Chapitre 19 : Le Royaume de Cristal

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 Les Limosiens avancèrent vers l’immense porte principale ciselée en arche. Des parures en or et en pierres précieuses agrémentaient les deux battants de cristal qui s’ouvrirent sans bruit.

 Nous demeurions ébahis devant tant de magnificence, nos bouches entrouvertes d’émerveillement. Swèèn entra pour se poser dans un spacieux vestibule au sol et aux murs de cristal bleuté. L’antichambre, d’environ cinquante mètres carrés, était bâtie en arc de cercle et possédait deux grandes ouvertures donnant sur l’extérieur, de forme ovale, disposées de part et d’autre de la porte principale. Ces « fenêtres » très élégamment taillées ne semblaient pas avoir de vitre.

 Nous descendîmes de nos montures. Après avoir pris pieds sur cette surface cristalline, j’aidai Asuna à glisser contre le pelage argenté de Swèèn. Elle me gratifia d’un sourire. Je relâchai ses mains et fis un tour sur moi-même, complètement fascinée. Je ressentis immédiatement des vertiges. La jeune Moroshiwa remarqua mon étourdissement. Elle posa sa paume contre mon dos. Son geste de soutien me recentra. Je retrouvai vite l’équilibre.

 Curieuse, je m’approchai de l’un des trous béants donnant sur le ciel et… lorsque je crus toucher le vide, une onde translucide apparut sous mes doigts, des cercles concentriques se propageaient autour de mon index. Impossible d’accéder à l’extérieur. Cela me fit immédiatement penser à la matière qui composait les boucliers protecteurs, ainsi qu’aux portes et fenêtres de la maison d’Avorian.

 La maison du mage… cela remontait à si loin déjà ! Que de chemin parcouru depuis mon arrivée sur Orfianne !

– Que fais-tu, Nêryah ? me demanda Orialis, interloquée.

– Je découvre. Cette substance qui protège les ouvertures n’existe pas sur Terre, c’est prodigieux comme système.

 Les trois Limosiens demeuraient silencieux. Allongés par terre, ils semblaient attendre que quelque chose se produise, ou peut-être se reposaient-ils simplement. Devions-nous avancer ? J’entendis Avorian respirer bruyamment. Je me retournai pour voir ce qu’il faisait. Il étirait son dos, levant les bras, puis se courbait en soufflant fort. Entre nos mésaventures et toutes ces nuits à veiller sur le feu et sur nous, j’imaginais bien les tensions accumulées dans son corps. J’admirais sincèrement sa bravoure et son dévouement.

 Puisque personne ne venait à notre rencontre, j’étudiai de plus près les lieux. Le hall s’agrémentait de nombreuses plantes vertes et fleurs de toutes variétés. J’avançai vers certaines d’entre elles pour les effleurer, oubliant la présence des Limosiens en même temps que le caractère solennel de notre venue. Le végétal que je saisis entre mes doigts ressemblait à un mini saule pleureur. De la taille d’un arbuste, ses fines branches surplombaient joliment un côté de l’entrée. Des fleurs blanches et violettes aux larges pétales ornaient une ouverture arrondie située sur le mur opposé à l’accès principal, sur notre droite.

 En jetant un rapide coup d’œil, je me rendis compte qu’Asuna regardait autour d’elle, l’air tout aussi émerveillée que moi.

 À quelques mètres, au fond de la salle, se dressait un large escalier tournant menant vers une plateforme. Au milieu des marches se tenait un homme vêtu d’une longue toge beige nouée par une ceinture incrustée de pierres précieuses.

 Venait-il d’arriver ? Je ne l’avais même pas remarqué tant j’étais absorbée par la contemplation de ce royaume magique.

 Les mains jointes, il regardait les nouveaux arrivants d’un air digne.

– C’est lui, Orion ? chuchotai-je aux autres.

– Oui, me répondit Orialis dans un murmure.

 Orion était l’oncle de Kaya. L’âme du Sage s’était incarnée parmi les Komacs pour la première fois. On reconnaissait son ascendance à son teint hâlé, caractéristique propre aux habitants du désert de Gothémia ; à sa tenue beige, ses cheveux d’ébènes, légèrement frisés, et son regard sombre, d’une profondeur indicible.

 Avorian, Orialis et Asuna s’approchèrent de l’escalier. Ils posèrent une main au niveau de leur cœur pour saluer le Sage. Je les imitai.

– Orion ! Comme je suis heureux de te revoir ! clama Avorian, un grand sourire aux lèvres.

– Cela fait des cycles, mon ami ! Soyez les bienvenus.

 Le Sage ouvrit les bras, comme pour nous serrer tous trois contre lui. Son regard doux m’inspira la sympathie. Je m’attendais à quelqu’un de plus austère, inaccessible. Son sourire bienveillant montrait au contraire son humilité.

 Il descendit des marches pour venir jusqu’à nous. Orialis et moi échangeâmes un regard stupéfait : une lueur dorée nimbait son corps, accompagnait chacun de ses gestes, à l’instar des fées.

Un Ange… C’est exactement comme ça qu’on se les représente sur Terre.

– Swèèn, merci d’avoir veillé sur eux. Ta présence nous avait manqué. Vous devez être épuisés et affamés après un tel voyage. Je vous en prie, venez !

– Nous avons besoin de soins, confirma Avorian.

– Je vais faire venir les Moroshiwas qui sont ici.

