Chapitre 18 : Splendeurs de la montagne

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 Quelque chose effleura ma joue. Mes yeux s’entrouvrirent difficilement. J’avais bien dormi cette fois. Je me sentais enfin ragaillardie. Orialis et Asuna ne se trouvaient plus à mes côtés, mais Swèèn me couvrait toujours de son aile protectrice. Il avait veillé sur moi toute la nuit, m’offrant sa chaleur.

– Merci Swèèn, lui soufflai-je en baillant. Tu es le matelas le plus doux et le plus confortable qu’il soit !

– Et toi, une excellente petite bouillotte, ma chère, me répondit-il de sa voix androgyne d’un air malicieux.

 Je caressai sa tête, puis m’extirpai de ses pattes en soulevant son aile – si lourde ! – pour sortir de l’igloo. Il faisait grand jour ; le soleil éclairait les montagnes d’une lueur mordorée. Une bonne nouvelle pour Orialis.

 Swèèn me rejoignit. Il déploya ses longues ailes argentées pour s’étirer. Je me dégourdis les jambes avec peine. Orialis et Asuna profitaient de la lumière, levant les mains au ciel, comme pour saluer le beau temps.

 Je les étudiais un moment, à la fois captivée et attendrie de les voir honorer le soleil.

 La dure réalité me rattrapa subitement en un gargouillement sonore de mon ventre. Nous n’avions plus de provisions, et la haute montagne n’offrait rien de mangeable. Et l’air commençait à diminuer cruellement à cette altitude. Notre métabolisme si particulier nous permettait de résister à ce régime draconien.

 Nous reprîmes la route, l’estomac vide, d’un pas lent. La neige ne tombait plus. Les rayons du soleil réchauffaient nos visages glacés, et permettaient à Orialis de voyager sans bouclier. Elle pouvait enfin profiter pleinement des astinas. Ses antennes luisaient, son teint olivâtre contrastait joliment avec ses lèvres violacées. La Noyrocienne était la seule à pouvoir survivre sans eau et sans nourriture.

 Quand l’oxygène vint à manquer, nous ralentîmes le pas, essoufflés. Nous n’avions même plus la force de parler. Même Asuna cessa de bondir dans la neige. À notre grand soulagement, Swèèn consentit à nous porter à tour de rôle sur quelques kilomètres.

 Mes jambes refusaient de m’obéir. Elles s’enfonçaient dans la neige, m’obligeant à m’arrêter souvent pour dégager mes pieds. Je regrettais amèrement les bons bains chauds – je rêvais de la source chaude au village des fées. J’étais désormais prête à n’importe quoi pour retrouver la cuisante chaleur du désert de Gothémia, ainsi que les délicieux pains, encore tièdes, de Shirin.

 Cette partie de la montagne semblait déserte. Tellement abandonnée qu’aucun de nos ennemis ne s’aventurait jusqu’ici.

 Nous marchions courbés, suffoquant, presque à quatre pattes tant la dernière montée se fit abrupte. Nous atteignîmes enfin le sommet de la chaîne de montagnes, affamés, épuisés.

– Courage, mes divines beautés, vous y êtes arrivées ! s’exclama Swèèn. Le Royaume de Cristal est à notre portée !

 Notre destination ultime depuis mon arrivée sur cette planète.

– Que… quoi ? Ça y est ? C’est ici ? Vraiment ? m’étonnai-je, à bout de forces.

– Enfin… souffla Asuna, assise en tailleur pour se remettre de notre ascension.

 Avorian tentait de reprendre son souffle, une main posée sur le cœur. Entre ses nuits courtes à surveiller le feu et cette ascension interminable dans les monts enneigés, il avait fait preuve de tant de bravoure.

– Quel soulagement ! Nous avons réussi ! s’enthousiasma Orialis, tournoyant sur elle-même.

 Nous nous trouvions au plus proche des cieux. Arrivés au pic, nous découvrîmes un paysage exceptionnel : autour de nous se dressait un cercle de montagnes enneigées. Aux pieds de celles-ci trônait un lac bordé de conifères. Son eau turquoise scintillait, à l’image de milliers de diamants. Le soleil illuminait le panorama, ses rayons se réfléchissaient sur le blanc si pur de la neige, rehaussant les montagnes d’une teinte dorée. Mais, à mon grand regret, je ne vis ni royaume, ni aucun cristal.

 Alors que j’examinais soigneusement les lieux, en quête d’une bâtisse, j’aperçus quelques petits points lumineux se mouvants sur l’autre versant. Ils se rapprochaient de nous. Je plissai les yeux.

 De grands lions ailés au pelage argenté parcouraient le ciel.

– Des Limosiens ! m’écriai-je.

– Bien-sûr, je viens de les appeler, confirma Swèèn tout naturellement, comme si c’était une évidence.

– Tu aurais pu nous prévenir ! le rabroua Orialis.

 Mon cœur se mit à battre à tout rompre face à ce spectacle enchanteur. Orialis poussa un cri d’admiration. Devant nous s’élevaient dans le ciel une bonne vingtaine de Limosiens. Leur vol majestueux captait la lumière du soleil : ils scintillaient tels des astres. Avorian souriait, le visage serein. Asuna les accueillit d’un signe de la main.

