Chapitre 20 : Trêve

7 minutes de lecture

 Orion nous invita à nous asseoir et nous pria de manger, considérant que les discussions se faisaient mieux le ventre plein. Les fruits étaient juteux, sucrés et très rafraîchissants, les légumes croquants, et les pâtisseries, composées de biscuits moelleux surmontés de crèmes parfumées, aussi légères qu’exquises.

– Je suis désolée d’être tombée. Merci d’avoir pris soin de moi, m’excusai-je.

– Ma pauvre enfant, tu n’y es pour rien ! À moi d’implorer votre pardon. Avec tout ce qui se passe sur Orfianne, je n’ai pas pu veiller sur vous, me répondit Orion, réellement compatissant.

– Les autres Gardiens sont-ils arrivés ? demanda Avorian.

– Nayan est là.

 Orialis bondit de sa chaise à l’évocation de ce nom. Son regard s’illumina.

– Comme je suis soulagée ! Comment va-t-il ? Il n’a pas eu d’ennuis j’espère ?

– Nayan se porte comme un charme ! Il est arrivé indemne, grâce à ton message transmis par les fées, ajouta le Sage. Il ne manque plus que la Gardienne des Komacs et le Gardien des Ênkelis.

 La Noyrocienne soupira de soulagement, une main posée sur sa poitrine.

– Le Gardiens des Ênkelis est-il revenu ? poursuivit Avorian.

– Non. Malheureusement. Un nouveau Gardien semble l’avoir remplacé.

– Il n’a donc pas survécu, en déduisit Asuna, tout attristée.

– Nous l’ignorons avoua Orion. Je ne ressens plus sa présence depuis bien longtemps. Comme nous le supposions, Nêryah a été choisie comme Gardienne des Guéliades.

 Je sortis de ma tunique notre belle Pierre de Vie argentée. Depuis que nous l’avions reprise aux Komacs, je la portais toujours contre mon cœur.

 Le Sage tourna la tête pour me sonder du regard. Je ressentis un flot d’énergie s’écouler en moi, comme s’il me donnait sa bénédiction. Je me mis à rougir, intimidée par ses grands yeux sombres et son halo lumineux. Il resplendissait comme un soleil.

 Asuna lui montra à son tour sa Pierre de Vie, puis se leva pour s’abreuver à la fontaine en forme de sirène. Elle s’humidifia le visage. Ses lianes feuillues se mirent à luire au contact de l’eau, réhydratées.

– Les terres des Guéliades sont à présent fertiles. Quelle prouesse ! nous félicita Orion. Je ressens à nouveau la connexion avec l’arbre sacré, je vous en remercie. Si ce n’est déjà fait par les fées, les nations d’Orfianne en seront averties lors du grand rassemblement.

 Il ajouta à mon attention et à celle des Gardiennes :

– Gardez vos Pierres pour le moment, nous tenterons une union dès que tout le monde sera arrivé. Si nous échouons, nous devrons utiliser l’énergie de la Grande Conjonction.

– Qu’est-ce que la Grande Conjonction ? demandai-je.

 Je me souvins qu’Orialis l’avait mentionnée lors de notre voyage, après ma période de captivité chez l’Ombre, mais sans donner plus de détails.

– C’est un alignement de planètes très particulier qui se déroulera dans trois bonnes phases, m’expliqua Avorian. Un phénomène rarissime ! Il provoquera une faille énergétique qui rapprochera Orfianne de la Terre. Leurs fréquences seront alors si proches que nous pourrons agir directement d’un monde à l’autre.

– Nous pensons que l’Ombre profitera de la Conjonction pour faire passer ses armées sur Terre, prononça gravement Swèèn, le regard dans le vague.

 Orialis détourna les yeux de ses aliments, comme si cette remarque lui avait coupé l’appétit ; Asuna stoppa ses ablutions, pivota sur elle-même pour nous faire face. S’ensuivit un long silence, pesant. Nous savions que cette trêve au Royaume n’était que de courte durée.

 Après ce somptueux repas, Orion nous proposa de nous reposer dans nos chambres. Nous redescendîmes l’escalier de cristal pour retrouver l’entrée du palais. Je me sentais tellement mieux après les soins et notre copieux déjeuner. Les marches ne me posèrent aucun problème, cette fois. Nous passâmes par la porte enjolivée de fleurs. Elle donnait sur une immense salle d’environ cent mètres carrés, avec un large bassin de forme ronde, creusé dans le sol. De nombreuses plantes vertes grimpaient le long des murs arrondis.

Des végétaux qui poussent au beau milieu du ciel !

 Je n’en revenais pas.

 Des coussins de toutes les couleurs encadraient la piscine. Quelques Moroshiwas et Ewaliens s’y baignaient. Je restai là, bouche-bée, complètement fascinée par la peau verte des Moroshiwas, et par ces feuilles de toutes formes noyant presque leurs visages sereins. Sveltes, élancés, ils se déplaçaient lentement, avec grâce. J’admirai les queues de sirènes des Eweliennes ondoyer dans l’eau, envoûtée par tant de beauté. Leur longue chevelure d’un bleu lapis-lazuli dansait autour d’elles. Je n’en avais jamais vu d’aussi près : seulement aperçu un jour une Ewalienne dans l’océan, près de la Grotte des Feux Sacrés, lors de mon arrivée sur cette planète. J’avais l’impression de découvrir enfin la magie d’Orfianne, et cette harmonie si particulière propre à ses habitants.