 Le regard d’Asuna s’éclaira à l’évocation des membres de son peuple.

– Préférez-vous manger d’abord ? poursuivit Orion.

– Oui ! répondîmes moi, Orialis et Asuna en chœur.

  Le sourire du Sage s’agrandit, illuminé par son aura éblouissante. Ses yeux reflétèrent un élan de tendresse.

 Nous suivîmes notre guide, gravissant les marches de cristal. Elles me paraissaient curieusement difficiles à monter. Mon cœur cognait dans ma poitrine. Je ressentis des étourdissements : sans doute le contrecoup de ces longs mois de marche, de combats, et du manque de nourriture. Toutes ces épreuves subies afin de rejoindre le Royaume de Cristal. Je n’en revenais pas. Nous venions enfin d’atteindre notre but ! Mon corps se relâcha d’un coup, se délestant d’une pression énorme, et refusa de résister plus longuement.

 Mes jambes tremblaient, incapables de me retenir. Des frissons parcouraient mon corps. Je sentis mes genoux ployer sous mon poids, puis les petites mains d’Asuna tenter de me retenir dans ma chute. Trop tard… Je dégringolai de l’escalier, complètement sonnée.

 J’entendais des voix douces autour de moi. Je sentis que l’on me frictionnait le corps avec un baume. Cela me faisait du bien. Mes paupières closes, je me concentrai sur ma respiration pour ne pas sombrer à nouveau. Je bougeai légèrement. On me porta de l’eau à mes lèvres. Prudente, je bus à petites gorgées, bien que j’eusse terriblement soif. Et faim.

– Hélia aurait été bien plus douée que moi… je me suis réincarné dans un corps dépourvu de pouvoirs de guérisons. C’est la première fois que cela m’arrive ! Enfin, je maîtrise la science des onguents…

– Hélia était une Ênkelis extraordinaire, et vous l’êtes tout autant, Orion, répondit la voix d’Avorian que je reconnaissais entre mille.

 Dans le désert de Gothémia, Kaya m’avait expliquée que les Komacs maîtrisaient à merveille l’art de soigner avec les plantes, créant toutes sortes d’élixirs et de pommades. Mais ils ne disposaient pas de dons magiques comme les autres peuples d’Orfianne.

 En ouvrant légèrement les yeux, je vis le Sage appliquer vigoureusement ses baumes curatifs sur mes bras, le haut de ma poitrine, mes jambes, et mes pieds. On m’avait retiré mon pantalon. Je demeurais allongée, sur les genoux d’Avorian, lui-même assis par terre.

– Ce voyage était trop risqué pour elle, jugea Orion.

– La téléportation l’aurait été encore plus, souligna Avorian.

– Si les Métharciens ne surveillaient pas les cieux, nous aurions pu venir à bord de l’un de nos vaisseaux, développa Orialis.

 Je sentis deux mains se poser sur mon ventre. J’entrouvris un peu plus mes paupières. Un Moroshiwa, reconnaissable à ses plantes sur le crâne, venait d’arriver et se mit à débuter les soins. Asuna s’agenouilla auprès de lui pour le seconder.

– Chère petite Asuna, ta compassion t’honore, mais tu as besoin de repos, toi aussi. Nous nous occupons de Nêryah. Préserve tes forces, lui dit doucement le Sage.

 Elle retira prudemment ses mains, le visage grave.

– Eyaël, tu prends le relais ? demanda Orion.

 Je tournai la tête. Sur le côté, un Limosien se leva. Il s’avança vers Asuna, puis s’assit sur son arrière-train. Il leva une patte ; une lueur argentée naquit de ses coussinets pour pénétrer le corps de la fillette. Une fois le soin achevé, Eyaël se leva et procéda de la même manière pour Orialis. Il s’occupa enfin d’Avorian.

– Elle est guérie. Il lui faudra du repos, prescrivit le Moroshiwa qui venait d’achever mes soins.

– Merci…, soufflai-je à mes thérapeutes.

 Avorian me releva puis me soutint jusqu’à l’escalier de cristal.

– Swèèn ? appela Orion.

– Avec plaisir, mon cher.

 Sans s’expliquer, le lion-ailé s’approcha, et fit signe à Avorian de m’aider à grimper sur son dos. Je me cramponnai à sa crinière. Sans plus attendre, il grimpa l’escalier.

– Hors de question de te voir choir une nouvelle fois ! commenta notre Limosien.

 Parvenus en haut des marches, nous avançâmes sur un grand balcon où une table garnie de mets délicats était dressée. Je me réveillai net. De la nourriture ! En grande quantité !

 À la vue des gâteaux de toutes formes, des fruits de mille couleurs et légumes pétillants de vitalité, nous dévorions déjà les plats des yeux. Je sentis un regain d’énergie rien qu’à l’odeur doucereuse des biscuits.

 L’avancée donnait sur un charmant jardin avec quelques points d’eau. Arbres et fleurs poussaient sur cette étrange terrasse aménagée au beau milieu du ciel. Comment ce bout de terre parvenait-il à tenir en suspension dans les airs ? Quelle sorte de magie utilisait-on pour le maintenir en place ?

 Des plantes grimpantes ornaient les rambardes qui maintenaient le balcon clos. Une petite fontaine, sculptée dans la pierre, représentant une sirène dans un large coquillage, trônait à côté de la table. De l’eau sortait de ses mains palmées.

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