 Swèèn s’envola pour les rejoindre. Il slaloma autour d’eux, virevoltant, puis les frôla d’une aile pour les saluer. Notre Limosien vivait au Royaume de Cristal. Il rentrait enfin chez lui.

 Deux lions ailés se posèrent délicatement devant nous tandis que les autres demeurèrent dans les cieux.

– Nous vous attendions, déclara l’un d’eux, d’un timbre grave et profond.

– Je vous salue, Ô, gardiens du Royaume.

 Avorian s’inclina respectueusement en prononçant ces mots. Orialis, Asuna et moi-même l’imitâmes.

– Nous avons été attaqués par les sbires de l’Ombre. Ils nous ont poursuivis jusqu’ici, expliqua le mage.

– Oui, Swèèn nous a prévenus il y a deux jours de cela, répondit la deuxième créature ailée. Pardonnez-nous de n’avoir pu vous défendre, nous revenons tout juste de mission.

 Elle ne possédait pas de crinière, à l’image d’une lionne, et parlait d’une voix plus aigüe que l’autre. J’étais persuadée que c’était une « Limosienne ».

– Alors… même les terres de Cristal ne sont plus en sécurité, en déduisit le Guéliade.

– Nous sommes sur tous les fronts. Nous ne pouvons même plus honorer notre fonction première : celle de protéger le Royaume de Cristal.

 Swèèn atterrit posément à côté de nous.

– Pardonnez-moi mais… où se trouve le Royaume de Cristal ? intervins-je, avide de me reposer un peu.

– Juste devant vous, affirma-t-il.

 Pourtant, hormis ce sublime panorama, je ne voyais rien d’autre. Je considérai les Limosiens, dubitative.

– Comment ça, devant nous ? Il se trouve dans le lac, sous l’eau ? questionnai-je.

 Swèèn m’observait d’un air amusé. Son silence en disait long.

– Mais non, pas sous l’eau, me taquina-t-il. On n’est pas des Ewaliens !

– Soyez les bienvenus au Royaume de Cristal, déclara son comparse. Nous allons vous y conduire. Chevauchez-nous, n’ayez pas peur. Le Sage Orion vous y accueille avec joie.

 Orialis et Avorian s’installèrent sur eux, tandis que je grimpai au dos de Swèèn avec Asuna contre moi. Les longues ailes des trois Limosiens se déployèrent gracieusement à l’unisson ; nous décollâmes après quelques battements d’ailes. Je sécurisai la petite Moroshiwa en tendant mes bras de chaque côté de son corps et m’accrochai à la crinière de Swèèn.

 Nous prenions de l’altitude, admiratifs devant le spectacle de ces créatures vénérées par tous les Orfiannais. Parvenus dans les cieux, je contemplai le lac et les montagnes qui s’éloignaient de nous. Au bout de quelques mètres, les lions ailés cessèrent d’avancer, comme si un mur invisible les en empêchait. Ils stagnèrent dans le vide du firmament. Tous les autres Limosiens stoppèrent également leur ballet céleste.

– Voilà, nous sommes arrivés, déclara l’un deux.

 Je ne percevais absolument rien autour de nous. Juste le bleu du ciel à perte de vue.

– Le Royaume est invisible, pour sa sécurité, m’expliqua Swèèn.

Comme au village des fées ! J’aurais dû m’en douter.

– C’est une mesure de précaution pour le moins efficace ! lui répondis-je.

– Il demeure inaccessible à ceux qui n’y sont pas conviés, annonça mystérieusement l’un des Limosiens.

 Il devança les autres puis leva l’une de ses pattes avant vers le haut du ciel, comme pour saluer. Quelques secondes plus tard, un rayon multicolore circula dans le vide, tournoyant autour d’un Royaume qui se dessinait au gré de ses passages. Sous mes yeux ébahis, le voile d’invisibilité se troublait et l’immensité du ciel laissa place à un magnifique palais de cristal, scintillant d’une lueur arc-en-ciel. Il ne pouvait exister pareille beauté. Cet édifice fleurant la magie imposait le respect, ainsi qu’un sentiment de félicité.

 Comment un tel château pouvait-il flotter ainsi dans le vide ? Tout un pan de terre s’y accrochait, comme une petite île que l’on aurait arrachée à l’océan.

 Le toit de la bâtisse principale s’arrondissait pour se terminer en pointe, à l’image des temples bouddhiques birmans sur Terre. L’édifice dressait hardiment vers le firmament ses tourelles effilées. Chaque colonne s’ornait de larges volutes représentant fleurs, feuilles, symboles sacrés, avec le sommet bombé telle une petite meringue. Les ouvertures se paraient d’arcs polylobés, rappelant les monuments sacrés orientaux.

– C’est tellement beau…, souffla Asuna.

– Je n’arrive pas à visualiser la forme du Royaume… on dirait un temple géant, confiai-je à mes amis.

– Il est construit en forme de pentacle, parfaitement positionné par rapport aux étoiles et aux constellations influentes pour nous, m’expliqua notre Limosien. La base du monument est pentagonale, et les tourelles complètent les branches de l’étoile. Grâce à ses propriétés magiques, le cristal occulte l’intérieur du Royaume. Il n’est pas transparent.

 Des reflets bleutés animaient la pureté du cristal. Le palais semblait prendre vie dans la clarté du crépuscule.

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