 Orion nous conduisit vers un autre escalier de cristal. Nous l’empruntâmes pour accéder à l’étage supérieur. Il nous expliqua que cet espace pouvait changer de forme, selon les besoins du Royaume. À l’aide de la puissante magie des Limosiens, le Sage l’avait pétri en dortoir étant donné l’arrivée imminente des peuples d’Orfianne. Nous traversâmes un long couloir distribuant de nombreuses chambres, dont les portes arquées étaient toutes de couleurs différentes. Les nôtres, mitoyennes, correspondaient aux teintes de nos Pierres de Vie.

 Le Sage nous indiqua que chacune d’elles possédait une petite salle de bain. J’en fus très reconnaissante : après ces longs mois de voyage à se laver dehors, les uns à côté des autres, un peu d’intimité ne nous ferait pas de mal.

 Il nous laissa nous reposer.

 « On se retrouve dans ma chambre lorsqu’on sera propres et détendues ? » proposai-je aux filles.

 J’ouvris ma porte coulissante argentée, et poussai un cri d’émerveillement en découvrant la jolie pièce d’environ quarante mètres carrés, avec un lit à baldaquin aux draps et aux rideaux blancs. Je pris le temps d’admirer les lieux, en apprivoiser chaque recoin pour me l’approprier. Un mini soleil artificiel suspendu au plafond éclairait la chambre : exactement le même procédé que chez Avorian ou dans les souterrains des Komacs. Il diffusait une lumière douce, agréable aux yeux.

 J’enlevai mes chaussures pour tester le moelleux du grand tapis de sol molletonné dans les tons crème, puis observai mon reflet dans le miroir posé sur les deux battants d’une armoire ouvragée en bois, installée à côté du lit. Au fond de la pièce, une fenêtre de forme ovale donnait sur un ciel sans nuages. On avait disposé quelques plantes et fleurs, dont l’aspect s’harmonisait admirablement avec l’arrondi du mur. Cet espace tout en courbes m’évoquait un agréable cocon. Je m’imprégnai de l’atmosphère qui y régnait, de la pureté des cloisons d’un bleu éclatant. Je me sentis immédiatement apaisée.

 Une ouverture sur le côté gauche de la chambre menait à la fameuse salle de bain. Curieuse, je coulissai l’élégante porte à la structure en bois et recouverte d’une toile épaisse, à l’image d’un fusuma[1] japonais. À l’intérieur, tout semblait scintiller : le sol bleuté, l’étrange lavabo en pierre marbrée, et même l’étagère en bois vernis, garnie de serviettes, de produits nettoyants et d’huiles pour le corps. Il ne manquait rien !

 Une baignoire ovale occupait le fond de la petite alcôve. Son rebord et sa faïence se composaient de pierres nacrées.

 Avide de me sentir enfin propre, je cherchai un robinet, quelque chose à ouvrir, mais ne trouvai rien. Alors que je tâtais le fond de la baignoire, celle-ci se remplit soudainement à une vitesse folle, toute seule, d’une eau bien chaude, exactement comme chez Avorian. J’en sursautai de surprise, ma main et mon bras déjà trempés.

 J’occupai un long moment le bain, profitant de l’eau chaude et des savons parfumés. Je savais que mes amis devaient faire exactement la même chose de leur côté : je ne me pressai pas.

 Asuna et Orialis vinrent me retrouver.

 Je me séchai les cheveux avec une serviette tout en les accueillant. J’avais trouvé des vêtements propres dans l’armoire, à peu près à ma taille, et opté pour une robe fluide mi-longue verte.

– Alors, ça fait quoi de se laver avec de l’eau chaude ? m’amusai-je en lançant un clin d’œil aux filles.

– C’est tout simplement divin ! Mon corps et mes cheveux revivent ! s’exclama Orialis avec un large sourire, ouvrant les bras vers le plafond.

– Moi, chaud ou froid, peu importe, tant que c’est de l’eau, répondit Asuna.

 Sa remarque nous fit rire.

– Tu dois être soulagée que le Gardien des Ewaliens soit arrivé sain et sauf, confiai-je à Orialis.

– Oh oui ! Je devais initialement voyager avec Nayan. J’ai hâte de pouvoir le saluer.

– Je voudrais tant revoir maman…, souffla Asuna, les larmes aux yeux.

 Cette confession nous remua, touchant de plein fouet notre instinct maternel. Nous nous approchâmes d’elle pour la serrer dans nos bras.

– Elle me manque ! ajouta-t-elle.

 Son corps se pressa contre nous. Nous la cajolâmes en douceur.

 En âge Terrien, Asuna devait avoir dans les sept ou huit ans. Quel courage d’entreprendre ce si long voyage sans sa famille ! Nous ne savions même pas où cette quête allait nous mener.

 Je cheminais depuis probablement un an sur Orfianne. Je devais avoir dix-sept ans maintenant : le double de son âge, et bien entendu, ma famille Terrienne me manquait énormément. Mes animaux, mes amis aussi. Ce mode de vie, si difficile, mais surtout les attaques que nous subissions, ne me permettaient pas d’y penser. Tout ce que nous endurions pesait lourd sur mes épaules. Alors que dire d’Asuna ? Elle regardait toujours les évènements, aussi durs soient-ils, avec sagesse, reflet de sa noblesse d’âme.

 Nous passâmes un long moment à prendre soin de notre peau et de nos cheveux – enfin, des lianes feuillues pour la petite Moroshiwa, qui exigeaient beaucoup d’eau pour les rendre éclatantes –, à l’aide d’huiles végétales à l’odeur exquise. Pour la première fois depuis bien longtemps, je me sentais vraiment propre, belle, et sereine.

[1] Un Fusuma est une paroi coulissante épaisse et opaque, composée d'une structure en bois, recouverte de toile et de papier.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Ayunna ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0