’accueillir autant de monde dans ma chambre – mon seul refuge ici. J’entrepris alors de caresser le pelage soyeux du lion ailé, histoire d’occuper mes mains tremblantes.

– Eh ! On nous attend pour le super petit-déjeuner des Gardiens ! clama Ishaam.

– Tu n’es pas un Gardien, Ishaam, lui signala Kaya, le regard noir. Tu ne peux pas y participer, combien de fois vais-je devoir te le répéter ?

 Ishaam nous examina de haut en bas et réalisa soudain nos tenues. Ses yeux s’agrandirent. Il exulta :

– Oh ! Ouah ! Vous êtes incroyablement belles, les filles ! Est-ce qu’on peut vous épouser tout de suite, genre… maintenant ? Mon cœur s’emballe devant tant de grâce ! Cette vision enchanteresse me poursuivra toute ma vie !

– Ishaam ! le rabroua Kaya.

 Ce dernier s’empressa d’aller la rejoindre d’un bond pour lui prendre la main en badinant :

– Ô, mon doux nectar, ne sois pas jalouse, et puisses-tu irriguer le jardin de mon cœur !

 Il termina son ode par un baise-main. Kaya leva les yeux au ciel, indifférente à la prose et à l’exaltation de son bien-aimé.

 Nayan, quant à lui, dévisageait Orialis, manifestement troublé par sa beauté. Les joues de la Noyrocienne se coloraient d’un joli rose, lui donnant encore plus de charme.

– Mais pourquoi tout le monde est dans ma chambre ? pleurnichai-je, littéralement angoissée à cause du rituel imminent.

 Swèèn tourna le museau et se frotta gentiment contre moi pour me réconforter. J’entourai son large cou de mes bras.

– Tu vois ? Je te l’avais dit ! Tu nous ras-sem-bles ! souligna Kaya à mon attention.

 Elle fut interrompue par une nouvelle intrusion.

– J’ai entendu du bruit…, dit une voix à l’entrée.

 Neymraad nous rejoignit. Il portait un sarouel et une tunique dans les tons bleus, teinte qui rappelait celle de ses cheveux. Kaya éclata de rire, marmonnant entre deux hoquets : « Tu n’y peux rien, Nêryah ! Hahaha ! C’est un truc magique en toi qui nous attire tous ! ».

– Bon, on va manger ? insista Ishaam.

 La Komac prit alors un air excédé et soupira, fronçant les sourcils. Elle devait avoir honte de l’impertinence de son soupirant.

 Contaminée par son exaspération, je bondis du lit, désorientée.

– Non, mais je rêve !

 C’était sorti tout seul de ma bouche. Ma chambre avait beau être grande, elle était pleine à craquer ! Je ne savais plus où donner de la tête. Swèèn pouffait de rire dans son aile alors que j’avais envie d’exploser.

– Je voulais m’assurer que tu allais bien, Nêryah, me confia Neymraad. Tu m’as fait part de tes inquiétudes hier, et je souhaitais t’apporter mon soutien avant la cérémonie.

 Séduite par son ton chaleureux et par sa gentillesse, je me détendis un peu. Sans contrôler mon corps, je me vis m’approcher de lui, tendre ma main pour prendre la sienne en disant d’une voix posée :

– Merci, Neymraad.

 Alors que je tenais les doigts du Gardien, je sentis ma Pierre de Vie réagir dans ma ceinture. Je baissai les yeux vers mes hanches : on pouvait entrapercevoir sa lueur argentée. Elle semblait briller encore plus fort que lorsqu’elle se trouvait dans mes paumes. Qu’est-ce que cela pouvait signifier ?

 Je relâchai brusquement les doigts de Neymraad, autant surprise par mon geste que par cette soudaine spontanéité. Ma Pierre s’éteignit alors, comme mon élan de tendresse. Je reculai de quelques pas pour retourner à mon lit, auprès du Limosien.

Pourquoi la Pierre de Vie s’est-elle allumée au contact de Neymraad ?

– Ne traînez pas, nous avertit Swèèn. Il est temps d’aller manger.

– Ah, merci ! Enfin quelqu’un de sensé ! adhéra Ishaam, visiblement affamé.

 Kaya, véritablement agacée, lui réexpliqua une énième fois qu’il ne pouvait pas se joindre au petit-déjeuner spécialement réservé aux Gardiens, et qu’ils étaient attendus par Orion.

 Tout le monde sortit en file indienne pour descendre l’escalier de cristal et se diriger vers le balcon, à l’entrée du Royaume.

 Avant de quitter ma chambre, je mis des petites chaussures ouvertes aux lanières dorées.

 Je me sentais vraiment nerveuse. Ces nouveaux visages… cette pression sur mes épaules… Et je ne savais toujours pas ce qui m’attendait.

– Courage, Nêryah ! J’ai confiance en toi. Essaie de te détendre, me recommanda Swèèn qui marchait à mes côtés. Pour la cérémonie, mets-toi simplement en état méditatif. Il suffit de te sentir totalement réceptive, le reste viendra naturellement.

– Merci. C’est toi mon super Gardien !

 Alors que nous nous dirigions vers le vaste hall, j’ajoutai :

– Swèèn, je ne comprends pas, ma Pierre de Vie s’est éclairée au contact de Neymraad. Ce n’est jamais arrivé avec les filles, que je côtoie pourtant de près !

– C’est normal. Parfaitement normal. Orion t’expliquera…, répondit le Limosien.

 Il ne dit pas un mot de plus. Nous arrivâmes à l’entrée du royaume. Les autres Gardiens montaient déjà les marches menant à la terrasse.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Ayunna ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0